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études féministes/ estudos feministas Brève présentation de quelques théories lesbiennes Jules Falquet Résumé : Ce travail présente un certain nombre de théories et de luttes produites par des lesbiennes et leur mouvement dans différentes parties du monde, principalement francophones, nord-américaines et latino-américaines et caribéennes. J’y souligne des éléments relativement peu connus qui tendent à une critique radicale, aussi bien de la sexualité dans son ensemble, que de l’hétérosexualité comme système politique et du système patriarcal, raciste et classiste en vigueur. Le texte comporte six parties. D’abord, une contextualisation historique et culturelle de la grande variété des pratiques sexuelles et amoureuses entre les femmes, que l’on appelle depuis peu lesbianisme. J’explique ensuite l’usage du terme de « lesbienne », plutôt que gay ou homosexuelle, avant de présenter l’apparition du mouvement lesbien et ses rapports complexes avec les mouvements féministe et homosexuel. J’évoque ensuite les bases théoriques du mouvement lesbien autonome, puis les apports et les remises en cause des lesbiennes non-blanches et prolétaires, avant de finir par les théories libérales « pro-sexe » et « queer » blanches, qui se dessinent plutôt comme un retour vers des positions marquées par la pensée patriarcale. Mots-clés : lesbienne, mouvement lesbien, théorie lesbienne, féminisme, homosexualité féminine, hétérosexualité, racisme, classe
Ce travail présente un certain nombre de théories et de luttes produites par des lesbiennes et leur mouvement dans différentes parties du monde. Délibérément, je laisserai de côté de nombreux thèmes plus connus comme la pathologisation et le répression du lesbianisme, ainsi que la plupart des tendances insérées dans le mouvement homosexuel mixte. La plupart de ces tendances sont liées à la lutte contre le sida puis plus récemment à des revendications de « mariage » et d’égalité des droits. Elles s’inscrivent dans une perspective de « tolérance » ou mieux, de « reconnaissance » des différentes « préférences sexuelles ». Il s’agit donc fondamentalement de luttes « libérales » pour l’obtention de libertés individuelles et d’une intégration dans la société hétérosexuelle. Certes, ces luttes ont une importance, mais elles ne remettent pas fondamentalement en question le système social. Dans cet article, au contraire, je souhaite mettre en lumière des éléments moins connus qui tendent à une critique radicale, aussi bien de la sexualité dans son ensemble, que de l’hétérosexualité comme système politique et du système patriarcal, raciste et classiste en vigueur. Ce texte se base principalement sur les actions et les réflexions de trois grandes séries de groupes et de lesbiennes : francophones, nord-américaines et latino-américaines et caribéennes. L’histoire lesbienne d’Asie, d’Afrique et d’Océanie devra être cherchée dans d’autres textes. Globalement, on sait que les femmes qui bénéficient des meilleures conditions pour produire des théories et les faire connaître sont majoritairement occidentales, blanches, urbaines et de classe moyenne ou supérieure. Ce sont malheureusement surtout ces théories dont je parlerai ici, ne connaissant pas suffisamment les autres. Finalement, je dois dire que cette présentation est une reconstruction à postériori, faite depuis une position engagée, féministe et lesbienne. Elle est forcément simplificatrice et comporte des arbitrariétés. C’est pourquoi j’encourage les lectrices à chercher ailleurs d’autres informations pour compléter et corriger cette très brève présentation de quelques théories lesbiennes. Le texte comporte six parties. D’abord, une contextualisation historique et culturelle de la grande variété des pratiques sexuelles et amoureuses entre les femmes, que l’on appelle depuis peu lesbianisme. J’explique ensuite rapidement pourquoi l’usage du terme de « lesbienne », plutôt que gay ou homosexuelle, est important, avant de présenter l’apparition du mouvement lesbien et ses rapports complexes avec les mouvements féministe et homosexuel. J’évoque ensuite les bases théoriques communes du mouvement lesbien autonome [1] qui se forme progressivement. Puis je présente d’autres développements de la théorie et des luttes lesbiennes, en particulier les apports et les remises en cause des lesbiennes non-blanches et prolétaires. Finalement, j’évoque les théories libérales « pro-sexe » et « queer », qui se dessinent plutôt comme un retour vers des positions fortement influencées par la pensée patriarcale. 1. Variété des pratiques sexuelles et amoureuses entre les femmes et de la signification qui leur est attribuée A des époques et dans des cultures très différentes, des femmes ont établi des relations sexuelles, amoureuses et/ou affectives privilégiées avec d’autres femmes. Les exemples sont très variés. On trouve un longue liste de poètes qui ont témoigné à la première personne de leur lesbianisme, depuis Sappho de la Lesbos antique jusqu’à l’afro-nord-américaine Audre Lorde, disparue en 1993 et qui fut à la fois théoricienne, militante et écrivaine admirée (Lorde, 1982 a, 1984). De l’Inde de l’époque pré-védique, on connaît des mythes qui parlent du rôle de premier plan des femmes et des sculptures très explicites de relations sexuelles entre femmes (Thadani, 1996). Au Zimbabwe, la militante lesbienne Tsitsi Tiripano (disparue en 2001) et le groupe lesbien et gay GALZ au sein duquel elle militait sont la preuve éclatante que le lesbianisme existe dans les cultures africaines (Aarmo, 1999). A Sumatra, en Indonésie, les « tomboys » sont des femmes « masculines » qui établissent des relations de couple avec d’autres femmes (Blackwood, 1999). De son côté, l’anthropologie a fait connaître depuis longtemps le cas des chamanes appellé-e-s « berdaches » chez les populations indiennes du nord du continent américain : il s’agit de personnes qui, bien qu’étant nées femmes ou hommes, sont considérées socialement comme appartenant au sexe/genre opposé et établissent donc leurs relations amoureuses et sexuelles avec des personnes du même sexe (2)[2]. De manière plus générale, de nombreuses populations indiennes de ce continent utilisent la notion de « double-esprit » pour parler de personnes qui possèdent souvent des pouvoirs magiques-chamaniques et qui seraient considérées comme homosexuelles dans les conceptions occidentales actuelles (Lang, 1999). Cependant, chaque société construit et interprète ces pratiques sexuelles et amoureuses entre femmes de manière différente. Leur visibilité et leur légitimité varient énormément selon comment chaque société définit ce qu’est une femme ou un homme, comme l’analyse l’anthropologue française Nicole Claude Mathieu dans un article essentiel sur la diversité des formes d’articulation entre sexe, genre et sexualité (Mathieu, 1991). Par exemple, certaines sociétés pensent qu’il n’existe qu’un seul genre (masculin), sous-divisé en deux sexes, comme la société africaine des ¡Kung! du désert du Kalahari. Près du cercle polaire, la société Inuit pour sa part attribue un ou plusieurs genre(s) aux bébés en fonction du genre des personnes qui se sont réincarnées dans ce bébé. Ainsi, une fillette peut être considérée socialement comme un petit garçon pour peu que l’esprit de son grand-père revive en elle. Cependant, en arrivant à la puberté, les enfants subissent une réintégration dans leur sexe biologique en vue du mariage reproductif. Dans une trentaine au moins de sociétés africaines, comme chez les Nandi du Kenya occidental, il existe des formes de mariage entre femmes, sans que celles-ci soient lesbiennes (Amadiume, 1987 ; Oboler, 1980). Généralement, il s’agit pour une femme riche et âgée d’avoir une descendance : elle épouse alors une femme plus jeune qui lui fournira ces enfants en ayant des relations sexuelles avec un homme. Face à cette complexité des arrangements culturels autour du sexe, du genre et de la sexualité, il n’est pas si simple de définir ce qu’est une femme, encore moins ce que sont l’hétérosexualité et l’homosexualité. Cependant, dans la plupart des cultures qu’on connaît et qui existent aujourd’hui, ce sont des arrangements nettement patriarcaux et basés sur une norme hétérosexuelle, qui dominent. De plus, beaucoup de religions se chargent de condamner absolument tout ce qui n’est pas directement utile à la reproduction. C’est pourquoi les relations sexuelles entre femmes sont presque toujours tabou, sévèrement condamnées et rendues invisibles. Il n’est donc pas surprenant que ces relations aient été peu étudiées et très souvent déformées et traitées avec fort peu de sérieux scientifique, comme le montre le cas des fameuses Amazones. On a dit d’elles, parfois qu’elles vivaient aux marges de la Grèce antique, d’autres fois en Amazonie. Leur mode de vie supposé a fait l’objet de toutes sortes de fantasmes et de théories, qui se sont mêlés progressivement à des bribes de description de l’existence bien réelle des féroces guerrières du roi du Dahomey. A ce jour, aucune étude historique sérieuse n’a pu démonter l’existence des Amazones, encore moins rendre compte de leurs pratiques sexuelles. Pourtant, elles constituent un des plus puissants symboles du lesbianisme, comme le montre bien l’ouvrage que leur a consacré la chercheuse et éditrice française Geneviève Pastre (Pastre, 1996). Le fait d’attribuer un ensemble de caractéristiques particulières à des personnes en fonction de leurs pratiques sexuelles est un phénomène récent du monde occidental. Le processus implique au moins trois étapes : conférer aux personnes une identité « sexuelle » sur la base de pratiques sexuelles, décréter que cette identité est stable et permanente, enfin, faire coïncider cette « identité » avec un type de caractère ou de personnalité. Même ainsi, le vocable « lesbienne » et la catégorie sociale qui lui est associée ne se sont imposées que de manière progressive. C’est d’abord le terme « tribadisme » qui a été employé pour désigner les relations sexuelles entre femmes à partir du Moyen-Age, comme le souligne l’historienne française Marie-Jo Bonnet (Bonnet, 1995). A partir de la fin du XIX ème siècle, la médecine et surtout la psychiatrie naissante commencent à s’intéresser à ce qu’on appelle alors le « troisième sexe », intervenant avec force dans le processus de catégorisation de ces personnes comme « inverties » et dans leur pathologisation, afin de chercher ensuite à les « guérir » (Lhomond, 1991). La sexologie, qui apparaît au début du XX ème siècle, poursuit cette tendance classificatoire et normalisatrice (Jaspard, 1997). Havelock Ellis, un de ses fondateurs, développe l’hypothèse d’une origine congénitale de l’homosexualité, dans l’espoir de soustraire les homosexuel-le-s à la répression et aux tentatives de les « guérir ». Le modèle de la sexologie devient plus complexe en incorporant des éléments de la psychanalyse —elle aussi déterministe, même si elle ne place pas la cause de l’homosexualité dans la biologie mais dans la psychologie. Sur la base de l’analyse qu’il réalisait discrètement avec sa propre fille et de l’observation d’une seule autre patiente, « Dora », une jeune fille de 18 ans qui ne souhaitait nullement être « guérie » et dont lui-même reconnaissait qu’elle n’était pas « malade », Freud interprète l’homosexualité féminine comme une simple symétrie de l’homosexualité masculine et une signe « d’immaturité » dans le développement psycho-sexuel des femmes (Rieder, Voigt, 2003). Pendant ce temps pourtant, en Europe, au cours des années vingt et trente, les pratiques lesbiennes sont vues avec une relative « ouverture d’esprit » et assez largement répandues, du moins dans les milieux sociaux aisés et tant que les femmes se marient pour sauver les apparences. Les lesbiennes les plus affirmées acquièrent même une certaine visibilité : à Paris, le célèbre couple de nord-américaines composé de Gertrude Stein et Alice Toklas organise des cercles littéraires dans le quartier des artistes qu’est alors Montparnasse. A Berlin, les lieux de sociabilité lesbienne se multiplient —avant que le fascisme ne fasse tout disparaître, assassinant ou obligeant à l’exil ou à la clandestinité les lesbiennes et les homosexuels. A Londres, Radclyffe Hall publie son célèbre « Puits de solitude », qui lui vaudra la violente condamnation de la société bien-pensante [3] (Tamagne, 2000). Comme un contre-feu, en France la littérature hétérosexuelle et l’industrie de la mode popularisent le personnage ambigü de la « garçonne », femme « moderne » aux cheveux courts et qui défie la morale sexuelle traditionnelle, mais qui n’est pas nécessairement lesbienne, loin s’en faut (Bard, 1998). 2. Homosexuelles ou lesbiennes ? Bien qu’on utilise souvent comme synonymes les termes lesbienne, homosexuelle ou (femme) gay, il existe en réalité un débat politique à ce sujet, porté par la réflexion féministe et lesbienne. Le concept d’homosexualité fait référence à un ensemble de pratiques sexuelles, amoureuses ou affectives entre au moins deux personnes du même sexe. Si elles viennent à être « découvertes », ces pratiques « privées » peuvent attirer désapprobation et répression de toutes sortes. Cependant, les personnes concernées peuvent décider de faire elles-mêmes connaître publiquement leurs pratiques. Elles font alors leur coming out ou « sortie du placard » et revendiquent sans plus de honte une « identité » stigmatisée. Se nommer soi-même « gay » ou « homo » a l’avantage de rendre visible un vécu (sexuel, mais aussi social et quotidien) qui est en partie différent du vécu des personnes restées fidèles à la norme hétérosexuelle. Cependant, les termes « homo » ou « gay » créent un parallélisme réducteur et trompeur entre la situation des hommes et celle des femmes. En effet, le féminisme a largement démontré que dans la plupart des cultures connues, l’oppression patriarcale place structurellement les femmes dans une position sociale très différente de celle des hommes. Pour vivre dans leur corps, exercer leur sexualité et simplement pour exister, la plupart des femmes se trouvent dans des conditions beaucoup moins avantageuses que les hommes —fussent-ils homosexuels. C’est pourquoi utiliser le terme de lesbienne permet d’éviter la confusion entre des pratiques qui, même si elles sont toutes homosexuelles, n’ont absolument pas le même sens ni les mêmes conditions de possibilité et moins encore la même portée politique, selon le sexe des personnes concernées. Le mot « lesbienne », aujourd’hui plus ou moins passé dans le français courant pour désigner l’ensemble des femmes homosexuelles, a une histoire politique. En effet, dans les années quatre-vingt, ce terme a été revendiqué spécifiquement par le mouvement lesbien féministe et lesbien radical pour souligner le sens politique et collectif, de l’amour entre les femmes (par opposition à une pratique individuelle, exclusivement privée). Dans ce contexte, le mot lesbienne fait référence à un lesbianisme politique, c’est-à-dire une critique en actes et une mise en question théorique du système hétérosexuel d’organisation de la société. Selon l’analyse lesbienne-féministe, ce système hétérosexuel repose sur la division très stricte de l’humanité en deux genres prétendument basés sur la « nature ». Femmes et hommes sont rigoureusement opposés et forcés à maintenir des relations de « complémentarité » particulièrement inégalitaires. Cette « complémentarité » n’est rien d’autre que la justification d’une division du travail rigide, où les femmes sont impitoyablement exploitées dans les domaines domestique, du travail rémunéré, de la reproduction, de la sexualité et dans la sphère émotionnelle. C’est pourquoi, en problématisant et en critiquant l’hétérosexualité comme système, le lesbianisme dans sa dimension politique remet profondément en cause le système dominant. Il constitue une rupture épistémologique majeure et invite à une profonde révolution culturelle et sociale. 3. L’apparition du mouvement lesbien C’est à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix que le mouvement lesbien apparaît, aussi bien dans le monde occidental que dans un certain nombre de grandes villes du Sud. Ce mouvement social naît dans un climat de prospérité économique et de profonds changements sociaux et politiques : développement de la société de consommation et « modernité » triomphante, décolonisation et émergence de perspectives révolutionnaires les plus diverses. Beaucoup moins étudié que les mouvements des droits civils, Noir, Indien, étudiant ou même que le mouvement des femmes, il fait pourtant partie des « nouveaux mouvement sociaux » qui fleurissent à cette époque en débordant les organisations « de classe » qui dominaient jusqu’alors. Aussi bien sur le plan idéologique que sur le plan organisationnel, le mouvement lesbien se développe en lien étroit avec deux autres mouvements : d’un côté, le mouvement féministe de la « deuxième vague », de l’autre, le mouvement homosexuel qui se construit rapidement à la suite de l’ « insurrection urbaine » de Stonewall en 1969. (Cette « insurrection » faisait suite à une énième provocation policière au Stonewall Inn, bar homosexuel de New York. Elle est aujourd’hui célébrée à travers le monde par les manifestations de la Pride ou « Fierté gay et lesbienne »). Cependant, le mouvement lesbien prend progressivement son autonomie. Du côté du mouvement homosexuel, on observe un phénomène similaire dans de nombreux endroits : les hommes qui dominent la plupart des organisations se montrent volontiers misogynes, le fonctionnement des groupes est patriarcal, les objectifs sont phallocentriques. En tant que femmes et fortes des avancées des luttes féministes, les lesbiennes expliquent publiquement leurs désaccords, quittent les groupes mixtes et fondent leurs propres organisations. De l’autre côté, en tant qu’homosexuelles, de nombreuses lesbiennes finissent par se sentir à l’étroit dans le mouvement féministe. Plus exactement, au début, le mouvement féministe constitue pour elles un espace très important où lutter avec d’autres femmes qui combattent elles aussi l’oppression, les stéréotypes et les limitations sociales associés à la féminité. C’est également un lieu extrêmement bienvenu où rencontrer d’autres lesbiennes, un espace favorable à l’élévation de l’estime de soi et à la « sortie du placard ». De nombreuses lesbiennes contribuent donc très activement à la construction du mouvement féministe, dont elles se sentent alors totalement partie intégrante, aussi bien individuellement que par le biais de leurs groupes. Cependant, certaines autres féministes les perçoivent comme une remise en cause de leur hétérosexualité ou de leur lesbianisme « de placard », ce qui provoque souvent des frictions interpersonnelles. Corrélativement, sur un plan collectif, une bonne partie du mouvement féministe se laisse intimider par le message social qui exige qu’en échange d’un respect minimum, le mouvement fasse taire et cache les lesbiennes et leurs revendications. Alors que les lesbiennes luttent pour toutes les causes des femmes, même si elles ne les concernent pas toujours directement (notamment la contraception et l’interruption volontaire de grossesse), les autres femmes se montrent généralement très réservées à l’heure de lutter pour des causes lesbiennes ou de mettre en question l’hétérosexualité (CLEF, 1989). Certaines lesbiennes commencent donc à chercher une voie propre, créant des espaces autonomes de réflexion et de lutte politique. 4. Affirmation théorique du mouvement lesbien Face à ce double défi, à la fin des années soixante-dix, la réflexion théorique spécifiquement lesbienne prend son essor, sur la base des analyses féministes. Deux grandes théoriciennes-militantes se détachent, dans des perspectives passablement différentes. Lasse du milieu français et vivant déjà aux Etats-Unis depuis quelques années, une jeune écrivaine célébrée comme héritière du « nouveau roman », Monique Wittig, élabore une réflexion particulièrement novatrice qui remet en cause les bases mêmes de l’analyse féministe. Présenté une première fois lors d’une conférence tenue en 1978 aux Etats-Unis, son travail est publié en français en 1980 par la revue Questions Féministes, dans deux textes fondateurs : « On ne naît pas femme » et « La pensée straight ». Au-delà du système patriarcal, Wittig pose l’existence d’un régime politique encore plus central : l’hétérosexualité, dont l’axe idéologique est précisément ce qu’elle appelle « la pensée straight » (Wittig, 2001). Wittig reprend le concept central du féminisme matérialiste français, celui de « classes de sexes », selon lequel les femmes et les hommes sont des catégories politiques qui ne peuvent exister l’une sans l’autre [4] . Elle explique : « “Lesbienne” est le seul concept que je connaisse qui soit au-delà des catégories de sexe (femme et homme), parce que le sujet désigné (lesbienne) n’est pas une femme, ni économiquement, ni politiquement, ni idéologiquement. Car en effet, ce qui fait une femme, c’est la relation sociale particulière à un homme, relation que nous avons autrefois appelée servage, relation qui implique des obligations personnelles et physiques aussi bien que des obligations économiques (‘assignation à résidence’, corvée domestique, devoir conjugal, production d’enfants illimitée, etc.), relation à laquelle les lesbiennes échappent en refusant de devenir ou de rester hétérosexuelles. Nous sommes transfuges à notre classe de la même façon que les esclaves « marron » américains l’étaient en échappant à l’esclavage et en devenant des hommes et des femmes libres, c’est-à-dire que c’est pour nous une nécessité absolue, et comme pour eux et pour elles, notre survie exige de contribuer de toutes nos forces à la destruction de la classe —les femmes— dans laquelle les hommes s’approprient les femmes et cela ne peut s’accomplir que par la destruction de l’hétérosexualité comme système social basé sur l’oppression et l’appropriation des femmes par les hommes et qui produit le corps de doctrines sur la différence entre les sexes pour justifier cette oppression. » (Wittig, 1980). Avec cette réflexion, Wittig pose les bases d’une théorie lesbienne autonome et ouvre la voie à un puissant courant d’analyse et de pratiques politiques qui débouche sur la constitution d’un véritable mouvement lesbien, qui dans certains cas se sépare très nettement du féminisme. En France par exemple, ses affirmations nourrissent les débats très vifs qui avaient déjà commencé dans le mouvement féministe, provoqués notamment par un groupe lesbien formé en 1979, « Les lesbiennes de Jussieu ». Ces débats aboutissent à une rupture politique particulièrement dure à partir de 1980 qui conduit notamment à l’éclatement de la revue Questions Féministes et à l’apparition d’un mouvement qui sera connu comme celui des lesbiennes séparatistes. Dans son premier numéro, Nouvelles Questions Féministes, revue qui fait suite à Questions Féministes, publie la traduction d’un article de la poète nord-américaine Adrienne Rich paru dans Signs et qui vient de faire grand bruit : « Compulsory heterosexuality and lesbian existence » (Hétérosexualité obligatoire et existence lesbienne, (Rich, 1980/81)) [5]. Dans cet article, Rich dénonce l’hétérosexualité obligatoire comme norme sociale et l’invisibilisation du lesbianisme, jusque dans le mouvement féministe. Elle place le lesbianisme dans la perspective d’un « continuum lesbien » qui unirait toutes les femmes qui s’éloignent de l’hétérosexualité de diverses manières et tentent de développer les liens entre les femmes. Ce « continuum lesbien » est celui des femmes qui, indépendamment de leur sexualité, partagent leurs énergies dans la perspective d’une lutte commune contre le système patriarcal. Ayant déjà analysé la maternité et les liens mère-fille dans son livre « Of woman born » (Né-e d’une femme), ainsi que le racisme entre femmes et entre lesbiennes, Rich souhaite la construction d’une véritable « sororité » féministe, non pas « naturelle » et naïve, mais bel et bien volontaire et clairement politique, qui donne à chacune, lesbiennes et hétérosexuelles, une juste place dans la lutte pour la libération commune. C’est ainsi qu’elle affirme : « il est fondamental que nous comprenions le féminisme lesbien dans son sens le plus profond et radical, comme l’amour pour nous-mêmes et pour les autres femmes, l’engagement pour la liberté de toutes et chacune d’entre nous, qui transcende la catégorie de « préférence sexuelle » et celle des droits civils, pour se transformer en une politique qui pose des questions de femmes qui luttent pour un monde où l’intégrité de toutes —et non pas d’une poignée d’élues— soit reconnue et prise en considération dans tous les domaines de la culture. » (Rich, 1983). « Cadré » par ces deux auteures, dont la pensée très riche peut donner naissance à des développement extrêmement variés, le « lesbianisme politique » se développe en différents endroits et à des périodes diverses, tout à la fois dans le prolongement et en rupture avec le féminisme. Il constitue un ensemble complexe de pratiques et de réflexions théoriques mélangées et parfois contradictoires, d’autant plus que les lesbiennes et leurs théories voyagent d’un pays à l’autre, sans que la traduction des concepts soit toujours pleinement satisfaisante —car un même terme comme « radical » ou « séparatiste » possède des connotations très différentes selon les langues et surtout selon l’histoire des luttes dans chaque pays. Ici, à grands traits en simplifiant des réalités beaucoup plus complexes, nous distinguerons trois grands courants : le lesbianisme séparatiste, le lesbianisme féministe et le lesbianisme radical. Le lesbianisme séparatiste est théorisé par Jill Jonston aux Etats-Unis dès 1973 (Jonston, 1973). Selon les pays, il possède des expressions et des connotations très variées. Généralement, il débouche sur la création ou sur la conquête d’espaces physiques ou symboliques par et pour lesbiennes seulement : communes rurales ou urbaines, squatts, terres de femmes, festivals de cinéma ou de musique, revues, maisons d’édition, espaces de sociabilité en tous genre et de lutte politique. De même que parmi les féministes, on trouve des lesbiennes séparatistes notoirement essentialistes, comme le signale une analyse critique de Ti Grace Atkinson (Atkinson, 1984). Ce courant a été également décrié comme répondant uniquement aux intérêts des lesbiennes blanches, par d’autres lesbiennes qui n’envisagent absolument pas de séparer leur lutte de celle de leurs « frères » noirs ou latinos par exemple. Certaines lesbiennes séparatistes s’orientent vers la remise au goût du jour de divers cultes aux déesses et la recherche de spiritualités différentes. D’autres au contraire se consacrent à la création de groupes politiques dans l’ici et maintenant. Globalement, les lesbiennes séparatistes luttent pour (re)créer une culture et une éthique lesbiennes (Hoagland & Penelope, 1988; Hoagland, 1989, Demczuk, 1998). Et c’est très probablement grâce à l’énergie que donne le fait de se consacrer exclusivement aux questions lesbiennes, que les séparatistes ont réussi à faire avancer de manière aussi importante la politique lesbienne. Le lesbianisme féministe quant à lui critique l’hétéroféminisme pour son manque de réflexion sur la question de l’hétérosexualité, mais insiste sur la nécessité que toutes les femmes développent une solidarité politique (comme classe de sexe) car elles ont toutes intérêt à en finir avec l’hétéropatriarcat (Green, 1997). L’usage du concept de lesbophobie, que l’on peut retrouver dans les autres courants, est plus typique de ce courant. Suzanne Pharr en particulier en fait une analyse très convaincante, comme d’une arme sexiste contre l’ensemble des femmes —tout comme le « stigmate de la pute » mis en évidence par Gaïl Pheterson, qu’il rejoint parfois (Pharr, 1988 ; Pheterson, 2001). Apparemment centrée sur le contrôle de l’apparence vestimentaire ou de la gestualité, la lesbophobie cache aussi des intérêts économiques masculins très concrets. Elle peut être mobilisée contre n’importe quelle femme qui s’éloignerait des positions que lui assigne la division sexuelle patriarcale du travail, notamment si elle souhaite avoir accès en propre aux moyens de production ou exercer des professions « masculines » (avec plus de pouvoir ou une meilleure rémunération à la clé). Accuser les femmes autonomes et dynamiques de lesbianisme et leur faire vivre l’ostracisme social parfois brutal qui est alors la règle est une manière souvent efficace de les freiner ou de les faire renoncer à leurs projets. Le lesbianisme radical, finalement, est une tendance fondamentalement francophone qui s’articule autour de la pensée de Monique Wittig et de la revue québécoise Amazones d’Hier, Lesbiennes d’Aujourd’hui (AHLA [6]. Le lesbianisme radical reprend entre autres les travaux de la féministe matérialiste française Colette Guillaumin sur le « sexage » (Guillaumin, 1992), pour articuler progressivement une analyse plus complexe de l’oppression des femmes. Pour ce courant, les lesbiennes échappent bien à l’appropriation privée de la part des hommes, mais elles ne se libèrent pas pour autant de l’appropriation collective, ce qui les maintient dans la classe des femmes et implique donc de mener des luttes conjointes (Turcotte, 1998, Causse, 2000). Toutes ces tendances, très souvent mêlées dans la pratique quotidienne, constitueront le mouvement lesbien, avec des groupes aussi variés qu’Oikabeth (« Femmes guerrières qui ouvrent des chemins et répandent des fleurs ») qui est fondé en 1977 à Mexico, le Collectif Ayuquelén, créé en 1984 pendant la dictature au Chili (Mogrovejo, 2000), les Entendidas nées en 1986 au Costa Rica (« celles qui comprennent », un terme qui signifie lesbiennes), ou encore les Gouines rouges ou les Archives de recherche et culture lesbienne de Paris. Le mouvement cherche bien vite à se doter de mécanismes d’articulation internationale, notamment un éphémère Front lesbien international fondé en 1974 à Francfort, le plus durable ILIS (Système lesbien d’information internationale) apparu en 1977 à Amsterdam, ou depuis 1987 les Rencontres lesbiennes-féministes latino-américaines et des Caraïbes —les groupes d’Asie s’organisant en différents réseaux au cours de la décennie suivante. La décennie quatre-vingt apparaît rétrospectivement comme celle du plus grand développement d’un mouvement spécifiquement lesbien, autonome et radicalement critique, avec un foisonnement d’actions, de lieux, de manifestations, de revues, d’idées, et même —signe d’une claire conscience de soi et d’une ferme volonté de se créer une histoire propre— l’ouverture progressive « d’archives lesbiennes » d’abord à New York et Paris puis jusqu’à Mexico ou Moscou. 5. Multiplicité des lesbiennes Dès les années soixante-dix, de nombreuses féministes et lesbiennes Noires, souvent prolétaires, critiquent le racisme et le classisme du féminisme nord-américain. Elles créent des organisations autonomes, parmi lesquelles Salsa Soul Sisters et le Combahee River Collective, à Boston. Ce dernier, qui est un groupe pionnier fondé en 1974, produit en 1977 la très importante « Déclaration Féministe Noire », où les auteures affirment leur engagement dans la lutte « contre l’oppression raciale, sexuelle, hétérosexuelle et de classe ». Elles ajoutent que « en tant que Noires, nous voyons le féminisme noir comme le mouvement politique logique pour combattre les oppressions simultanées et multiples auxquelles toutes les femmes de couleur doivent faire face » (Moraga, Anzaldúa, 1981). En 1979, à l’initiative de deux Chicanas, Gloria Anzaldúa et Cherríe Moraga, naît le projet d’un livre qui recueille les expériences et les voix d’un ensemble de femmes et de lesbiennes « de couleur » aux Etats-Unis, dans une démarche de recherche d’unité et de visibilité. Dans ce recueil, des Noires, des Indiennes, des Asiatiques et des Latinas, ainsi que des femmes migrantes et des réfugiées, affirment qu’il leur est impossible de choisir entre leur identité en tant que femme et leur identité en tant que personnes « de couleur ». Elles dénoncent le sexisme et la lesbophobie des mouvements progressistes et anti-racistes, mais également le racisme et le classisme qui se manifestent dans le mouvement féministe et lesbien —où les femmes blanches, « anglos » ou « caucasiennes » voudraient qu’elles demeurent silencieuses (Moraga, Anzaldúa, 1981 ; Lorde, 1984). Pour que personne ne puisse plus nier ou s’approprier leur parole, elles organisent leurs propres structures éditoriales, en particulier la célèbre Kitchen Table Press, fondée notamment par Cherrie Moraga, Audre Lorde et Barbara Smith et qui se consacre exclusivement à la publication des travaux de féministes et de lesbiennes « de couleur » (Smith, 1983). Ainsi, les années quatre-vingt sont aussi celles de la montée en puissance d’une série de critiques à l’hégémonie du modèle blanc, occidental et de classe moyenne qui sous-tend une grande partie du mouvement lesbien et féministe. Le milieu universitaire, où des études lesbiennes commencent à apparaître timidement à l’abri tout relatif de départements d’histoire et de littérature, emboîte le pas aux militantes. Des premières recherches sont faites sur les « amitiés romantiques » entre femmes au XIX ème siècle (Faderman, 1981). Elles soulignent que ces amitiés ont un caractère politique et défient la morale dominante, à une époque où même le féminisme n’osait pas remettre en cause l’hétérosexualité. Cependant, les protagonistes de cette histoire sont pour la plupart des femmes occidentales et de classe moyenne ou supérieure. Or d’autres lesbiennes souhaitent écrire une histoire plus vaste, incluant les dimensions de classe et de « race [7] ». Les Etats-Unis des années cinquante sont ceux de l’activiste noire Mabel Hampton, mais aussi de la toute jeune Audre Lorde, qui raconte dans son autobiographie combien elle s’est sentie isolée en plein New York durant toute la période mac-carthyste, en tant que noire, lesbienne, pauvre, jeune et ne correspondant pas aux critères de beauté dominants (Lorde, 1982 a). Apparaissent progressivement des travaux qui soulignent le grand rôle des lesbiennes prolétaires et pas nécessairement Blanches dans la création de véritables communautés lesbiennes, bien avant les années soixante-dix et la deuxième vague du mouvement féministe. L’étude de Davies et Kennedy sur la communauté lesbienne de la petite ville de Buffalo aux Etats-unis, dans les années cinquante, en est un bon exemple (Davis & Kennedy, 1989). La plupart de ces communautés affrontaient le milieu plutôt hostile des villes de province, sortant dans des bars populaires où elles défendaient une visibilité relative sur la base des codes amoureux et sociaux connus comme « butch » et « fems » (les « butch » étant des lesbiennes « masculines » selon la société dominante tandis que les « fems » sont des lesbiennes que la société qualifierait de « féminines » (Feinberg, 1993 ; Triton, 2000 ; Nestle, 1981). Vingt ans plus tard, le mouvement féministe des années soixante-dix, dominée par des femmes de classe moyenne vivant dans des grandes villes, critiquait ces rôles comme une reproduction aliénée, obsolète et indésirable de l’hétérosexualité. Or précisément, certaines lesbiennes des années quatre-vingt et quatre-vingt dix revendiquent à nouveau ces rôles. Elles les analysent comme une manière courageuse de vivre et de se rendre visibles —les « butch » en particulier défiant fièrement le monopole masculin d’accès aux femmes et par rapport à certaines manières de se comporter, de s’habiller etc. Ces rôles constitueraient un jeu conscient et délibéré qui se moque des codes hétérosexuels de la masculinité et de la féminité, parfaitement arbitraires, et qui les subvertit. Surtout, certaines lesbiennes affirment que cette façon de vivre leur plaît et correspond à une recherche érotique qui marque la dimension sexuelle du lesbianisme, parfois passée au second plan dans le lesbianisme politique (Lemoine & Renard, 2001). Dans le même ordre d’idées, certaines lesbiennes se réapproprient le terme anglais de dyke [8], très méprisant à l’origine et aux fortes connotations populaires, pour échapper à l’image « trop lisse », classe moyenne et acceptable des lesbiennes. Au cours des années quatre-vingt puis surtout quatre-vingt dix, un certain nombre de femmes non-blanches affirment leur existence et leurs luttes, non plus seulement comme féministes mais spécifiquement comme lesbiennes, qu’elles soient Noires, Black ou Afro (Clarke, 1986, Mc Kinley & De Laney, 1995 ; Curiel, 1999), Asiatiques (Mason-John, 1995), Latinas, Autochtones ou Juives (Bulkin, 1988; Torton Beck 1989; Balka & Rose, 1991). Beaucoup d’entre elles, sur le plan politique, sont très engagées aux côtés de courants féministes révolutionnaires et « socialistes » [9], de la lutte contre le racisme, des mouvements anti-impérialistes et des groupes de quartier ou communautaires, qui luttent de manière extrêmement concrète contre les effets simultanés de l’oppression raciste, de classe et de sexe. De fait, beaucoup d’entre elles s’opposent comme on l’a vu au séparatisme lesbien, considérant qu’elles ne peuvent détacher leurs luttes en tant que lesbiennes des luttes des femmes hétérosexuelles, ni de celles des hommes de leur communauté. Plus récemment, à la croisée des féminismes « du Sud », des critiques post-modernistes au sujet universel et d’une réflexion sur le post-colonialisme, d’importantes tendances poursuivent la réflexion sur les positions sociales et les identités culturelles multiples des lesbiennes. Aujourd’hui, dans un monde très « globalisé », de nombreuses voix dénoncent un certain universalisme qui consiste à voir partout des lesbiennes au sens occidental. Certes, dans des cultures aussi diverses que celles du Lesotho, de Tahiti, du Pérou et de la Thaïlande, on peut observer des pratiques sexuelles entre des personnes possédant « un corps sexué féminin » (Wieringa, 2000). Mais il est simplificateur, réductionniste et parfois tout simplement néo-colonialiste et raciste de les qualifier systématiquement et depuis une position de totale extériorité, de pratiques lesbiennes. En France, le Groupe du 6 novembre, fondé en 1999, réunit pour la première fois exclusivement des lesbiennes issues des migrations passées et présentes, de l’esclavage et de la colonisation. Dans une perspective extrêmement critique, ces lesbiennes refusent de garder plutôt le silence et dénoncent vigoureusement le racisme du mouvement lesbien français (Groupe du 6 novembre, 2001). La visibilité du lesbianisme, riche de toutes ces composantes, a progressé d’une manière inimaginable jusqu’à il y a peu, notamment par la création d’espaces de convergence internationale. Fréquemment, les lesbiennes organisent des activités spécifiques à l’occasion des événements du mouvement gay mixte, comme la manifestation qui a rassemblé plusieurs centaines de milliers de lesbiennes en juin 1994 pour les 25 ans de Stonewall, la veille de la manifestation « générale », ou les débats et forums lesbiens pendant les « Gays games » d’Amsterdam en 1997. Les lesbiennes créent aussi leurs propres espaces dans les événements concernant les femmes, comme la IV ème Conférence mondiale sur la femme organisée par l’ONU à Pékin en 1995, et dans des événements spécifiquement féministes comme les Rencontres féministes latino-américaines et des Caraïbes. Il faut signaler que malgré les difficultés liées à la répression lesbophobe sur le continent, six Rencontres lesbiennes-féministes latino-américaines et caribéennes ont déjà eu lieu, au Mexique, au Costa Rica, à Puerto Rico, en Argentine, au Brésil et au Mexique à nouveau [10]. En même temps que le mouvement se développe et s’internationalise, de grandes organisations comme ILIS et son homologue mixte ILGA (Association internationale lesbienne et gaie, qui possède un statut consultatif à l’ONU) se sont vu (timidement) reprocher leur volonté d’exporter du Nord vers le Sud leurs stratégies d’action et d’organisation, stratégies qui peuvent être par ailleurs critiquées pour leur caractère éminemment institutionnel (Mogrovejo, 2000). De fait, on remarque qu’au fur et à mesure de son développement, le mouvement lesbien s’est notablement institutionnalisé. Ses contenus se sont homogénéisés et ont perdu de leur radicalité, tandis que s’est dessiné une espèce de courant qui part de la lutte contre le sida et s’articule aujourd’hui autour de la revendication de la libre « préférence » sexuelle [11], du respect de la « diversité » et de la conquête du « mariage » —de la tolérance et de l’intégration sociale en somme. Trois éléments au moins concourent à cette « domestication » du lesbianisme : un rapprochement d’avec les hommes gays, leurs intérêts et leur « culture », l’influence idéologique et organisationnelle des organisations financières du Nord dont les nouvelles « institutions » lesbiennes sont devenues de plus en plus dépendantes, et enfin la « droitisation » de la plupart des sociétés. 6. « Nouvelle révolution sexuelle », genre, postmodernisme et dépolitisation Les années quatre-vingt sont marquées, aux Etats-Unis, par la crise économique et le renforcement d’un moralisme extrêment conservateur, symbolisé par le développement du mouvement « Provie » (opposé à l’avortement, mais également violemment anti-féministe et lesbophobe). C’est aussi l’époque phare du mouvement lesbien, en même temps que d’une « nouvelle révolution sexuelle » que l’on pourrait aussi bien lire, depuis le mouvement lesbien, comme un recul théorique et pratique, un retour à la pensée patriarcale-gay et une ré interprétation dépolitisante du concept de genre. A l’intérieur du mouvement féministe, éclate un virulent débat dont le point culminant est probablement la conférence annuelle du Barnard College de 1982, au cours duquel les organisatrices se proposaient d’analyser la « politique sexuelle » du mouvement. D’un côté, une ligne « libérale » sur la sexualité se développe, notamment autour des réflexions de Gayle Rubin. Pour elle, le problème principal est la hiérarchisation des sexualités et le fait que de manière tout à fait arbitraire, soit placé au sommet de la hiérarchie l’hétérosexualité reproductive et monogame, tandis que les sexualités « déviantes » sont discriminées et condamnées. L’important serait alors de parvenir à une alliance entre toutes les « minorités sexuelles » qui d’une manière ou d’une autre subvertissent l’hétérosexualité (Rubin, 1984). Cette analyse réduit une fois de plus le lesbianisme à la sexualité, et la sexualité lesbienne à une sexualité « différente » parmi tant d’autres. Autrement dit, elle efface toute la remise en cause politique globale de la société qui est à la base de la position lesbienne (féministe, radicale ou séparatiste). Allant plus loin encore dans cette direction « pro-sexe » libérale, certaines lesbiennes comme Pat Califia et le groupe S/M Samois n’hésitent pas à revendiquer le sado-masochisme lesbien comme une façon de « gagner du pouvoir » (empowerment) à travers la sexualité (Califia, 1981 y 1993 ; Samois, 1979 y 1981). De nombreuses lesbiennes et féministes ont vigoureusement dénoncé cette tendance comme anti-féministe, car elle se base sur l’érotisation patriarcale la plus éculée de la violence et de la domination. Audre Lorde par exemple affirme que « En tant que femme appartenant à une minorité, je sais parfaitement que la domination et la soumission ne sont pas des thèmes qui s’arrêtent au seuil de la chambre à coucher. » (Lorde, 1982 b). Cependant, Lorde se garde de tomber dans une critique individualisante moraliste de la sexualité et de la recherche du plaisir, puisqu’elle considère elle-même l’érotisme au sens le plus large comme un pouvoir (Lorde, 1984). Comme elle et au-delà de la critique du sado-masochisme, de nombreuses auteures s’insurgent surtout contre l’envahissement de l’imaginaire lesbien par la « mode » gay (les conduites sexuelles typiquement masculines et souvent très patriarcales étant présentées comme le véritable sexe « hot »). L’anglo-australienne Sheila Jeffreys analyse cette « mode » de manière particulièrement convaincante, comme l’indice d’un abaissement de l’estime d’elles-mêmes chez les lesbiennes, alors que depuis des années elles s’étaient donné pour but d’imaginer de nouvelles pratiques sexuelles et amoureuses congruentes avec leurs aspirations féministes. Elle montre que l’utilisation de la pornographie et de la prostitution, même « lesbiennes », a pour seul effet de renforcer un imaginaire patriarcal et de multiplier les gains de l’industrie du sexe, tout en conduisant à l’exploitation de femmes et de lesbiennes par d’autres lesbiennes (Jeffreys, 1996). La pensée queer (bizarre), partant d’une réflexion non pas tant sur la sexualité que sur le genre et popularisée par la nord-américaine Judith Butler et par l’Italienne établie aux Etats-Unis Teresa de Lauretis, rejoint en partie le courant « pro-sexe » libéral décrit plus haut. Fortement influencée par le post-modernisme, la pensée gay et la psychanalyse, Butler affirme que le genre serait une « performance », quelque chose de fluide, changeant et multiple, ce qui permettrait de « jouer » sur une registre identitaire variable et changeant (Butler, 1990). Les « transgenres », les travesti-e-s, les transsexuel-le-s, les drag-kings et les drag-queens [12], et même les hétérosexuel-le-s dissident-e-s viendraient rompre la tragique bipolarité des genres et questionner leur « naturalisation » [13]. Il existe des convergences entre une partie du mouvement queer et les apports des lesbiennes et de féministes « of color », dans la mesure où ces deux courants critiquent le sujet « universel » de la pensée « moderne » qui masque les intérêts exclusifs d’hommes blancs hétérosexuels et solvables (hooks, 1990). De Lauretis, quant à elle, effectue une réflexion à partir de la sémiotique de l’image cinématographique et dans ce cadre, conceptualise les lesbiennes comme des « sujets ex-centriques », à qui cette position ex-centrique permettrait de jeter sur le monde un regard neuf. En France, le premier groupe queer, le ZOO, formé en 1998, s’inspire de Butler et travaille à sa diffusion et à sa traduction en français (Bourcier, 2001 ; Preciado, 2000). Il effectue également une relecture de Wittig, ce qui confère à ce courant queer français un ancrage plus clairement féministe que son inspirateur nord-américain (Robichon & Bourcier, 2002). Bien que le mouvement queer ne se distingue pas par son caractère militant et descende très peu dans la rue, il possède un écho idéologique indubitable, perceptible notamment dans la multiplication des lesbiennes désireuses de lutter avec les autres « minorités sexuelles », comme en témoignent les références de plus en plus fréquentes à un mouvement « LGBT » (Lesbien, gay, bi et trans). Cependant, il existe une forte critique féministe, qu’expose magistralement Sheila Jeffreys en signalant que la perspective queer, très influencée par des imaginaires sexuels et sociaux patriarcaux et la conception masculine de la « libération sexuelle », repose sur des fondements profondément individualistes et idéalistes qui laissent indemnes les bases matérielles de l’exploitation, et en particulier de l’exploitation des femmes (Jeffreys, 1996). Comme l’écrit Barbara Smith : “Les activistes queer travaillent sur la question queer. Les thèmes du racisme, de l’oppression sexuelle et de l’exploitation économique ne semblent pas les intéresser, bien que, de fait, la plupart des personnes queer soient des gens de couleur, des femmes et des membres de la classe travailleuse. Quand ces personnes parlent d’autres oppressions ou d’autres mouvements, c’est pour échafauder des parallélismes qui légitiment la validité des droits lesbiens ou gays, ou pour penser à des alliances avec des organisations « respectables » (mainstream). Construire des coalitions unifiées aujourd’hui, qui défient le système et en dernière instance préparent le chemin pour un changement révolutionnaire : ce n’est tout simplement pas ce que les activistes queer ont à l’esprit. » (Smith, 1998). *** Pour conclure cette présentation de différents courants de pensées lesbiens, je dois souligner que la réalité est infiniment plus complexe que ce que j’ai pu décrire et que les influences réciproques rendent particulièrement difficile de donner une définition univoque des groupes et des mouvements. Il est certain qu’on a assisté depuis une quarantaine d’années à une accumulation de forces et à un approfondissement théorique et pratique considérable du mouvement lesbien dans son ensemble. En son sein, chaque tendance évolue selon son propre rythme, sans qu’aucune soit parvenue à s’imposer malgré les moyens conséquents que certaines lesbiennes ont su se donner. Des antagonismes politiques profonds subsistent, qui prennent leur source aussi bien dans des réalités sociales quotidiennes très différentes (selon la nationalité et la culture, la classe, la “race”, l’âge…) que dans des utopies divergentes. Le lesbianisme, comme mouvement et surtout comme mode de vie, s’est développé d’une manière dont on n’aurait jamais osé rêver il y a quelques décennies : cinéma, littérature et médias propres se sont renforcés, les lesbiennes se sont donné des espaces de rencontre, de loisirs et de culture de plus en plus importants. Des études lesbiennes apparaissent jusque dans certaines universités, tandis que se développent d’importants réseaux politiques. Cependant, les stratégies de visibilité et “d’identité” qui président à la plupart de ces avancées, que d’autres qualifient de tendances “communautaires”, ont été critiquées assez vivement. Certaines personnes y voient une tendance à l’enfermement (mal nommé ghettoïsation [14], d’autres l’expression d’un modèle “gay” masculin, d’autres encore une politique réformiste d’institutionnalisation qui débouche sur la récupération du mouvement, sa neutralisation ou sa normalisation —on verra à ce sujet la défense nuancée qu’en font Anne et Marine Rambach (Rambach, 2003). Il est en tout cas certain que la lutte contre le sida a contribué à renforcer l’organisation des lesbiennes, mais surtout les a rapprochées à nouveau du mouvement homosexuel mixte, dans lequel leur problématique propre disparaît bien souvent. Dans un certain nombre de pays du Nord et du Sud, on constate des avancées législatives, notamment contre la discrimination basée sur l’ “orientation sexuelle” ou dans le sens de la reconnaissance des unions entre femmes —même si l’adoption et la procréation restent généralement tabou. En France, c’est une lutte homosexuelle mixte —où les lesbiennes ont joué un rôle particulièrement important— qui a permis l’adoption du PACS. Au Mexique et au Brésil notamment, des évolutions semblables se produisent. En revanche, il n’existe pas encore de loi contre la lesbophobie en France, bien que la Coordination lesbienne nationale (féministe et non-mixte) y travaille. S’agit-il de conquêtes ? Ou bien d’une progressive ré-intégration sociale permise par la dépolitisation d’un mouvement désormais assagi, folklorisé, commercial et récupéré ? Ou encore d’une « soupape de sécurité » destinée à compenser la dureté croissante de notre exploitation économique et la déshumanisation des sociétés néolibérales ? L’extension de la « citoyenneté » aux lesbiennes (aux gays, aux femmes, aux Noir-e-s ou aux Indien-ne-s) peut être vue comme le résultat de lutte pour l’approfondissement de la démocratie, aussi bien que comme une manière de la part du système d’intégrer et de « fidéliser » de nouvelles couches de la population à un projet de société néolibéral en très grave crise de légitimité. En tout état de cause, ces évolutions ne doivent pas faire oublier le caractère profondément radical, subversif et transformateur de certaines propositions politiques lesbiennes, comme celle des Radicalesbians de New York qui écrivaient en 1970 : « Une lesbienne, c’est la rage de toutes les femmes concentrée jusqu’à son point d’explosion ! », ou celle de la lesbienne noire Cheryl Clarke qui affirmait que « Etre lesbienne dans une culture aussi suprémaciste-machiste, capitaliste, mysogyne, raciste, homophobe et impérialiste que celle des Etats-Unis, est un acte de résistance —une résistance qui doit être accueillie à travers le monde par toutes les forces progressistes. » (Clarke, 1988). Aujourd’hui, la féministe chilienne Margarita Pisano nous interpelle : “ Si nous ne repensons pas un mouvement lesbien, politique et civilisatoire, nous ne pourrons pas désarticuler le système. Si nous n’avons pas un regard critique, nous ne saurons pas si ce n’est pas depuis l’intérieur du mouvement lesbien lui-même que nous sommes en train de trahir nos politiques et nos potentialités civilisatoires. Quel a été le coût de cette succession de suppliques à la machine masculiniste pour qu’elle nous accepte et nous légitime ? » (Pisano, 2001) Finalement, il faut nous souvenir que la situation des lesbiennes a toujours accompagné les avancées et les reculs de celle des femmes. Il est vrai qu’on a assisté à certaines évolutions favorables, mais on constate également de profondes régressions : la misère et l’exploitation des femmes a augmenté plus que jamais dans l’histoire, surtout dans les pays du Sud, les religions patriarcales et les nationalismes se sont considérablement renforcées, le pays le plus puissant du monde est dirigé par un protestant fanatique, farouchement anti-avortement et profondément opposé au lesbianisme. Pour satisfaire leur soif de pouvoir, son père puis lui-même ont déclenché une série de conflits militaires gravissimes après avoir fomenté le développement de nombreux groupes fondamentalistes de différentes obédiences religieuses aux quatre coins de la planète. Ce serait une grave erreur que d’oublier que dans le monde, beaucoup de femmes (en nous incluant) ne sont ni libres ni heureuses et que dans énormément d’endroits, tout particulièrement hors des grandes villes, le lesbianisme reste tabou, réprimé, persécuté et durement châtié. Sous bien des latitudes, la vie des femmes, et à fortiori celle des lesbiennes, surtout si elles ne sont pas blanches ni riches, ne vaut pas très cher. C’est pourquoi la plus grande partie des luttes reste à mener. ************************************************* Petite histoire d’un article : Une première ébauche de ce texte, nécessairement très brève, a été publiée à l’entrée “lesbianisme” de la 2ème édition du Dictionnaire critique du féminisme (Helena Hirata, Françoise Laborie, Hélène Le Doaré, Danièle Sénotier, 2002, Paris : PUF). J’ai ensuite souhaité le rendre accessible en espagnol, en le traduisant, en l’adaptant et en l’allongeant considérablement. Il a été publié d’abord au Mexique : Jules Falquet, 2004. Breve reseña de algunas teorías lésbicas. México : Fem-e-Libros. 58 p., puis en Colombie, avec un autre article sur le thème du lesbianisme : Jules Falquet, 2006, De la cama a la calle : perspectivas teóricas lésbico-feministas. Bogotá : Brecha Lésbica. 83 p. Enfin, il est devenu accessible en ligne (en espagnol) sur le site de Brecha Lésbica : http://brechalesbica.wordpress.com/ La présente version française a été modifiée jusqu’en 2004, elle est à ce jour inédite. L’actualiser aujourd’hui (2011) aurait impliqué une ré-écriture de trop grande envergure. On peut en revanche consulter un article récent, en ligne, qui poursuit et actualise la présente réflexion : Jules Falquet, « Rompre le tabou de l’hétérosexualité, en finir avec la différence des sexes : les apports du lesbianisme comme mouvement social et théorie politique », Genre, sexualité & société [En ligne], n°1 | Printemps 2009, mis en ligne le 07 juillet 2009, http://gss.revues.org/index705.html Bibliographie : Aarmo, Margaret. 1999. “How homosexuality became “un-african” : the case of Zimbabwe”. Pp 255-280. In : Wieringa, Saskia, Blackwood, Evelyn (Editors). Same sex relations and female desires. Transgender practices across cultures. New York : Columbia University Press. 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Questions Féministes n°7, 1980, Du mouvement de libération des femmes, Tierce, et « On ne naît pas femme », Questions Féministes n°8, 1980). biographie : Page personnelle : http://julesfalquet.wordpress.com/ Après avoir vécu au Mexique, à Paris et au Salvador depuis 1989, Jules Falquet est devenue en 2003 enseignante-chercheure en sociologie à l’Université Paris Diderot et membre du CEDREF (Centre d’Enseignement, de Documentation et de Recherches pour les Etudes Féministes). Elle a publié de nombreux articles sur les mouvements féministes et lesbiens latino-américains et des Caraïbes, ainsi que sur la participation des femmes à différents mouvements révolutionnaires (FMLN au Salvador, mouvement Zapatiste au Mexique). Elle travaille également à l’analyse critique de la mondialisation néolibérale, du « développement » et des migrations. Elle mène des recherches épistémologiques sur le courant féministe matérialiste francophone et les théories féministes de l’imbrication des rapports sociaux de pouvoir. Parmi ses dernières publications : Le sexe de la mondialisation. Genre, classe, race et nouvelle division du travail. 2010. (Coordination avec Helena Hirata, Danièle Kergoat, Brahim Labari, Nicky Lefeuvre et Fatou Sow). Paris : Les Presses de Sciences Po. 278 p. ; De gré ou de force. Les femmes dans la mondialisation. 2008. (Ouvrage propre). Paris : La Dispute. 214 p. ; 2008. “Femmes, genre, migrations et mondialisation : un état des problématiques”. Cahiers du CEDREF. (Coordination avec Aude Rabaud, Jane Freedman et Francesca Scrinzi). Paris : Université Denis Diderot. 295 p. ; 2006. “(Ré)articulation des rapports sociaux de sexe, classe et “race”. Repères historiques et contemporains”. Cahiers du CEDREF. (Coordination avec Emmanuelle Lada et Aude Rabaud). Paris : Université Paris-Diderot. 218 p.; El patriarcado al desnudo. Tres feministas materialistas. Avec Ochy Curiel (coords.), Brecha Lésbica, Bogotá, 2005. 175 p. Bien que cet article reflète exclusivement mes positions personnelles, je dois remercier pour leur appui bibliographique, théorique et militant-politique de nombreuses lesbiennes, féministes et groupes, parmi lesquelles notamment Nicole Claude Mathieu, Brigitte Lhomond, Michèle Causse, Claudie Lessellier, Louise Turcotte, Christine Delphy, Christine Bard, Marie Jo Bonnet, le Groupe du 6 novembre, La Barbare, Faïna Grossman, Anne Hugon, Esther Paillou, Natacha Chetcuti, Roxana Reyes, Cecilia Riqueleme, Melissa Cardoza et Ochy Curiel. [1] Les différents termes que j’utilise dans cet article, parfois sans guillemets, tels que radical ou féministe, ne sont pas valoratifs ni nécessairement tout à fait appropriés. J’essaie simplement d’utiliser les termes les plus adéquats politiquement, selon la manière dont les groupes et les individues se désignent elles-mêmes. Dans la mesure où ces termes sont issus de cultures politiques et de langues différentes, et comme ils constituent souvent un enjeu politique dans le mouvement et parfois même entre tendances très proches, leur usage ici ne peut être qu’imparfait. [2] Il semble qu’il existe davantage d’hommes que de femmes berdaches et que dans le cas des femmes berdaches qui vivent comme des hommes, leur société ne les considère jamais totalement comme des hommes —la preuve en est qu’il existe des cas de viols de femmes berdaches par des hommes (Mathieu, 1991). [3] Le personnage du Puits de solitude, Stephen, est typiquement une “invertie” telle que les décrit le sexologue Havelock Ellis, qui est un ami de l’auteure et qui signe la préface du roman. Quoique partant d’une intention à n’en pas douter positive, le roman raconte l’histoire plutôt triste de la solitaire et douloureuse acceptation par la protagoniste d’un “destin” inévitable qui a mis un esprit masculin dans son corps de femme. Rappellons aussi que l’auteure, Radclyffe Hall avait de la sympathie politique pour Mussolini. A la même époque, Gertrude Stein écrivait un roman bien différent, qui explorait les joies et les complexités des relations amoureuses entre trois jeunes femmes. Pourtant, ce roman ne fut pas publié avant la fin du siècle. Les logiques de l’édition ont ainsi contribué à propager des années durant une image passablement négative et tortueuse du lesbianisme, alors qu’il existait d’autres lesbiennes qui vivaient leur sexualité et leur vie affective hors des catégories de la sexologie ou de la psychanalyse. [4] Nouvelles Questions Féministes affirme alors que c’est la position d’Adrienne Rich qui réflète sa perspective politique, par opposition à la ligne des femmes ayant quitté la revue Questions Féministes et d’une partie du mouvement lesbien français qui se basent bien davantage (mais pas uniquement ni de manière univoque) sur la perspective ouverte par Monique Wittig. On verra à ce sujet l’éditorial de NQF n°1 (NQF,1981). [5] . Colette Guillaumin, Nicole Claude Mathieu et Christine Delphy comptent parmi les principales théoriciennes du feminisme radical et matérialiste français. Dans un de ses principaux livres, “Sexe, race et pratique du pouvoir. L’idée de Nature”, Colette Guillaumin affirme que les femmes constituent une “classe sociale de sexe” appropriée par la classe des hommes à travers un rapport social qu’elle nomme rapport de “sexage”, que cette appropriation soit individuelle (mariage hétérosexuel) ou collective (notamment dans le cas de femmes célibataires, des prostituées et des religieuses). Le sexage signifie l’appropriation du corps, des produits du corps, du temps et de l’énergie psychique de la classe des femmes par la classe des hommes (Guillaumin, 1992/1978). Colette Guillaumin fait dériver le concept de sexage de celui du servage de l’époque féodale et de celui de l’escalavage de plantation. Nicole Claude Mathieu, anthropologue et sociologue, a beaucoup apporté à l’analyse de la conscience des dominé-e-s et du “consentement” à la domination, ainsi qu’à celle de l’articulation entre sexe, genre et sexualité (Mathieu, 1985/ 1991). Christine Delphy a été pour sa part la première à analyser le travail domestique gratuit des femmes-épouses comme un élément central du “mode de production domestique” qu’elle a ainsi mis en évidence comme le système dans lequel les femmes constituent une classe sociale (Delphy, 1970). Les trois auteures faisaient partie du collectif fondateur de la revue française Questions Féministes dans les années soixante-dix, ainsi que Monique Wittig, entre autres. [6] La revue AHLA a mentionné pendant de nombreuses années sur sa couverture “pour lesbiennes seulement”, marquant ainsi son caractère nettement séparatiste. Cependant, elle se démarque d’autres formes de séparatisme par son indubitable perspective matérialiste et sa recherche constante de liens avec d’autres luttes et thématiques. En ce sens, AHLA a publié notamment un dossier sur l’argent, un autre contre la famille, ainsi qu’un magistral numéro contre l’oppression de la grosseur, intitulé “La grosseur : obession? Non : oppression!”. En l’an 2000, AHLA a décidé de retirer la mention “pour lesbiennes seulement” de sa couverture, afin d’affirmer clairement sa volonté de créer des liens avec d’autres groupes en lutte. [7] J’utilise le terme de “race” parce qu’il me paraît le moins inadapté. Je ne pense absolument pas qu’il existe des “races” humaines dans le sens raciste du mot, mais le terme “ethnique” me semble trop faible pour refléter la perspective de groupes et de personnes qui considèrent que le système raciste est à la base de l’organisation sociale et que la destruction de ce système est un objectif de lutte qui ne saurait être différé. [8] On pourrait traduire ce terme par “gouine”. Des groupes de “dykes on bikes” (motardes gouines) prennent volontiers la tête des manifestations de la fierté lesbiennes et gay. [9] Le terme « socialiste » fait référence ici à des luttes radicales et non social-démocrates. Le Combahee River Collective a rédigé sa Déclaration féministe noire à la suite de la demande que lui avait fait la féministe socialiste Zillah Eisenstein pour son anthologie Capitalist Patriarchy and the case for socialist feminism (Eisenstein, 1979). [10] Pour plus d’informations sur les groupes lesbiens centraméricains, on peut consulter, pour le Nicaragua, Bolt (1996), pour le Guatemala, Colectivo Mujer-Es Somos y Rummel (1997), pour le Salvador, Colectiva lésbica feminista salvadoreña de la Media Luna (1993 y 1994), et pour le Mexique, entre autres textes, Mogrovejo (2000), Hinojosa (s/f), une somme de textes publiés par les groupes Madres Lesbianas, Musas de metal et Amantes de la luna (2001) et une thèse récente d’Angela Guadalupe Alfarache Lorenzo (2000). [11] Pour une réflexion critique sur la notion de « préférence sexuelle», voir Celia Kitzinger (Kitzinger, 1987). [12] Mise au point forcément simplificatrice : Transgenre fait essentiellement référence à une mise en question des normes sociales de genre (surtout sur le plan vestimentaires et sur celui des attitudes corporelles). Transsexuel correspond davantage à un processus de transformation physique (hormonal et chirurgical). Travesti est davantage associé à une transformation momentanée (vêtement et maquillage), généralement de la part d’hommes homosexuels. Les drag-kings sont des personnes socialement étiquetées comme femmes qui s’habillent en hommes et adoptent la gestuelle et des comportements masculins de manière particulièrement sophistiquée tandis que les drag-queens sont des personnes socialement étiquetée comme hommes qui reprennent, en le poussant à l’extrême, le travestissement en femmes des “folles”. [13] Judith Butler s’oppose avec raison à l’essentialisation du genre. Malheureusement, pour ce faire, elle s’appuie sur l’ “exotique” littérature française en choisissant la plus mysogyne (psychanalytique et foucaldienne). Face au conservatisme et à la dépolitisation croissante du féminisme, en particulier au sein de certains départements de “gender studies” aux Etats-unis, son travail vient renforcer un courant critique dont nous avons grand besoin. Mais il faut rappeler que de nombreuses féministes, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des Etats-unis, avaient déjà critiqué l’essentialisation du genre et même la naturalisation du sexe depuis de nombreuses années, sur une base théorique plus solide, notamment matérialiste [13].. Judith Butler s’oppose avec raison à l’essentialisation du genre. Malheureusement, pour ce faire, elle s’appuie sur l’ “exotique” littérature française en choisissant la plus mysogyne (psychanalytique et foucaldienne). Face au conservatisme et à la dépolitisation croissante du féminisme, en particulier au sein de certains départements de “gender studies” aux Etats-unis, son travail vient renforcer un courant critique dont nous avons grand besoin. Mais il faut rappeler que de nombreuses féministes, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des Etats-unis, avaient déjà critiqué l’essentialisation du genre et même la naturalisation du sexe depuis de nombreuses années, sur une base théorique plus solide, notamment matérialiste [14] Au sens propre et historique, les ghettos sont des endroits où des personnes juives ont été forcées par des mesures antisémites à se regrouper et à habiter. Plus tardivement, il désigne également des lieux de ségrégation et de relégation non-volontaire des Noir-e-s nord-américain-e-s puis d’autres groupes ethniques. Nommer ainsi des lieux construits volontairement, opiniâtrement, par des lesbiennes, constitue à la fois un déni de leur travail politique et humain et une regrettable relativisation de l’antisémitisme et du racisme.
labrys,
études féministes/ estudos feministas |