labrys, études féministes/ estudos feministas
janvier /juin 2007 - janeiro / junho 2007

La Créativité féminine camerounaise dans une approche genre: Une parole totalisante

                  Cécile Dolisane Ebosse*

Introduction

Dans la société africaine, le rôle de la femme a toujours été complémentaire à celui de l’homme. Il n’a jamais été question d’une quelconque supériorité d’un genre sur un autre. Dans les mythes fon du Bénin et Yoruba du Nigéria ou Ouldémé du nord-Cameroun, on parle d’un couple androgyne qui s’oppose diamétralement à la conception dichotomique judéo-chrétienne introduite par la colonisation1.

En effet, avec l’intrusion étrangère, la hiérarchisation des sexes qui favorisait le genre masculin en tant chef de famille, marginalisait la femme, sa parcelle de pouvoir et partant son identité. Reléguée aux rôles subsidiaires, ces activités mécaniques et routinières modifièrent son statut et même sa place dans les arts. Par contre, elle est magnifiée pour «l’éternel féminin» et les fonctions vitales dont elle a la charge : la femme et la maternité dans la sculpture en l’occurrence

Dans le domaine de la littérature écrite, une abondante production critique a vu le jour ces vingt dernières années, la plus connue étant celle de la Congolaise Milolo Kembe avec l’image de la femme chez les romancières d’Afrique francophone. Mais c’est l’Européenne Arlette Chemain-Degrange qui a été la pionnière dans cette thématique, toutefois, elle n’avait qu’un corpus du roman masculin.

Favorisés par l’administration coloniale, les hommes, premiers lettrés, peignaient les femmes selon leur vision et leur sensibilité tandis que les femmes, en majorité des travailleuses domestiques, ne pouvaient aucunement accéder aux connaissances livresques qui en amènent plus tard à la prise de décision alors même qu’elles assumaient les fonctions de Productrice et reproductrice de la culture.

Le rôle du père était celui de pouvoir et de l’autorité, du moins, si l’on s’inspire de l’article de Romuald Fonkoua sur  «l’art et la loi des pères » alors que celui de la femme dans Perpétue ou l’habitude du malheur de Mongo beti ou dans Tante Bella de J. Owono était celui d’une mère maternante, doucereuse et de l’épouse maltraitée, soumise, prête au consensus sans existence publique. Son rôle dans cet art était donc éminemment traditionnel. C’était en réalité la traduction masculine de l’image que ces auteurs avaient de leur propre mère. Auparavant, les poètes romantiques et ceux de la négritude, respectivement dans les Négresses de Baudelaire, celle de Stéphane Mallarmé et la femme noire de Senghor, son corps était sublimé, exhibé. En clair, elle est exclusivement un art sculpté dans sa nudité.  Ce corps est alors subtilement chosifié comme objet et source de poésie. La femme noire symbolise la sexualité, l’exaltation des sens, le culte de la nudité. Elle est l’expression de la sensibilité masculine et l’objet de tous les fantasmes au point de parler du «beau sexe».

Etant spécialiste de la littérature négro-africaine qui est collégialement orale et écrite, notre apport sera plausible dans les deux paradigmes, car la prose en tant que nouvelle forme d’art que les écrivains ont adoptée de manière spécifique est greffée sur les formes les plus anciennes et c’est ce qui fait d’elle un genre hybride. C’est dire que notre poétesse marque son écriture d’un sceau d’originalité en s’ancrant dans son référent socio-culturel tout en s’emprègnant de la culture étrangère. Cette enracinement dans l’ouverture de l’inscription littéraire rituelle de Werewere Liking. a motivé notre choix.

Notre préoccupation est de savoir comment Werewere Liking, cette touche à tout de génie restructure la société postcoloniale désorientée qui méconnaît son histoire precoloniale. Quels y étaient la place et le statut des hommes et des femmes ? Et comment compte-t-elle remédier à ces injustices faites aux femmes d’aujourd’hui? Autrement dit, quelle démarche peut adopter une écrivaine pour bâtir un projet de société fiable ?

Pour mener à bien notre étude, nous adopterons une approche pluridiciplinaire : d’abord, nous aborderons l’approche socio-historique qui nous permet de fouiner le passé, ensuite nous analyserons les perspectives genre et féministe, ces outils conceptuels nous pousse à faire une mise au point, d’une part, que  «le rôle du genre dans la littérature » ne signifie nullement celui de la femme dans l’esthétique en l’occurrence, il s’agit ici d’un regard croisé du rôle qui est assigné à chacun des genres2. Les deux sexes sont alors concernés. Partant de là, on essayera de voir les stratégies à adopter pour mieux équilibrer la société. D’autre part, le féminisme tente de scruter les rôles et le statut de la femme d’antan, du présent pour mieux préparer l’avenir. En y insufflant une bonne dose d’utopie, nous montrerons enfin que ces méthodes d’approche des rapports entre les sexes émerge de l’Afrique profonde.

Notre argumentaire aura trois parties :

D’entrée de jeu, nous découvrirons la femme mythique et le pouvoir de l’oralité. Ensuite, nous montrerons l’émergence et l’originalité de la femme écrivain. Enfin, nous projetterons la créativité féminine comme devenir de l’Afrique.

I-La femme et l’oralité : aux sources du pouvoir féminin

Depuis les temps immémoriaux, le savoir-faire féminin s’est illustré à travers la maîtrise parfaite des arts de manière totalisante. Son premier art fut incontestablement les comptines des berceuses, véritables chef-d’œuvre par le lyrisme et la poésie qui s’en dégagent. La femme était le dépositaire de la culture ancestrale parce que muraille protectrice de l’humanité, ses responsabilités féminines étaient alors primordiales en matière de transmission de connaissances. Il lui fallait faire preuve de génie pour cumuler dans sa mémoire : l’art culinaire, les contes, chansons, proverbes et le savoir-vivre qu’il fallait léguer aux générations futures.

La quête de l’équité des genres dans la société africaine n’est donc pas une innovation, elle est la restitution d’une justice, la récupération des prérogatives perdues. La perspective genre était bien ancrée dans les mœurs africaines depuis bien des lustres3.

1.1. Les mythes et les légendes

Mircea Eliade définit le mythe comme« racontant une histoire sacrée ; il relate un événement qui a lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements (...) les personnages des mythes sont des êtres surnaturels. Ils sont connus par ce qu'ils ont fait dans les temps prestigieux des “ commencements ” » (Eliade, 15). Tandis que La légende est le récit populaire, propre à un peuple. Elle prend souvent les allures d'une fable ou d'un mythe. Elle représente des faits ou des personnages réels, accrédités dans l'opinion, mais déformés ou amplifiés par l'imagination.

Aussi Werewere Liking remodèle-t-elle sous sa plume les histoires extraordinaires, les exploits des héroïnes afin de mettre a nu cette injustices millénariste faite aux femmes qui provoqua un oubli entretenu. cette perte «officielle» du pouvoir favorisa l’amnésie dans la mémoire collective concernant la créativité féminine. Pourtant, ces Silencieuses de l’histoire ont produit depuis des siècles des œuvres par leurs mains talentueuses. C’est la raison pour laquelle Werewere liking atteste que le passé de l’Afrique est l’avenir de l’humanité4.

En exploitant savamment les mythes, les légendes et les contes séculaires, Werewere Liking dévoile la primauté féminine. A travers les légendes de Soo et de Londè Um tirées de Elle sera de Jaspe et de Corail et de l’Amour-cent-vies. Dans la légende de Soo tirée de Elle sera de jaspe et de corail, le Dieu Hilôlombi, l'Etre suprême, envoyé sur terre et plus précisément au pays du « berceau en cœur » : les masques civilisateurs, en vue de donner la sagesse aux mâles, mais ces derniers étaient incapables d'appliquer scrupuleusement les règles de la morale. Pendant ce temps, un masque nommé Um, prise de sympathie pour les hommes, se dissimula parmi eux. Simultanément, Soo, la deuxième jumelle de Njock, l'aîné des jumeaux, passait de manière inopinée. Elle venait de prêcher l'amour qui a complètement disparu du cœur des mâles. Après avoir séché toute la rivière, elle entendit une voix retentir au fond du trou qui lui dit : « Femme ! qui donc mit le feu au bonheur après l'avoir trouvé ? »(Jaspe,80).

En effet, la première erreur commise par la femme est la poltronnerie, tandis que l'homme, plus rusé, s'empara de la trouvaille et la conserva sans partage. C'est ainsi que la femme fut dépossédée du pouvoir. Elle garda toutefois « la sensation de la chaleur de ce premier contact des dieux et des hommes, ainsi que le souvenir de cette voix d'Amour et de Connaissance. (...) » (Idem.)

Au regard de ce mythe, c’est la femme qui a d’abord trouvé le feu de la connaissance mais elle eut peur de sa trouvaille, en parla à l’homme qui s’en empara. Néanmoins, le genre féminin est  Création et Créatrice de l’humanité puisqu’elle possède tout de même la trace du savoir millénariste et la peuple à la fois.

1.2 Les forces occultes ou le pouvoir de l’ancrage ancestral

La femme mythique se glisse vers la femme détentrice des dons magiques. Ainsi, grâce à l’ancêtre "Nuit-noire", la misovire, cette prophétesse pourra sauver l’Afrique par ses idées constructives, "une race bleue" qui sera de jaspe et de corail.

Le souffle des ancêtres, c’est- à- dire la connaissance du passé impulsera et libèrera les énergies des hommes et des femmes de ce continent car «les grands arbres s’enfoncent d’abord dans le sol avant de s’élever majestueusement au ciel» (Amour,59).

En outre, elle prône les valeurs de l’enracinement et place la femme aux sources de l’oralité et du matriarcat comme celle qui aurait goûté aux saveurs des premiers temps. Outre cela, ce récit qui tente d'élucider le fondement du monde, veut également faire comprendre les sources des inégalités entre l'homme et la femme, ainsi que la fin du matriarcat. Le mythe essaie de donner un sens aux mécanismes sociaux, à la hiérarchie entre l'homme et la femme. Dans ce vaste projet explicatif doublé d'une intention didactique, c'est la décadence humaine que Werewere Liking met à nu.

Au demeurant, la mise en relief du genre dans l’oralité permet de réhabiliter la femme en vue de promouvoir une certaine équité entre les sexes. Autrement dit, l’historienne dévoile le talent féminin du passé, se réapproprie ces valeurs enrichissantes d’antan afin de corriger les erreurs du présent où la femme n’a qu’un rôle secondaire pour ensuite préparer l’Afrique du troisième millénaire à l’exploitation complète des potentialités féminines naturelles et socioprofessionnelles.

Après cet ancrage nécessaire, il se produira alors un déclic : la détente et le déblocage des forces créatrices. Aussi parle-t-elle de l’onde de choc. Car seul l’esprit de sacrifice, le culte de l’effort permettra à la femme de retrouver sa dignité et de s’affirmer, en un mot, le chemin de l’émancipation.

II- Une poétique décentrée et hybride

1.1.          L’émergence de la littérature féminine camerounaise

Comme nous l’avons précisé plus haut, dans l’introduction, les premiers écrits sur les femmes étaient faits par les hommes et dans leurs œuvres d’une manière générale, le rôle de l’homme c’est l’affirmation du phallus tandis que la femme n’a pas d’identité autonome, dans le langage savant du genre, on parle d’une véritable «dystopie»5.

Cependant, avec la venue des femmes à l’écriture, auréolée par les poèmes de Kiné Karima Fall qui ont été préfacés par L.S. Senghor, la poétesse sort de l’ombre et dévoile ce talent enfoui en elle. Mais c’est avec Ngonda (1959) de Marie-Claire Matip que la femme camerounaise s’est affirmée en tant qu’écrivain.

En fait, le premier roman qui exprime le rôle des genres est la brise du jour (1969) de Lydie Doo-Bunya. Dans cette œuvre, la femme incarnée, tour à tour, par la petite zinnia, l ‘écolière assidue, sa mère opprimée et Maa Wanga, la guérisseuse traditionnelle et la matrone du village, trahit le savoir-faire féminin et sa détermination à toute épreuve pendant que l’homme, «de drôles d’oiseaux » apparaît sous sa plume comme un être volage, cupide, hypocrite et surtout impitoyable envers la femme.

Dans les années 80, la déferlante de l’écriture africaine dans les universités nord-américaines et en particulier celle des femmes, révéla que le tissage séculaire se transforme en texture idéelle, le rôle du genre féminin est éminent. Et pour Calixte Beyala dans c’est le soleil qui m’a brûlée, il faut intervertir les rôles des genres. En effet, la femme ayant régné dans les temps immémoriaux, elle ne saurait négocier un espace avec un masculin imbu de son phallus, animé d’une volonté de puissance.

Dans un environnement où domine "la loi des pères", la femme doit se montrer intransigeante. Pour cela, notre auteur va jusqu'à proposer le meurtre des amants et une homosexualité mystique salvatrice par l’union sacrée de Marie-Claude la juive française et Tanga l’Africaine pour mieux isoler le sexe dominant dans tu t’appelleras Tanga.

Mais c’est avec l’artiste complète Werewere Liking et son écriture rituelle («chants- romans») que le rôle des genres dans la littérature africaine prit une tournure beaucoup plus réaliste, méthodique avec une démarche épistémologique qui prend appui dans la pensée holistique négro-africaine.

1.1  La quête de l’équilibre des genres 

Elle se manifeste à travers l’harmonie de la famille et l’invitation à l’amour. Dans Orphée dafric, un jeune couple Orphée et Nyango, décident de s’entraider. Celle-ci descend aux enfers et Orphée plonge également pour la sauver et ils décident de se marier. Il faut donc à l’Afrique des hommes et des femmes sains d’esprit et parfaitement équilibrés. Les genres féminin et masculin se mettent en face de leurs responsabilités et assument leur destin ensemble dans une entente cordiale. Paradoxalement, leurs familles respectives ont refusé leur choix dans la mesure où ils n’étaient pas issus du même milieu social. On voit ici se dessiner l’épineux problème de l’élitisme qui fait l’objet des débats dans les pays africains. La littérature, dans le cas précis, réintègre la stabilité. Plus encore, cette recherche d'équilibre permettant de créer, se renchérit avec Lem le narrateur de l’Amour- cent- vies. Chargé et formé mystiquement par la grand-mère Madjo, il redeviendra une narratrice à la fin de cette fiction. 

Cette mue renforce la quête d’une androgynie évoquée dans les mythes : Lem est détenteur des pouvoirs légués par une femme de même que la Misovire. Cette femme qui déteste les hommes doit éduquer Grozi et Babou, deux intellectuels oiseux et vasouillards qui manquent d’initiatives. Bien mieux, la femme-buffle, Sogolon Kejou s’est montrée impitoyable envers le buffle qui tentait d’afficher des ébats amoureux lorsque la femelle cherchait à mettre bas. Elle mit fin à cette excessive copulation. Ce geste intransigeant symbolise le respect de la femme et partant de là, des droits humains. Elle restructure la personnalité africaine en rétablissant la justice.  C’est dire que dans l’édification de l’Afrique, la femme a un rôle capital puisqu’elle a des pouvoirs incommensurables. Elle impulse l’homme. Elle est inspiration et aspiration. Car «derrière un grand homme se cache une grande femme» (Amour, 93).

Les mots qui se dégagent d’Orphée dafric, Elle sera de Jaspe et de Corail  et dans l’Amour- cent- vies sont une vraie thérapie. Ils exorcisent cette Afrique malade et proposent des solutions qu’elle peut trouver à l’intérieur d’elle-même. Selon la romancière, l’Afrique regorge de potentialités mais il faut restaurer ses repères brouillés par l’esclavage et la colonisation. Il faut préalablement procéder par une introspection, se remettre en question, fouiller et interroger le passé pour y puiser les énergies re dynamisantes capables de lui redonner un souffle nouveau.

1.2. Le mélange des genres ou les identités plurielles

En écrivant des « chants-romans » et des romans rituels, l’inscription scripturaire tente de mélanger les genres parce qu’elle respecte l’éthique anthropologique négro-africaine telle que la définit Barthélemy Kotchy dans «Socio-critique : littérature et contexte socioculturel» (Kotchy,64), car le griot fait tout. La parole traverse toute sa production littéraire mais c’est une parole totalisante telle qu’est conceptualisée par les sociétés africaines traditionnelles où la compétence de l’artiste se mesure à sa capacité à maîtriser toutes les facettes de la vie culturelle. Dans cette conception de l’art, la polyvalence est impérieuse car l’artiste est celui qui invente le quotidien. C’est ainsi que le genre, sous la plume de notre poétesse- dramaturge a un rôle révolutionnaire. Il a des aptitudes à transformer la cité des "tsé-tsé" (l’Afrique) en une cité équitable, à lui donner des couleurs, donc plus de bonheur et d’espérance.

Sur le plan formel, l’on dénote une innovation linguistique avec des néologismes, par l’exemple les mots tels : «Misovire; éléments-esprits ; idées esprits » inventés par la sculpteuse des mots, donne à la femme- écrivain un rôle subversif. Elle fait éclater les normes littéraires préétablies, les barrières de la langue et des genres, elle crée une osmose entre l’oral et l’écrit, entre l’Afrique traditionnelle et l’Occident. Elle incite au respect de la différence au point que ses écrits sont inclassables. Irène Dalmeida, une des spécialistes de l’œuvre de Liking à propos de Elle sera et de corail s'interroge sur la précision du genre : «est-ce un roman ? un poème?». L’auteur, de par son esprit éclectique, se garde de balkaniser afin d’éluder les radicalisations à outrance. Elle invite à la tolérance. Il faut accumuler et entasser, d’où la recherche permanente de cette autonomie pour en arriver à l’interdépendance.

L’originalité de cette écriture cathartique réside dans sa capacité à prôner l’holisme dans l’altérité. Dans ce sens, ces œuvres rituelles qui sont écrites sous le prisme de la renaissance méritent d’être scrutées avec plus de rigueur scientifique puisqu’on y extrait une épistémologie redevable essentiellement à la sagesse ancestrale. L’osmose entre le passé et la modernité prônée par notre écrivain en ce millénaire naissant, pourrait alors être la voie salutaire si l’Afrique veut se sortir des méandres du néocolonialisme et de cette mondialisation rampante aux contours confus.

Au reste, Werewere Liking tente de puiser ses ressources au cœur de l’Afrique. Par le biais du « Ki-Yi Mbock », le village des arts négro-africains fondé en Côte- d’ivoire, elle milite pour une créativité propre à ce continent. L’Afrique doit se prendre en charge si elle veut véritablement se développer. Aussi doit-elle prendre en compte la compétence de ses hommes et ses femmes. Car aucune nation ne saurait se promouvoir sans la participation des deux sexes et dans tous les domaines de la connaissance, étant entendu que le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous.

III- La créativité de Werewere Liking, symbole du devenir de l’Afrique.

1.1 l’androgynie émancipatrice ou le respect des valeurs de l’altérité

 L’écriture prolifique de Liking qui sort des sentiers battus par son audace créatrice, met en lumière les personnages androgynes, à poigne, avec une prégnance féminine ; lesquels guident le masculin sans le mépriser. Ils se corrigent mutuellement. En lui confiant ces hautes sphères : la prise de décision, elle n’est pas encensée mais valorisée. Elle retrouve sa personnalité mythique : « la femme est Dieu elle le sait mais elle le tait » (Amour,45).

Par l’esthétique de Liking son rôle est pleinement assumé. C’est elle qui organise la société. Loin d’être la conseillère de l’ombre, elle prend des initiatives jadis réservées au genre masculin telles que l’écriture engagée et la chasse. Ses responsabilités lui confèrent un pouvoir éminemment politique comme nous informent Achiola O. Pala et Madina Ly dans leur ouvrage intitulé: la femme africaine précoloniale.

1.2 La créativité féminine ou la métaphore du panafricanisme

Au demeurant, la femme a pour mission d’unifier l'Afrique. Dans cette démarche panafricaine justifiée par l’existence du village "Ki-yi"en Côte- d’ivoire, elle fait fusionner les différents arts. En fait, la créatrice a commencé sa carrière artistique par la peinture, la poésie et le théâtre. Puis, elle a découvert la sculpture, la chanson, la danse rituelle, la teinturerie et le cinéma.

Quasiment hermétique, son œuvre est la restauration d’une mémoire amputée, tronquée par les forces de l’histoire. Elle est « plaisir de lire » par ses nombreuses anecdotes et source d’informations sur l’Afrique ancestrale. Ses écrits soulèvent également les contradictions inhérentes à la société africaine postcoloniale. Elle veut alors sauvegarder l’âme d’un peuple en exaltant la symbiose entre la femme et l’imagination profuse.

En fin de compte, elle établit une passerelle entre tous les arts pour y déceler un fil structurateur. Aussi invite-t-elle les Africains à dépasser leurs différences et à conjuguer leurs efforts vers un développement judicieux et un avenir prometteur. Cette mixité est la métaphore de l’égalité, de l’émancipation et partant de l’unité retrouvée. La femme artiste, initiatrice des projets devient alors, à n’en pas douter, le symbole du devenir de l’Afrique.

Conclusion

En définitive, la femme est l’initiatrice des arts, elle est dépositaire de l’oralité et la mémoire du continent. Son savoir-faire s’est illustré dans la poésie, des comptines des berceuses, des contes et des chantefables. Son tableau s’enrichit par son talent de tisseuse, de potière, de vannière, de brodeuse, de décoratrice et de sculpteuse.

Avec la littérature écrite, on assiste à une métamorphose d’une écriture de la différence. La femme brode une texture libératrice à partir du matériau de l’oralité, c’est une esthétique du langage écrit. Elle devient une sculpteuse des mots à l’image des comptines du soir.

La femme sous la plume de notre portraitiste est actrice et objet de création. Dans l’écriture féminine, elle est journaliste comme la Misovire, entreprend de réfléchir et de sortir l’Afrique de sa léthargie. Parallèlement, le genre masculin est le symbole du pouvoir et de l’autoritarisme excessif.

Mais ces rôles évoluent. Ils sont de plus en plus valorisants même dans le cinéma africain. Sembene Ousmane avec son film "Faat Kiné" rétablit l’équilibre entre les genres. Nous ne pouvons guère feindre d’ignorer le documentaire de Anne- Laure Folly la femme aux yeux ouverts où elles ont un rôle édifiant puisqu’elles se retrouvent dans toutes les sphères de la société mais surtout prennent la parole.  De ce fait, La démonstration par l’approche Genre, effectuée dans une structure ternaire, à partir de l’œuvre de Werewere Liking, vise à pallier les inégalités entre les sexes en apportant des réponses à partir d’une épistémologie nouvelle et originale et en un mot, à faire avancer la recherche féministe et sur le genre.

 

N ote biographique

*Dr Cécile Dolisane-Ebosse est spécialiste des littératures africaines, africaine-américaine et en Women and Gender Studies et enseigne à l’Ecole normale supérieure de Yaoundé, Cameroun. Elle est également titulaire d’un DEA en Science Politique option Anthropologie politique. Ses nouvelles aires de recherche s’acheminent vers les questions d’identité, les mythes et les rites féminins dans le littoral camerounais ainsi que les nouveaux cosmopolitismes contemporains. Sa dernière publication s’intitule : « Violence textuelle et sexuelle dans l’œuvre de Calixthe Beyala » in Langues et Littératures n°10, février 2006.

 

Références bibliographiques

-Œuvres de fiction

Beti Mongo, Perpétue ou l’habitude du malheur, Paris, Buchet/Chatel,1974.

Beyala, Calixthe, C’est le soleil qui m’a brûlée, Paris, Stock, 1987.

           ---              Ttu t’appelleras Tanga, Paris, Stock,1988.

Doo-Bunya, la brise du jour, Yaoundé, CLE, 1969.

Matip, Marie-Claire, Ngonda, Douala-Yaoundé, Libraire Au messager, 1959.

Owono, J., Tante Bella, Douala-Yaoundé, Libraire Au messager, 1959.

Senghor, L.S., Chants d’ombres, Paris, Présence Africaine, 1956.

Werewere Liking, d’Orphée dafric, Paris, L’Harmattan,1981.

          ---               Elle sera de Jaspe et de Corail, Paris, L’Harmattan,1983.

                             l’Amour- cent- vies, Paris, Publisud,1988.

II- Ouvrages critiques

Chemain-Degrange, Arlette, la femme la littérature négro-africaine, Université de Grenoble, Thèse 3eme cycle,1972.

Dalmeida, Irène, « Femme ? Féministe ? Misovire ? Les romancières africaines », Notre Librairie, n°117, avril-juin 1994, pp. 48-51.

Milolo Kembe, l’image de la femme chez les romancières de l’Afrique francophone, Fribourg,

Presses universitaires de Fribourg,1986.

Kotchy, Barthélemy, «Socio-critique : littérature et contexte socioculturel» in revue d’ethnologie, n°2-3,1980.

Fonkoua, Romuald, « l’art et la loi des pères », Paris, Notre Librairie N°117,1994.

 Ongoum, L.-M. : «Mythe et littérature en Afrique », Mélanges africains, Thomas Melonè éd., Yaoundé, Ed. Pédagogique, Afrique Contact, 1973, pp. 163-172.

       ---           «Poèmes de femmes bamiléké », Collectif Femmes du Cameroun, Bondy, Paris, ORSTOM, Karthala, 1985, pp. 283-297.

Ndachi- Tagné, D. « Werewere Liking : créatrice, prolifique et novatrice », Notre Librairie, n°99, 1989, pp. 194-196.

Nnadi, J. Les Négresses de Baudelaire, Yaoundé, CLE, 1979.

III- Ouvrages et autres travaux en sciences sociales sur la femme

Coquery-Vidrovitch, C., Les Africaines, histoire des femmes d’Afrique noire du XIXème au XXème siècle, Paris, Ed. Desjonquères, 1994.

Collectif Femmes du Cameroun, Mères pacifiques, femmes rebelles, sous la direction de J.C. Barbier, éds. Bondy, Paris, ORSTOM, Karthala, 1985.

Madina Ly et Achiola . Pala., La femme dans la société précoloniale, Paris, UNESCO, 1979.

Société Africaine de Culture, La civilisation de la femme dans la tradition africaine, Colloque d’Abidjan, 3-8 juillet 1972, Paris, Présence africaine, 1975.

IV- Documents sonores et audiovisuels sur Werewere Liking

Documentaire : « Village Ki-Yi », Centre d’échanges culturels, Abidjan, Ministère de la Coopération française, 1993.

V-Document spécial sur le genre

Projet CMN « Promotion de l’égalité et de l’équité entre les genres »,Yaoundé, Ministère de la condition féminine, 2004         
  Notes:

1 Ces investigations ont été tirés de G. Balandier, Anthropo-logigues, Paris, PUF, 1974,  p.7., ainsi que J.C. Barbier, Collectif Femmes du Cameroun, Paris, ORSTOM,1985, p74.

2 Projet CMN « Promotion de l’égalité et de l’équité entre les genres »,Yaoundé, Ministère de la condition féminine, 2004.

3 Ochiola O Pala, La femme africaine precoloniale, Paris, UNESCO, 1979, p.102

4 Werewere Liking, Entretien avec Michelle Mielly sur le panafricanisme, Abidjan, 2002.

5 Mot régulièrement utilisé par l’équipe féministe de la revue Labrys, Brésil.

 

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