labrys, études féministes/ estudos feministas
janvier/ juin / 2014  -janeiro/junho 2014

 

 

La subalternité dans le cinéma chilien de l’après-concertation :

questionnements théorique et pratique

Laurence H. Mullaly

 

 

Résumé:

Trop longtemps exclues des postes de pouvoir et des professions techniques les plus valorisées, les femmes ont pourtant toujours été présentes dans les arcanes de l’industrie cinématographique. Leurs œuvres réalisées restent nettement moins nombreuses et moins valorisées, moins distribuées et donc moins vues, du fait de leur exclusion des canons culturels hégémoniques. Le cinéma chilien actuel révèle bien des fractures que les travaux sur l’intersectionnalité et les médias invitent à explorer. Cet article a pour ambition de braquer un projecteur sur la sous-représentation de la communauté mapuche sur les écrans. La subalternité subie et les stratégies de résistance entamées depuis une vingtaine d’années par des femmes cinéastes viennent questionner les rapports de domination dans le Chili contemporain.

Mots-clé :cinéma chilien, mapuche, subalternité, résistance

 

 

No me deis vuestros dogmas y vuestras leyes. No me deis vuestros banales dioses.

Lo que quiero es contar con las tres culturas “la blanca, la mexicana, la india.”

Quiero la libertad de poder tallar y cincelar mi propio rostro,

cortar la hemorragia con cenizas, modelar mis propios dioses desde mis entrañas.

Y si ir a casa me es denegado entonces tendré que levantarme y reclamar mi espacio,

creando una nueva cultura, “una cultura mestiza”, con mi propia madera,

mis propios ladrillos y argamasa y mi propia arquitectura feminista”.

Gloría Anzaldúa

 

 

Prolégomènes:

Le cinéma a le pouvoir de donner forme à des expériences singulières et de mettre en partage un objet audio-visuel complexe capable d’enrichir notre perception de l’humain. Toutefois, s’intéresser aux femmes de cinéma, c’est s’engager en territoire méconnu, tant celles-ci ont été et sont encore, pour la plupart reléguées, oubliées, ou déconsidérées par des instances énonciatrices légitimantes. Trop longtemps exclues des postes de pouvoir – la réalisation - et des professions techniques les plus valorisées, les femmes ont toujours été présentes dans les arcanes de l’industrie cinématographique. Au-delà des discours et parfois des lois, l’égalité de fait est loin d’être acquise dans presque toutes les sociétés ; s’agissant du cinéma, les œuvres réalisées par des femmes restent nettement moins nombreuses et moins valorisées, moins distribuées, moins vues, ce qui les maintient à la marge des canons culturels hégémoniques. Le constat dressé par les féministes nord-américaines dès les années 70 est hélas encore d’actualité : « La dificultad real, pero también el proyecto más audaz, más original de la teoría feminista sigue siendo precisamente ése: cómo dar forma teórica a esa experiencia, que es a la vez social y personal, y cómo construir al sujeto femenino a partir de esa rabia intelectual y política. » (Lauretis, 1992: 264) Et si l’on s’intéresse à la subalternité, ce premier constat nous conduit plus loin, puisque au sein du groupe des femmes, de la classe des femmes, des hiérarchies raciales et sociales longtemps impensées opèrent encore.

Le cas du Chili est révélateur de certaines fractures de genre que les travaux sur l’intersectionnalité et les médias invitent à explorer. Cet article a pour ambition de braquer un projecteur sur la sous-représentation des communautés originaires, et particulièrement de la communauté mapuche, sur les écrans. La résistance entamée depuis une vingtaine d’années contre cet effacement, cet oubli et cette indifférence mérite d’être étudiée. Car si l’on considère que les films sont des constructions culturelles, c’est-à-dire qu’ils sont produits par une société donnée, et qu’ils sont des « interactions entre un texte et un contexte de production et de réception » (Burch et Sellier, 2009: 10), alors cette invisibilité de la communauté mapuche en dit long sur les rapports de domination dans le Chili contemporain, et tout particulièrement sur l’interrelation entre différentes catégories de discrimination.

  Cet article est né de plusieurs observations : la recrue d’intérêt pour ce que la mémoire historique officielle a effacé et continue d’ignorer aussi bien dans la fiction que dans le documentaire, et l’apparition depuis quelques années de films qui mettent en avant des personnages de femmes domestiques indigènes protagonistes (La nana, Sebastián Silva, 2009). L’objectif est de tracer des repères concernant la place et le rôle des femmes indigènes dans le cinéma, difficile à traiter en l’absence d’archives et de la timide et récente politique de valorisation d’un patrimoine en cours de constitution.

Il convient tout d’abord de comprendre en le resituant le contexte socio-politique et culturel dans lequel s’inscrivent les productions cinématographiques des années 90 et 2000. Cette situation sera ensuite envisagée à l’aune des théories féministes actuelles, notamment postcoloniales et subalternes latino-américaines, l’interesectionnalité apportant un éclairage émancipateur et alternatif. Dans un troisième temps, l’évocation de l’action de Jeannette Paillan permettra de mettre en lumière l’évolution des pratiques et des discours de la subalternité. Et dans une dernière partie seront abordés les enjeux et les obstacles auxquels se confrontent les cinéastes et vidéastes subalternes dans leur élan vers un métissage producteur d’alternatives (Femenías, 2007 : 221).

Consciente des limites et des lacunes qu’implique mon extériorité par rapport au sujet, mon propos est de faire connaître les idées et les expériences qui renouvellent le paysage audiovisuel chilien, de dresser des passerelles entre différentes aires et de repousser les frontières.

 

1. Chronique d’une transition toujours en cours

Officiellement, la transition chilienne débuta le 11 mars 1990, date de la passation de pouvoir du Général Pinochet – toutefois chef des Armées jusqu’en 1998 - au civil Patricio Aylwin, lui-même remplacé par Frei Ruiz-Tagle en 1994 et pour six ans. Le retour à la démocratie impliquait à la fois une transition et une réconciliation ou du moins une concertation de la société chilienne, profondément divisée. La singularité de la dictature chilienne et de cette longue transition rendit particulièrement délicat le tout aussi nécessaire retour sur le passé (Ricoeur). Les négociations entre un appareil économique privatisé et politiquement ultra-libéral et l’Etat, sommé d’atténuer les écarts de plus en plus criants entre les chilien.n.e.s, sont toujours d’actualité. En effet, la première décennie de la transition se fit en concertation avec ceux qui commandèrent autoritairement le pays pendant 17 ans, et se matérialisa par une lente réorganisation institutionnelle, elle-même véritablement enclenchée  lorsque Pinochet – nommé député à vie – fut arrêté à Londres en octobre 1998 pour violation des droits de l’homme (Cavallo, Douzet, Rodríguez, 2007 : 17-39).

L’histoire du cinéma chilien contemporain est celle d’un art placé sous la tutelle d’un pouvoir autoritaire et censeur. Au tournant du millénaire et après une longue période de concertation, la mémoire est abordée depuis des angles inhabituels, parfois décalés (Calle Santa Fe, de Carmen Castillo, Nostalgie de la lumière de Patricio Guzman, El Mocito de Marcela Said, etc.). Plutôt que de reconstituer les évènements et de rétablir une Vérité Historique soi-disant objective, c’est depuis la subjectivité, c’est-à-dire la part de vécu et de vérité de chacun.e, que les cinéastes cherchent à comprendre l’Histoire. La plupart de ces films documentaires font émerger de l’oubli des histoires individuelles prises dans les rets de drames collectifs afin de combler la béance creusée par les atteintes aux droits humains, à l’amnésie et au silence institutionnalisé.

Les blessures infligées par la violence d’Etat et les effets de la politique néo-libérale sur une large partie de la population font partie des préoccupations de la génération actuelle de cinéastes dont les films, documentaires ou de fiction, montrent les failles d’une société où les discriminations et les inégalités creusent encore les scissions historiques.

Lorsque l’on s’intéresse à l’histoire du cinéma chilien contemporain, force est de constater que le corpus critique est restreint. Stoppé net dans sa production et dans sa critique après le coup d’état de Pinochet le 11 septembre 1973, il faut attendre les années 90 et surtout 2000 pour que le cinéma retrouve un élan accompagné d’une production critique inédite prise en charge par des journalistes, des critiques, des historiens ou des universitaires pas toujours spécialistes du langage cinématographique.

Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut mentionner les travaux de Jacqueline Mouesca, sans doute les plus nombreux (Cine chileno: veinte años de (1992), El cine en Chile: crónica en tres tiempos (1997), Cine y memoria del siglo XX (1998), Érase una vez el cine (2001), El documental chileno, (2005) et, avec Carlos Orellana, Breve historia del cine chileno. Desde sus orígenes hasta nuestros días (2010)). Il faut y ajouter Huérfanos y perdidos. Relectura del cine chileno de la transición 1990-1999 (1999, augmenté et corrigé à l’occasion d’une réédition en 2007) de Ascanio Cavallo, Pablo Douzet et Cecilia Rodríguez, Luz, cámara, transición de Antonella Estévez, (2005) sur la transition, Cien años de cine chileno de Remberto Latorre, (2002), El cine que fue : 100 años de cine chileno, ouvrage collectif dirigé par Claudia Barril R. et José M. Santa Cruz G. (2011) et, pour ce qui est du documentaire, Itinerario del cine documental chileno, (2006) de Alicia Vega et Teorías del documental chileno publicado en 2007 coordonné par Pablo Corro. C’est un corpus réduit et inégal dans ses approches et ses objectifs. D’autres sources doivent être mobilisées, dont les articles de revues électroniques, des travaux universitaires et militants, des blogs, qui enrichissent de façon significative la carence de publication mais restent soumis aux aléas des consultations sur la Toile numérique.

Globalement, les critiques et historien.n.e.s du cinéma chilien s’accordent sur les retrouvailles entre le public, la critique et les cinéastes à partir du nouveau millénaire. Le succès de El chacotero sentimental (1999) de Cristián Galaz, Taxi para tres (2001) d’Orlando Lübbert et Sexo con amor de Boris Quercia (2003), puis Machuca (2004) d’Andrés Wood (Mouesca, Orellana, 2010 : 201), inaugurèrent une phase nouvelle marquée par un renouvellement générationnel (Sábado, de Matías Bize, Subterra, de Marcelo Ferrari, Las vacas vuelan, de Fernando Lavanderos, B-Happy, de Gonzalo Justiniano, etc.).

Entre 2000 et 2008, environ 110 films sont produits et distribués, dont une vingtaine de documentaires, un genre où les femmes ont toujours été présentes et qui se rajeunit tout en se professionnalisant (Tiziana Panizza, Pamelo Pequeño, Paola Castillo, Pachi Bustos, Carmen Gloria Camiroaga, Paula Rodríguez, Alejandra Carmona, Carmen Castillo, Jeannette Paillán, Marcela Saïd, etc.). Leurs films, lorsqu’ils sont distribués et/ou à la suite de leur sélection et de prix remportés aux festivals internationaux, contribuent à la visibilité et la reconnaissance de conflits historiques auxquels les femmes ont pris part mais dont la représentation demeure un enjeu de pouvoir où s’exerce une violence symbolique exercée par la culture dominante. Il y a donc plusieurs barrages filtrants à franchir avant de pouvoir rencontrer un public qui a tendance à déserter les salles de cinéma et à privilégier un cinéma de divertissement, et est encouragé en cela par le monopole nord-américain et le modèle hollywoodien.

Les études qui se sont développées sur la réception insistent sur la fragmentation et la complexité des goûts des publics nationaux, dont une tendance demeure néanmoins d’aller « voir ailleurs » et de s’évader vers d’autres cinématographies plutôt que de s’intéresser à son propre cinéma, surtout lorsqu’il aborde des problématiques quotidiennes sous un angle cru et inhabituel. On se souviendra ainsi que Nosotros los pobres des frères Rodríguez fut un énorme succès commercial et public au Mexique et sur une large portion du continent latino-américain, alors que Los olvidados de Luis Buñuel, qui traitait d’une toute autre façon de la misère et de l’adolescence, fut vilipendé à sa sortie au Mexique et ne dut sa survie qu’à la reconnaissance internationale concédée par le prix de la mise en scène au Festival de Cannes de 1951. Cinquante ans plus tard, en 2003, ce même film réaliste et sans concession intégrait le Registre Mémoire du Monde de l’UNESCO !

Une telle hypothèse serait-elle plausible concernant la représentation de la communauté mapuche sur les écrans ? Est-ce pour cela qu’elle brille par son absence sur les écrans nationaux ?

C’est à l’occasion d’un travail sur El verano de los peces voladores, le premier film de fiction de Marcela Said, que m’est apparue l’absence de films s’intéressant à la complexité des relations du peuple mapuche avec l’Etat chilien et à l’invisibilité des conflits et de la culture de ce peuple originaire. En amont, c’est grâce à la sélection du film dans des festivals internationaux (Cannes, Mar de Plata, Biarritz, Toulouse, La Havane, …), à l’accueil critique qui lui fut réservé, et à ses retombées médiatiques, que j’ai découvert la violence dont sont victimes les mapuche aujourd’hui.

Marcela Saïd s’est exilée en France parce qu’elle étouffait dans son pays où « on ne parle pas de ces choses-là », autrement dit de tout ce qui va à l’encontre d’une histoire officielle fondée sur la violence et naturalisée. Les titres – parfois ironiques - de ces trois documentaires en disent long sur son cheminement (Valparaíso, en 1999, I love Pinochet, en 2001, puis Opus Dei en 2006 et El mocito en 2011, en collaboration avec Jean de Certeau). Le parcours de la cinéaste signale clairement son choix de mettre en évidence l’invisibilité et de faire des incursions là où on ne l’attend pas.

Avec L’été des poissons volants, elle poursuit cette quête en travaillant pour la première fois depuis la fiction. Le but n’est pas de raconter le conflit, dont la complexité n’a pas échappé à la cinéaste, mais de rendre celui-ci visible et de faire palper les tensions entre deux communautés humaines dont l’une maltraite l’autre depuis son arrivée sur le continent, écrasant toute velléité revendicative. C’est avant tout par le silence et la contemplation qu’elle capte l’atmosphère rendue surréaliste entre deux groupes humains, dans le cadre magnifique mais menacé que sont les terres de Curarrehue, Coñaripe et Liquiñe : « L’Eté des poissons volants décrit surtout une bourgeoisie déconnectée de la réalité, indifférente à ce qui lui est étranger et à peine consciente de sa propre violence. Celle de l’ordre quasi féodal d’une société chilienne «classiste» (terme espagnol sans équivalent français) où les gens de milieux différents ne se mélangent pas»[1]. Sous la surface sourd la violence des relations intercuturelles entre des individus qui se sont appropriés les terres et exploitent les mapuche. Le travail sur la bande-son rend compte de cette atmosphère trouble et angoissante.

L’un des mérites de ce film vient de ce qu’il ne prétend pas prendre la parole pour les opprimé.e.s mais qu’il lève le voile sur l’opacité de la représentation des conflits actuels. L’été des poissons volants revendique sa vision partielle et subjective et sort de la linéarité narrative pour privilégier une attention à ces « autres » subalternes. En tant que spectatrice européenne blanche, c’est par le biais d’une identification relative avec Manena, la jeune protagoniste, fille d’une famille qui possède des terres et semble posséder les êtres qui la peuplent, humains, animaux et végétaux. Dans la lignée de la trilogie de l’argentine Lucrecia Martel (La ciénaga, La niña santa et La mujer sin cabeza), qui dénaturalise la domination d’une caste sociale blanche sur une caste indigène historiquement soumise, à travers le regard des enfants et adolescents, Marcela Said nous invite à ouvrir les yeux sur l’oblitération dont ce groupe humain est victime.

Mais qu’en est-il de la vision des mapuche par les mapuche ? Existe-t-elle seulement ? Si oui, où la trouver ? Comment expliquer que cette cause humaine ne soit pas plus présente dans les films mais aussi dans les médias ? Y a-t-il des femmes cinéastes mapuche ? Un cinéma mapuche ou indigène ?

C’est par le biais des théories féministes subalternes et post-coloniales que ma réflexion s’est poursuivie, ouvrant des pistes et de nouvelles questions.

 

2. De l’hétérodésignation à l’auto-désignation

Comme le rappelait Celia Amorós (2005) à propos de l’aire occidentale, un modèle abstrait, masculin, prétendument universel, s’est imposé aux commandes du langages et de la création, distinguant les égaux, les égales, de celles et ceux qui sont différent.e.s. Or, précise-t-elle, la différence entraîne l’exclusion dès lors qu’elle pointe, situe et fige les identités des individus ; hétérodésignés, les sujets différents, autres, se retrouvent prisonniers d’une idéologie infériorisante, mécaniquement reconduite par le groupe dominant.

Pour expliquer comment l’hétérodésignation construit le sujet-femme sur la base de la naturalisation de son infériorisation, avec pour conséquence logique son exclusion politique et sociale par le pouvoir qui prétend la représenter, María Luisa Femenías reprend ce concept : « Por heterodesignación – en la línea de Celia Amorós - entendemos el lugar, el nombre, el rasgo o la diferencia por la cual se nos reconoce en el espacio público. Esa « diferencia » nos define para los demás. » (Femenías, 2007: 73).

Pour sortir de l’universel homogénéisant et dominant, il convient donc d’aborder les spécificités concrètes de chaque individu – aussi plurielles et complexes soient-elles -, et de considérer sa situation dans une réalité sexuelle, sociale, politique, économique, ethnique, religieuse, etc. Dans un dialogue stimulant avec les théories et pratiques féministes contemporaines, El género del multiculturalismo (Femenías, 2007) insiste sur la distance nécessaire avec les féminismes européen et nord américain, institutionnalisés, ethnocentrés et surplombants, et – du moins à leur commencement -, avec les études postcoloniales et subalternes, promptes à effacer les spécificités concrètes des femmes, considérées comme un groupe uniforme au sein du groupe humain dominé, regroupé sous la bannière du Tiers Monde.

Femenías revendique l’autodésignation comme capacité d’agir créatrice, comme possibilité de resignifier, en les valorisant, les différences. Elle propose de se saisir des concepts de localisation (Adrienne Rich), de « savoirs situés » (Donna Haraway), de « la pensée nomade » (Braidotti) et de l’ « autre concret » (Seyla Benhabib), pour penser autrement les identités et sortir des carcans de la pensée et du discours hégémoniques. Nous pourrions ainsi nous penser hors d’une unité abstraite et, en tant qu’« êtres disloqués » (Femenías, 2007 : 194), assumer une posture non conforme, inadéquate et fluide qui revendique « les variables d’exclusion » (sexe, race, classe, religion, âge, …) ainsi que la visibilisation d’autres critères encore ignorés.

Cette stratégie, incarnée notamment par la théorie féministe chicana de Cherríe Moraga et Gloria Anzaldúa, questionne l’ignorance des théories féministes blanches et cherche à faire entendre des voix passées sous silence aussi bien par l’historiographie que par les moyens de communication traditionnels et hégémoniques.

Il conviendrait ainsi de retracer l’histoire de la représentation des peuples originaires depuis la conquête et de s’intéresser aux représentations du peuple mapuche depuis la création de la République chilienne, ce qui déborde largement le cadre de la présente approche.

Le constat du manque de visibilité des communautés originaires et de la vision stéréotypée dont les mapuche sont aujourd’hui encore l’objet entraîne un double questionnement: quelles sont les causes de leur absence dans les médias et au cinéma et que révèlent les pratiques filmiques émergentes qui tentent de pallier ce manque ?

Comme le précisait Gayatri Spivak dans son fameux texte « Can the Subaltern Speak? » (1988), le problème ne réside pas dans le fait que les mapuche ne sont pas capables de s’exprimer, c’est d’abord qu’en tant que subalternes, les mapuche ne sont pas reconnus comme sujets par les institutions universitaires, juridiques, intellectuelles, politiques et culturelles, et que leurs savoirs sont méprisés. Les formes de violence à l’encontre des peuples originaires ont été naturalisées par les pouvoirs qui se sont succédés au Chili.

Or, c’est précisément à partir de la conscience de cette violence invisibilisante et naturalisée que de nouvelles stratégies se sont mises en place depuis une vingtaine d’années. Avec la globalisation, l’accès aux technologies de l’information et aux médias est un enjeu majeur et à l’ère de la « glocalisation », la communication est devenue la pierre angulaire de l’expression des réalités. La révolution numérique entraîne en effet des reconfigurations multiples car la sphère occidentale a généré un processus de globalisation du capital et des marchés à distance dont les effets touchent tous les aspects de notre vie. Nous sommes passé.e.s d’une société de la permanence à une « modernité liquide », une catégorie sociologique proposée par Zygmunt Bauman (2003) pour rendre compte de la dilution, du caractère imprévisible et de l’angoisse que génère la révolution numérique.

Nos identités, individuelle et collective, s’en trouvent profondément modifiées et les imaginaires collectifs se reconfigurent d’une façon inédite dans l’histoire de l’humanité. Les frontières et les repères que des siècles d’histoire et de domination ont construits se trouvent traversés, troués, infiltrés et parfois liquéfiés par les phénomènes de dé-territorialisation et de re-térritorialisation.

Cette « modernité liquide » est également génératrice d’une révolution culturelle dont les agents de la globalisation, autrement dit les agents sociaux, peuvent se saisir. Et nous en faisons tou.t.e.s partie, que nous soyons organisé.e.s en collectifs ou individuellement, au sein d’institution et en dehors. Les acteurs sociaux, en fonction de leur appartenance à un espace spécifique donné, ont un accès plus ou moins égal aux outils de communication numérique qui produisent et définissent les identités. Le caractère asymétrique de la « glocalisation » est un fait, mais celle-ci est également porteuse de possibilités et en particulier de réarticulation des relations de pouvoir.

C’est d’ailleurs en partant du concret, de savoirs situés, que de nouvelles théories et de nouvelles pratiques voient le jour, qui s’inscrivent dans une tendance culturaliste universelle: c’est depuis l’angle du singulier et non du général, que se re-pensent « les exceptions » aux règles érigée par un groupe dominant et naturalisées.

En effet, les conditions matérielles, socio-géographiques, économiques, culturelles et politiques communautaires, combinées aux spécificités individuelles (sexe, genre, classe, ethnie, religion, …), - que María Luisa Femenías qualifie de « variables d’exclusion » - créent et influent sur l’accès, la perception et la production des contenus.

Une situation concrète concernant la communauté des mapuches implique un traitement et une diffusion particuliers et sera diversement reçue suivant qu’elle est captée par des mapuche citadins résidant au cœur de Santiago ou en périphérie, par des ruraux habitant en région, dans une communauté isolée, ayant accès, ou pas, aux outils de réception mais aussi de production numériques. Et, partant de là, ces femmes et ces hommes, en fonction de leur degré de maîtrise des outils numériques seront plus ou moins en mesure de produire et de diffuser leurs propres contenus, qui différeront à leur tour d’une localisation à l’autre. La multiplication des radios communautaires mapuche en ligne (Radio Kimche Mapu, Radio Aukinko, Radio Petu Mogeleiñ, Radio Tehuelche, etc.), des journaux électroniques (Maule!cle : el diario glocal del Maule) illustrent ce changement de paradigme culturel et médiatique qui facilite l’émergence et la multiplicité des visions.

L’auto-désignation et l’auto-représentation passent par l’accès aux médias et le droit à l’image, loin d’être reconnu et encore moins d’être acquis. La lutte contre la violence de la représentation se joue sur deux plans simultanés que Marisa Belasteguigoitia requalifie de « violence épistémique » et qui porte à la fois sur la violence invisibilisante et son corrélat, l’annulation de la possibilité de se représenter soi-même (Belasteguigoitia, 2001: 238).

La première difficulté lorsque l’on s’intéresse à la place des mapuche dans le paysage cinématographique chilien tient à l’absence d’archives, de généalogie, de repères et de corpus, celui-ci étant peu accessible. Il faut souvent faire des détours par d’autres champs disciplinaires pour trouver des pistes, des liens vers les films et les blogs qui vont nourrir notre enquête. En ce sens, l’anthropologie visuelle est une source considérable, à condition de penser à venir s’y abreuver et pour cela de dépasser les habitudes universitaires archaïques mais profondément ancrées, du moins au sein de certaines universités françaises, où sont soigneusement entretenues les frontières entre des champs du savoir et des pratiques au nom de la pureté des disciplines, elles-mêmes fondées sur des hiérarchies internes. De fait, la recherche sur la représentation mapuche induit une approche pluridisciplinaire et invite à l’interdisciplinarité. Ainsi, le mémoire de recherche en anthropologie audio-visuelle de Gastón Carreño intitulé Entre el Ojo y el espejo. La imagen Mapuche en Cine y Video (Carreño, 2002), dresse un état des lieux quantitatif et qualitatif des productions audiovisuelles abordant la thématique mapuche.

Plusieurs de mes intuitions ont ainsi pu être validées concernant le Chili, à commencer par la difficulté d’établir un corpus filmique et d’y avoir accès. Ce rapport d’étape confirme l’augmentation significative des réalisations audiovisuelles dans les années 90, ce qui coïncide avec le conflit provoqué par la déforestation accrue et le projet de construction d’une centrale hydroélectrique de l’Alto Bío Bío (Carreño, 2002) et la prédominance de la vidéo et du documentaire sur la fiction, dont la frontière est de plus en plus brouillée par de productions actuelles. La dimension genrée n’était pas envisagée dans ce travail qui précise en revanche que la grande majorité de ces réalisations sont le fait de huincas, c’est-à-dire «d’agents extérieurs à la culture mapuche». Enfin, l’enquête révèle que les films réalisés sont aux deux tiers «déclarés chiliens», une part bien plus réduite revient aux argentins et le reste est le fruit de co-productions européennes, cette curiosité méritant à son tour d’être analysée. La constitution de ce corpus – découvert au moment de conclure cet article- et qu’il conviendra d’actualiser, si ce n’est déjà fait, contribue à établir une cartographie bien utile à la fondation d’une généalogie audiovisuelle à venir. En ce sens, il me semble important de citer les noms de certain.e.s cinéastes et vidéastes recensé.e.s, mais dont les films n’ont pas été vus: Ana María Oyarce, Felipe Laredo et Gunvor Sorli, Fabiola Severín, Marcela Muñoz et Daniel Evans, Magaly Meneses, Margarita Campos, les collectifs Kimun Mapu, Yekusimaála. Je me limiterai ici à mettre en lumière le travail d’une des vidéastes les plus actives depuis le milieu des années 80, Jeannette Paillan.

 

3. Jeannette Paillan : l’autodésignation en pratique

La guerre de la représentation est au cœur du processus de revendication des groupes subalternes dans leur reconquête identitaire : «la representación constituye más bien la estructura de comprensión a través de la cual el sujeto mira el mundo : sus cosmovisiones, su mentalidad, su percpeción histórica» (Victoriano, Darrigrand, 2009 : 250). Parmi les agents engagés dans cette ré-appropriation, Jeannette Paillan occupe une place remarquable.

Son nom n’apparaît pas systématiquement dans les ouvrages consacrés au cinéma et à la culture chilienne, pourtant, depuis vingt ans, elle œuvre au sein de divers collectifs à la production et à la promotion audio-visuelles de la culture et des droits des communautés indigènes et en particulier des mapuche. Doublement marquée par sa condition de femme et de mapuche, Jeannette Paillan est devenue une figure incontournable de ce mouvement de re-territorialisation. Sa démarche s’inscrit dans la mouvance de la troisième vague féministe dit « du Tiers Monde » dont l’objectif est de reprendre en main les discours produits sur le Tiers Monde depuis une pensée féministe post-coloniale et intersectionnelle, c’est-à-dire en tenant compte des imbrications et interactions entre sexe et genre autant qu’aux effets de race et de classe, de religion et d’ethnie, d’éducation et de croyances.

Journaliste de formation, cinéaste documentariste et activiste, Jeannette Paillan avait réalisé Punalka. El Alto Bio-Bio en 1995, et s’est fait mieux connaître avec Wall Mapu (2001), un documentaire historique qui raconte l’histoire de la nation mapuche depuis la perspective mapuche et contribue en ce sens à la reconnaissance de l’histoire des vaincu.e.s, soumis.e.s par la force à l’Etat chilien, dont l’union nationale s’était fondée sur l’invisibilisation des communautés pré-hispaniques. Porte-parole de la communauté mapuche, elle œuvre à la diffusion de ses revendications actuelles et à garantir la visibilité de la réalité mapuche, tant auprès de ses membres que de la communauté chilienne et internationale.

Parallèlement à ses documentaires, l’action de Jeannette Paillan vise à valoriser et à professionnaliser la prise de parole de sa communauté par la formation et le développement de pratiques médiatiques innovantes et alternatives appelées « moyens imparfaits »: « los medios mapuche son “medios imperfectos”, que define como formas alternativas de media(ción) cultural, diseñadas ex profeso para conformar micro esferas públicas alternativas dentro de la esfera pública nacional y global »[2].

Ces moyens imparfaits ne sont d’ailleurs pas sans rappeler la lutte initiée dans les années 60 par les représentant.e.s des Nouveaux Cinémas latino-américains (NCLA) : le « cinéma imparfait » théorisé par Julio García Espinosa[3] et mis en pratique de façon inédite par la première cinéaste afro-cubaine noire, Sara Gómez, mais aussi par Santiago Álvarez et Tomás Gutierrez Alea à Cuba, Glauber Rocha au Brésil, Jorge Sanjinés en Bolivie, Fernando Solanas, Octavio Getino et Raymundo Gleyzer, en Argentine, etc.

Ces «nouveaux» cinéastes prétendaient rendre compte des problèmes spécifiques des sociétés et des groupes humains qui peuplent l’Amérique Latine, jusqu’alors invisibles ou alors représentés par d’autres sur les écrans latino-américains, colonisés par la culture hégémonique. Décédée prématurément, Sara Gómez avait replacé au centre de ses récits filmiques des individus oubliés de la Révolution – dont elle subit les foudres de la censure - et montré, dans ses courts-métrages (Iré a santiago, 1964 ; Guanabacoa : Crónica de mi familia, 1966 ; Y tenemos sabor, 1967), son documentaire (Mi aporte, 1969-1972) et son unique fiction (De cierta manera, 1974), la réalité des populations marginalisées afro-cubaines, en tournant le dos aux techniques et à l’esthétique «parfaites» des industries cinématographiques du Premier Monde.

  Il convient donc de réinscrire l’engagement de Jeannette Paillan dans une filiation en voie de légitimation : l’émergence et l’affirmation de canons alternatifs, contribuant à l’inclusion de la reconnaissance des subalternités dont les premières tentatives remontent à la fin des années 80. C’est en effet dans ces années là que s’enclenche un vaste processus de (re)prise de la parole et de (re)conquête du discours incitant les mapuches à se ré-approprier l’histoire des communautés du Wall Mapu (pays Mapuche), à questionner la violence des discours et des représentations concernant leur passé et leur actualité, et à mettre au service de la communauté des outils propres à favoriser leur capacité d’agir (empowerment).

L’enjeu majeur est d’apparaître et de se faire reconnaître sur la scène médiatique et politique, locale, régionale, nationale et internationale, de faire (re)découvrir aux huincas – c’est-à-dire aux blancs - autant qu’aux mapuche eux-mêmes, l’existence, les droits, la culture, les revendications et les actions de défense des territoires des sujets mapuche.

Jeannette Paillan est également coordinatrice de la CLACPI (Coordination Latinoaméricaine du Cinéma et de la Communication des Peuples Indigènes), fondée en 1985 et dont l’engagement vient d’être reconnue par le Prix Bartolomé de las Casas, crée en 1991 par le gouvernement espagnol pour favoriser le rapprochement entre les peuples indigènes et leurs anciens colons, et valorisant leurs droits et leurs valeurs.

Profitant de la tribune médiatique que représentait la cérémonie de remise du Prix le 8 janvier 2014 à la Casa de América par le Prince Felipe, Jeannette Paillan a prononcé un discours intitulé «Comunicación indígena. Voz propia de los pueblos originarios». Elle fait le constat de la transformation de l’information en marchandise, du monopole exercé sur celle-ci et de l’importation, quasi exclusivement en provenance des Etats-Unis, du contenu audiovisuel diffusé sur tout le continent latino-américain, qui constitue un obstacle majeur pour les peuples indigènes, victimes d’une double peine.

En effet, victimes historiques d’un pouvoir qui a toujours ignoré, nié ou méprisé leur identité, leurs droits, et leur cosmovision, afin de poursuivre le pillage initié dès l’arrivée des premiers conquérants, et d’exploiter leurs territoires et leur force de travail, les sujets mapuche sont de surcroît victimes de l’hétérodésignation (on parle d’eux pour eux) et de l’invisibilité.

  Un deuxième obstacle, dont elle évoque les variations à échelle transcontinentale, est l’inégalité d’accès aux moyens de communication de la population dans son ensemble et plus particulièrement des communautés indigènes.

« En la actualidad, Televisa controla el 69 por ciento de la televisión abierta, TV Azteca el 31,37 por ciento; el grupo Clarín hace lo suyo con el 31 por ciento de la circulación de los diarios, el 40,5 por ciento de la televisión abierta, y el 23,2 por ciento de la televisión de pago. Por su parte, Globo responde por el 16,2% de los medios impresos, el 56 por ciento de la TV abierta y el 44 por ciento de la TV de pago. Entre Brasil, México y Argentina, estas empresas se llevan más de la mitad de los diarios, radios y canales de televisión, además del 75 por ciento de las salas de cine de la región.» (Paillan, 2014 :web)

Son bilan dénonce la situation de discrimination actuelle organisée par les pouvoirs institutionnels et privés et fondée sur une conception élitiste, conservatrice et mercantiliste de l’information. Au nom de la CLAPCI, Jeannette Paillan réclame que soit appliqué le droit à la communication des communautés indigènes, indépendamment des pouvoirs en place, du clientélisme et autres formes de corruption ou cooptation qui pérennisent un entre-soi des classes dirigeantes.

Au Chili, le désintérêt et l’aveuglement des médias restent difficiles à endiguer dans la démocratie actuelle. Le nombre de victimes des luttes pour la défense des terres sacrées s’accroît, et les assassinats perpétrés contre des leaders indigènes – deux circonstances susceptibles d’alerter les médias lorsqu’il s’agit de contrées plus « exotiques » comme le Moyen Orient - ne semblent pas suffire à améliorer le traitement des informations, dont le contenu reste partiel et partial. Les visions passéistes, folkloriques et stéréotypées (le mapuche terroriste), encore largement diffusées, renforcent la peur, l’incompréhension et l’indifférence de l’opinion publique.

Faisant état des différentes lois et des initiatives prises dans différents pays du continent et à échelle internationale par les plus grandes institutions (ONU, UNESCO, etc.) et qui rendent compte de grandes variations régionales par leur degré d’implication et d’application, Paillan rappelle que le droit à la communication est un droit humain et milite pour son application :

«Nuestro punto de partida fue reafirmar la validez de los instrumentos internacionales de derechos humanos, de acuerdo a los cuales, la comunicación en sí constituye un derecho humano, innegable e impostergable. Paralelamente, nos dimos cuenta que nuestro Derecho a la Comunicación Indígena no trataba de algo nuevo, sino que estaba amparado plenamente en el marco normativo internacional, a través de documentos como la Declaración de las Naciones Unidas sobre los Derechos de los Pueblos Indígenas, Declaración Universal de los Derechos Lingüísticos, Declaración universal sobre la diversidad cultural, la Declaración y Plan de Acción de la Cumbre Mundial de la Sociedad de la Información, el Convenio 169 de la OIT, el Pacto de San José de Costa Rica sobre Derecho a la Comunicación y Libertad de Expresión, la Carta de Santo Domingo, entre otros.» (Paillan, 2014: web)

Son expertise, sa capacité à faire le lien entre les différentes communautés originaires – avec le souci de préciser les variables d’exclusion spécifiques dont elles sont victimes – et ses compétences en tant que journaliste et cinéaste, font de Jeannette Paillan une figure exemplaire de ces mouvements autochtones, souvent emmenés par des femmes, encore méconnues pour la plupart, et qui cherchent à se dé-marquer des stigmates d’une subalternité dont elles sont objet et victime.

 

4. Vers un métissage producteur d’alternatives : expériences et obstacles

« Sólo fue hace cien años, sin embargo para mi generación parece que fue en un tiempo mítico. El pueblo mapuche se movía con libertad en su territorio; la gente se comunicaba con las fuerzas de la mapu. Mapuzungun significa el idioma de la tierra. (...) El mapuzungun se volvió un idioma para expresar el dolor, el idioma del desgarro cuando el reparto de hombres, mujeres y niños como esclavos. Un susurro secreto en los campos de concentración. El idioma del consuelo entre los prisioneros de Guerra. El idioma para “pensar”. Fue el idioma del extenso camino hacia el exilio, la distancia del destierro. La larga marcha de nuestros bisabuelos hacia las reservas Ka mapu. A nuestros abuelos les tocó ir a la escuela rural y hacerse bilingües a la fuerza. Aunque fue el proscripto de la escuela y los maestros enseñaron a los niños a avergonzarse del idioma que hablaban en su hogar; el mapuzungun siguió vigente. La lengua de la tierra estaba en el aire de la oralidad y “la castilla” en la escritura borroneada de los cuadernos. (...) El mapuzungun pasó a ser un estigma, una marca de inferioridad de quienes ingresaban forzadamente al sistema capitalista como mano de obra barata.»[4]

La poétesse mapuche évoque ici la perte du mapuzungun, langue originelle qui relie à la terre-mère, lien fondateur de l’identité et de la culture, proscrite par les conquérants et leurs descendants. Á sa façon, elle historicise, en les visibilisant, les marques de cette forclusion durable inscrite depuis la conquête dans les corps, les âmes, la mémoire des peuples soumis et effacés de l’Histoire officielle. Ce retour à la langue apparaît comme un préalable nécessaire du processus de décolonisation, dans la mesure où la langue relie les individus avec ce qui les constitue, a le pouvoir de re-signifier la subalternité pour soi et la capacité de générer un dialogue d’un type nouveau car s’exprimer dans sa langue originaire c’est pouvoir transmettre sa vision du monde de façon singulière.

La coupure exprimée par Liliana Ancalao se trouve re-signifiée par la prise de parole des femmes de la communauté qui la ré-inscrivent dans la sphère publique par le biais de leurs interventions dans les médias et leurs pratiques artistiques, autant que dans leur quotidien. L’étrangeté, le folklore et l’exotisme attachés à la langue mapuche se dilueront d’eux-mêmes par l’effet de répétition et de reconnaissance. Pour l’heure, même lorsqu’elles sont admises par l’État-Nation dont les populations relèvent, et même lorsque le bilinguisme est constitutionnellement acté, - on pense au guaraní au Paraguay, mais aussi à la Bolivie et au Pérou – , les langues des peuples originaires ne sont pas reconnues dans la plupart des espaces de la vie quotidienne (l’école, l’administratives, la sphère culturelle, politique, médiatique, etc.).

La pratique de la langue mapuche, le mapudungun, ouvre une brèche dans le discours forclos et uniformisé de la langue espagnole qu’elle contamine. En désordonnant un ordre linguïstique aseptisé, la pratique de la langue subalterne concrétise une égalité formelle restée lettre morte, et  vient « créer le trouble » (Femenías, 2007 : 210), un trouble (ré)générateur. Car la langue est une modalité d’action et une représentation culturelle qui engage le corps de celle ou celui qui s’exprime et interpelle le corps de celle ou celui à qui elle s’adresse. La langue mapuche participe également de la re-signification de symboles de la communauté mapuche stigmatisés (vêtements, traditions, savoirs, arts). Au-delà d’une affirmation socio-esthétique, ethnico-politique, la pratique de la langue est un geste de réinscription de sa construction identitaire, la célébration des retrouvailles d’un peuple avec lui-même.

Un récent documentaire de Pamela Pequeño intitulé Dungun, la lengua (2012) et présenté au Festival de Cine de Valdivia raconte l’expérience d’une institutrice mapuche, Elba Huinca, qui dans son école d’un quartier populaire de Santiago où sont scolarisés de nombreux immigrants, milite pour la diversité culturelle en pratiquant et en apprenant le mapudungun à ses élèves. Tout récemment, l’Académie Nationale de la Langue Mapuche a été inaugurée : Inarrumepegepeyem Mapuzugun Wallmapu Mew pour revitaliser et promouvoir la langue sur le territoire ancestral mapuche Wallmapu.

Au cinéma, l’apparition de personnages d’indigènes interprété.e.s par des indigènes parlant leur langue est un phénomène encore marginal, mais qui suscite de vives réactions, suivant que la version originale est sous-titré ou pas et suivant le regard porté par le ou la cinéaste qui demeure pour les films de fiction très majoritairement un.e huinca. Estudio para una siesta argentina, de Lía Dansker de 2003 et surtout Hamaca paraguaya écrit et réalisé par Paz Encina en 2006 (primé entre autres par la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes et par le Prix Fipresci),  marquent une rupture. Hamaca paraguaya, dont l’austérité de la mise en scène sert la véritable protagoniste du film : la langue guaraní et invite à réfléchir sur l’identité linguistique au Paraguay, pays bilingue à 8O%, est un film en guaraní sous-titré en espagnol paraguayen. Les exemples de films de fiction qui intègrent les langues originaires se multiplient: Made in USA et Fausta, La teta asustada, de Claudia Llosa, El niño pez de Lucía Puenzo, La jaula de oro, de Diego Quemada Díez et Nositaliaj. La belleza de Daniela Seggiaro, etc.

Les corpus filmiques, dont les nouvelles technologies facilitent l’accès sans pour autant en garantir une ample diffusion, rendent compte de cette conscience de la subalternité, encore vécue comme l’empreinte indélébile imprimée par ceux que Maria Luisa Femenías appelle les « référents hégémoniques ». Son analyse de la complexité du statut des femmes indigènes appartenant à une communauté dont elles veulent défendre les droits souligne les obstacles qui les entravent car la perception et la construction des identités, objectivées et imaginées, représentées, combattues ou défendues par des « référents hégémoniques » est un filtre auquel se superpose une dimension ethnico-culturelle source de conflit lorsqu’elle s’acccompagne d’une considération de genre.

« En esos casos, culturalmente se inculca a las mujeres un vago sentimiento de culpa por traición étnico-cultural cuando se enrolan en los reclamos por sus propios derechos y confrontan los estilos autóctonos que las discriminan. » (Femenías, 2007 : 204).

Á cela s’ajoute ce que la philosophe appelle les « identifications secondaires » et qui ont trait à la citoyenneté, c’est-à-dire à la participation à la vie démocratique au sein d’un État-nation.

Le travail à une échelle locale et la constitution de réseaux intercommunautaires répond sans doute en partie à plusieurs de ces difficultés. En ce sens, il convient à nouveau de mettre en avant le travail de Jeannette Paillan en tant qu’instigatrice du Premier Festival International de Cinéma et Vidéo Mapuche et de l’Abya Yala (Fantepufilmfestival), célébré en novembre 2013 à Temuco Wallmapu, au Chili. Cette rencontre a pour ambition de

« consolider le support audiovisuel comme une forme de visibilisation des différentes réalités socio-culturelles de la société mapuche et des peuples originaires d’Amérique (Abya Yala) et d’être un lieu d’échange d’expériences à travers l’image en mouvement, un lieu de diffusion et de création, ouvert à des équipes multiculturelles. » (www.fantepuvideomapuche.blogspot.fr/).

On peut également mentionner le XIIe Festival International de Cinéma et Vidéo Indigène qui se déroulera en 2015 simultanément sur les territoires de la nation mapuche Wall Mapu, à Temuco, au Chili, et à Neuquén, en Argentine. Cette reconfiguration spatiale affirme en effet l’identité des peuples originaires au-delà des frontières tracées par les États conquérants. L’événement culturel est de surcroît adossé à un objectif plus ambitieux de formation de spécialistes en communication, capables de relayer et de réfléchir sur les réalités actuelles des peuples originaires. L’enjeu est de rendre compte des spécificités communautaires, de lutter, contre le racisme, la discrimination et la ségrégation et de contribuer à la reconnaissance et à l’exercice effectif des droits des peuples originaires. Il s’agit enfin de concourir à une meilleure qualité de vie et de renforcer leur cosmovision, basée sur le principe collectif d’une réciprocité et d’égalité de genre. (www.clacpi.org/chile-realizan-lanzamiento-del-xii-festival-internacional-de-cine-y-video-indigena-2015/)

  Ce programme ambitieux est loin d’être encouragé par les autorités nationales chiliennes, et les difficultés ne sont pas seulement d’ordre matériel et technique. La création d’un observatoire du droit à la communication des peuples indigènes en dit long sur les obstacles institutionnels, étroitement liés à l’histoire de la nation à laquelle chaque communauté a été rattachée de force. Au Chili, la communauté mapuche prend position dans un contexte particulier, lié au modèle économique ultralibéral, à la non application de La loi Indigène de 1993 – votée pendant la période dite de Concertation et qui mobilisa autant qu’il divisa le mouvement de défense des droits mapuche -, et à l’application de la loi antiterroriste qui remonte aux années 2000 sous un gouvernement de gauche.

L’appropriation et la re-signification par le biais d’un medium longtemps détenu par les winka des représentations indigènes - le terme étant ici repris pour favoriser une communication transnationale des peuples originaires - est au cœur des préoccupations de Jeannette Paillan et de la CLAPCI.

Inclusive et ouverte, la Coordination associe des professionnel.l.e.s et des novices, indigènes ou pas, mais engagé.e.s dans la défense des communautés originaires, et s’est transformée en une plateforme facilitant l’accès des peuples originaires aux médias pour renforcer sa capacité à diffuser des contenus et à unifier les communautés. Consciente de sa pluralité et de la simultanéité des dimensions locales au sein d’une ère globalisée, la CLAPCI promeut la maîtrise de la technologie envisagée comme une arme essentielle pour communiquer et ouvrir des espaces propres et transcontinentaux.

Bilan d’étape :

Cinéma et politique sont intrinsèquement liés, mais leur résonance n’est pas la même suivant que l’on appartient à un groupe dominant ou à un groupe subalterne et suivant le degré de discrimination et l’impact des inégalités. Vouloir faire du cinéma ou de la vidéo pour produire un discours sur sa culture, sa langue, son territoire et sa condition de femme au sein d’une communauté originaire est un processus complexe qui engage, bien au-delà de préoccupations esthétiques, les droits humains dont le droit à l’accès aux médias fait partie.   L’affaire Elena Varela, réalisatrice chilienne de Newen Mapuche. La fuerza de la tierra (2010), condamnée et emprisonnée durant presque deux ans alors qu’elle préparait son documentaire sur la lutte des mapuche contre les entreprises d’exploitation forestière, en dit long sur la réalité de cet accès à l’image et sur l’oppression politique du peuple mapuche aujourd’hui au Chili. Partie enquêter sur la mort d’un jeune mapuche, elle s’installa dans une communauté du sud de l’Araucanía, où elle constata puis subit le harcèlement policier et judiciaire envers les membres de la communauté et les violences tolérées par le gouvernement socialiste de l’époque. Alors qu’elle avait remporté plusieurs prix et obtenu de diverses institutions de l’État Chilien les fonds nécessaires au financement de son travail, elle fut accusée en 2008 au nom de la Loi antiterroriste d’avoir financé des terroristes du MIR sur lequel elle menait également une enquête documentaire, et subit un procès de deux années au bout duquel toutes les charges de l’accusation furent abandonnées. Son combat fut relayé dans les médias du monde entier et en particulier en Argentine, ce qui produisit une secousse dans la sphère audiovisuelle et permit de briser le silence et l’impunité.

Son expérience, relayée par des journalistes et militant.e.s du monde entier, sensibilisa de larges publics à la cause des mapuche dont une partie des représentant.e.s se trouvent en prison ou inculpé.e.s pour des actes terroristes et certain.e.s condamné.e.s à des peines de 25 ans de prison du fait de la persécution de l’État chilien institutionnalisée pendant la dictature mais toujours d’actualité. Son film, présenté dans de nombreux festivals et distribué en salle, adopte les codes de narration filmique du thriller pour rendre compte du climat dans lequel vivent les mapuche, suspecté.e.s et terrorisé.e.s comme au temps de la dictature et qui vivent comme des clandestins, s’exprimant souvent à visage couvert.

Le cas d’Elena Varela n’est pas une exception et souligne deux choses : la vulnérabilité des groupes humains subalternes face à la violence des États et d’autre part le pouvoir des images.

Qualifié.e.s de journalistes-activistes mapuche, les nouveaux militant.e.s, dont fait partie Jeannette Paillan, et leurs alter ego non mapuche, oeuvrent à modifier les politiques publiques et à alerter l’opinion sur des causes sociales oubliées (García Mingo, 2013 : 14). Ce média-activime, ou activisme culturel, prône une attitude ré-agissante et des pratiques qui ré-organisent les discours dont elles déconstruisent les codes et les enjeux intentionnellement cachés mais toujours réactualisés.

Le développement de réseaux locaux et transnationaux qui passe par l’acquisition de nouvelles compétences (la maîtrise des codes de la radio et de la télévision digitales, du cinéma et de la vidéo) permet le développement de nouvelles pratiques qui fissurent le mur des représentations.

La conscience de la subalternité et la production de discours décolonisés sont les fondations d’un nouvel édifice. Á l’encontre des théories a-historiques colonialistes, dont les effets sont encore palpables par la force de leur ancrage historique, des postures, des théories et des pratiques alternatives émergent qui s’appuient à la fois sur l’oralité (moyen de communication et de transmission ancestral de la langue) et les technologies actuelles audiovisuelles. Aujourd’hui, il est possible de produire des savoirs situés, locaux, médiatiquement diffusables à une échelle globale et susceptibles de générer des pratiques émancipatrices propres à chaque communauté.

Niée depuis la conquête par la culture occidentale ou occidentalisée, impérialiste, blanche, masculiniste et de tradition judéo-chrétienne, qui re-nomma ce qui avait déjà un nom, re-dessina les frontières au mépris des réalités sociales, géographiques, politiques et culturelles, la culture mapuche a été effacée simultanément à l’expulsion de la communauté et à l’usurpation de ses territoires. L’auto-désignation est une étape décisive pour ouvrir des brèches dans « le régime de vérité » détenu par les groupes dominants.

En tant que lumpen historiquement effacé, occulté, subordonné et exploité, les femmes ont tardé à avoir accès aux écrans autrement qu’en tant qu’objet de désir ou de répulsion, exotique, érotique etc. Étrangères à elles-mêmes, il appartient aux femmes de refonder une généalogie féministe afin de combler le trou noir de la domination et de poser les fondations d’une culture inclusive. L’expérience de la subalternité intersectionnelle, dont elles sont encore les représentantes majoritaires en font des médiatrices « privilégiées » pour repenser l’histoire et produire des images « subalternatives », porteuses d’un imaginaire collectif non plus centré, restreint ou exclusif d’un groupe humain mais au contraire ouvert, chaotique et fluide.

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. García-Mingo, Elisa, 2013. “Persiguiendo la utopía: medios de comunicación mapuche y la construcción de la utopía del Wall Mapu”.

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note biographique

Laurence H. Mullaly : Doctora de la Universidad de La Sorbona (« Julio Cortázar y Manuel Antin : literatura y cine argentinos de los años 60 : la problemática de la adaptación »), Laurence H. Mullaly es Profesora Titular en la Universidad Bordeaux Montaigne, desde 2007. Su investigación y su docencia se centran en los cines hispanoamericanos, el tema de la memoria y de las identidades desde el prisma de los estudios de género. Tiene publicados artículos sobre Lucrecia Martel, Lucía Puenzo, María Luisa Bemberg, Natalia Smirnoff, Albertina Carri, Pilar Miró, Icíair Bollaín. Editó el número 8 de la revista electrónica Lectures du genre titulado « L'imagerie du genre: la (re)conquête de l'espace visuel en Amérique Latine au XXIè siècle. »

(www.lecturesdugenre.fr/Lectures_du_genre_8/La_Une.html) y coordinó Femmes, écritures et enfermements en Amérique Latine, (C. González, C. Lepage, L. Mullaly, A.Ventura), PUB, Bordeaux, 2012. Junto con Michèle Soriano, acaba de publicar De cierta manera. Cine y Género en América Latina, L’Harmattan, Paris, 2014.


 

[1] Entretien de Mathieu Loewer, «América latina : Marcela Said, fer et velours», http://www.aquisuds.fr/1192-america-latina-marcela-said-fer-et-velours/

[2] SALAZAR, Juan Francisco (2004): Imperfect media: the poetics of indigenous media in Chile

.[Doctoral dissertation] College of Arts, Education and Social Sciences. School of Communication,

Design and Media. University of Western Sydney.

[3] Julio García Espinosa, La doble moral del cine, «Por un cine imperfecto», 1969

Taller de cine, colección dirigida por Gabriel García Márquez, E.I.C.T.V, Plaza y Janès Editores, Madrid, 1996.

[4] Liliana Ancalao, poétesse mapuche (2010: 53-54), citée par Karina Bidaseca et Vanesa Vazquez Laba, (comps.) Feminismos y poscolonialidad. Descolonizando el feminismo desde y en América Latina, Buenos Aires, ediciones Godot, Colección Crítica, 2011.

 

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