Les pédagogies des corps 1

Carmen Lúcia Soares

traduçtion: tania navarro swain

r[évision: Marie-France Dépêche

Résumé:
Les savoirs qui composent l´éducation des corps s´étendent de l´hygiène aux bonnes manières, des bains aux pédagogies qui visent à les domestiquer et modeler .Ce
texte prétend discuter quelques uns de ces aspects.

Mots clefs: corps, éducation, éducation du corps

Nous posons une première question pour débuter ce texte :comment femmes et hommes se trouvent « éduqués » afin de pouvoir « socialiser » entre eux, selon les « bonnes manières » ? ( Ribeiro, 1994 :9) On peut inférer que cela se passe sur un long lapse de temps, au cours d´un lent travail de coercition du corps , minutieux, intense, extensif et obstiné .

Roter, cracher, uriner, déféquer un peu partout, à tout moment n´ont pas été toujours considérés des actes non-civilisés et limités aux personnes « mal polies ». La culture matérielle est témoin de la profusion d´objets somptueux destinés aux fonctions organiques , tels que les crachoirs, les pots de chambre en porcelaine, argent et autres matériaux prisés. Il y avait une certaine « naturalité » dans ces actes, plus tard, cependant, restreintes au domaine non du privé, mais de l´individuel. (Elias, 1994, vol. 1).

Il a été nécessaire d´interdire l´utilisation des lieux publics pour satisfaire les besoins physiologiques. Il est intéressant de noter qu´ il y a trois siècles et même de nos jours, les besoins physiologiques étaient satisfaits devant tout le monde, partout, dans plusieurs cultures ou groupes de classes sociales différentes. ( Gonçalves, 2002)

L´emploi l´eau « colle » à l´éducation du corps et atteste également la transformation des coutumes . « Il est impossible de remonter aux origines des liens entre l´eau et le corps humain. L´eau constitue les corps, autant dans sa biologie que dans l´imaginaire, se confondant à l´essence de la vie. (Sant’Anna, 2002a :100). Son utilisation pour l´hygiène est fondamentale , mais elle n´a pas toujours eu cette finalité, apparemment unique et universelle. Un long parcours a été réalisé pour que l´eau devienne l´élément central de la propreté du corps, un nettoyage qui, dans plusieurs cultures ou groupes sociaux est encore de nos jours fait « à sec ».

Bien plus que l´hygiène, l´utilisation de l´eau révèle les divertissements du corps, les préliminaires amoureux, les jeux érotiques et les formes de travail dans la longue durée. Les bains publics et mixtes étaient des lieux où , pendant très longtemps, on a vu se faire le mélange des corps et des sexes.. (Vigarello, 1985)
Nous pouvons aussi nous pencher sur les bains thérapeutiques, des eaux de mer, des rivières ou des thermes, sans oublier l´eau en tant que lieu de travail ; la généralisation de son utilisation pour le divertissement est récente. (Corbin, 1989 e 1995; Hasse, 1999) “ L´eau est un importante témoin du corps, et peut être utilisée pour les services les moins nobles et les plus intimes tout autant que pour les actes les plus sacrés et hygiéniques) (Sant’Anna, 2002a :100)

L´éducation du corps a donc parcouru des chemins multiples , tout en élaborant des pratiques contradictoires, ambiguës et en état de tension. Elle prescrit, dicte , impose des formules et des formes de coercition pour les nécessites physiologiques et contrarie, ainsi, les envies ´naturelles » Cette éducation du corps est omniprésente et atteint les individus, les groupes et les classes sociales : elle est représentée non seulement par des mots, mais aussi par des savoirs, présents dans une éducation quotidienne et intermittente .Voici quelques uns de ses aspects.

Le corps est éduqué par les habits, qui font le partage entre filles et garçons ; très tôt, les enfants du sexe féminin sont emprisonnées par la mode. (Sant’Anna, 1994), par les petites tortures qu´elles apprennent à supporter pour devenir de belles adultes, des femmes qui trouvent “ naturel” et normal de s´équilibrer sur des talons de 10 cm, « à la mode »

Très tôt, les petites filles, ainsi. sont éduquées à domestiquer leurs corps et à se faire les ongles, se maquiller, se teindre les cheveux ; de cette manière, elles sont entraînées à suivre la mode. Le journaliste Antonio Arruda a publié un article sur cet univers effrayant, à partir d´interviews de petites filles, âgées de 4 à 10 ans, intitulé « des petites coquettes » dans un périodique à large circulation , la Folha de S. Paulo de 09/05/2002 :
« Les interviewées ne sont pas des top models ou des présentatrices de programmes de Tv. Ce sont des enfants, pas même encore de jeunes filles. Elles ont entre 4 et 10 ans et s´habillent comme des femmes adultes. Pour les parents, cela représente un processus naturel, une coquetterie immanente, un moyen « actuel et inévitable » d´être une fille.[... Le marché de la mode et les média, par le truchement de la TV et de la publicité, envahissent les foyers avec des modèles d´enfants habillées en femmes et fréquemment, dans des attitudes d´adulte »

La beauté devient un impératif de l´éducation féminine. Elle résulte d´un effort, d´un auto contrôle du corps, d´une éducation disciplinaire, d´une prédisposition certaine à la torture, ou , comme l´affirme une journaliste française, d´un renouveau des précepts bibliques: « tu auras la beauté à la sueur de ton corps » (Caviglioli:12)

Dans le cadre de l´éducation corporelle des femmes et des hommes, un autre aspect à considérer est l´architecture (Zarankin, 2002), un cas particulier d´expression langagière et ainsi de possibilité concrète pour la matérialisation des discours.

Les rues des villes sont des chemins d´éducation du corps de leurs habitants, ainsi que la grandeur des maisons, des chambres, du mobilier, des objets ; la luminosité de l´ambiance, l´absence ou présence de couleurs, textures, confort, sont également des éléments à tenir en compte. (Sant’Anna, 2000) Le corps est aussi éduqué par la nourriture, les religions, les média,, par les différentes pratiques adoptées comme étant adéquates à lui prodiguer des soins. Ainsi, parler d´une éducation du corps, signifie parler d´un lent processus civilisateur, dont les changements de sensibilité sont longs et complexes : la tolérance ou l´intolérance vis à vis des attitudes et des pratiques humaines, l´importance donnée aux corps, devient de plus en plus éloquente et ample . Le corps est le texte qui révèle des données précises de l´histoires des sociétés. 2

Une phrase de Foucault me paraît parfaite pour penser l´éducation du corps : « chaque époque élabore sa rhétorique corporelle ». En effet, toutes les marques, les formes, l´efficacité et le fonctionnement du corps se transforment, changent avec le temps, sont subverties, les représentations sont substituées, déplacées.

Le culte de la maigreur , l'obsession pour les activités physiques ordonnés et pour la "santé parfaite" (Sfez, 1995) prennent place en tant que nouvelle représentation du corps. La grosseur , qui a déjà été synonyme d'opulence et même de santé pour certains groupes et certaines cultures, est l´objet, de nos jours, d' une nouvelle sensibilité et d'un nouveau seuil de tolérance .

Aujourd'hui la grosseur est devenue le mal suprême qui doit être combattu; une fois alliée au sédentarisme, un autre méchant contemporain, la grosseur se retrouve sur tous les plateaux des médias aux politiques et programmes de santé publique.(Fraga, 2002)

En tant que phénomène typique d'une société d'abondance 3 le modèle de la maigreur est devenu un impératif, institué du haut vers le bas. C'est dans ce cadre que la grosseur et l'obésité sont devenues vulgaires et mauvaises pour la santé. Dans une perspective plus ample, on peut parler d'une "esthétique de la maigreur" – qui est imposée surtout aux femmes, mais pas exclusivement à elles - dont le véhicule sont les médias, qui "intiment" l´ordre d´appartenir aux "sanctuaires du culte du corps" (4) toujours prêts à présenter des "nouveautés" pour la saison ou la "mode"dans d'autres pays.

« Ce culte du corps exige des sacrifices: financiers ( on dépense moins pour s'habiller, que pour "être en forme") […] les moyens de communication répètent à tout moment que chaque personne a le corps qui celle-ci mérite ce qui mène à un nouveau sens de responsabilité. Ce corps qui doit être produit, dénudé sur la plage, doit obéir aux canons du moment ». ( Vicent et Fischler, 1987)

La sensibilité actuelle s'enracine dans la rupture du "contrôle -répression" et sur l'invention du contrôle- stimulation , comme le souligne Foucault dans sa phrase célèbre, que l'on peut se présenter nu, pourvu que l'on soit maigre, beau et bronzé ( Foucault, 1984)

Les indices de la masse corporelle , divisés en masse maigre et masse grosse, n'ont pas toujours fait objet d'une attention particulière, ni pour les femmes, ni pour les hommes. Dans l'actualité cependant, ils sont à la mode et sont même discutés dans les écoles primaires et secondaires.

Nous avons ainsi une manière explicite d'éduquer les corps selon des paramètres de normalité courants. La manière apprise d'être en relation avec son corps, la manière aussi dont les alertes sont données sur les déplacements du "mal", les classifications esthétiques, tout cela n'est plus comme auparavant.

De ce fait, la sensibilité de chaque époque doit être auscultée , comme le font Sant'Anna et Vigarello. En ce qui concerne le corps, il est donc nécessaire de se pencher sur les soins qui lui sont prodigués, ainsi que leur capacité de créer des stratégies d'équilibre et de prolongement de la vie. Il faut également se demander comment le corps est devenu ce qu'il est aujourd'hui; comment l'obsession pour la santé et le sexe a été construite , de telle manière qu'elle est devenue celle qui régit notre monde, comme le suggère Pascal Bruckner.(2000)

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Note biographique::

Carmen Lúcia Soares est doccteure de la Faculdade de Educação da Universidade Estadual de Campinas/SP. Elle est membre du Conseil Genéral de la Société Internationale de l’éducaion physique et du sport; et elle est chercheure du Colégio Brasileiro de Ciências do Esporte(CBCE). Elle est également éditeure de la Revista Brasileira de Ciências do Esporte(RBCE). Elle a publié plusieurs livres, parmi lequels se trouvent: Educação Física: raízes européias e Brasil. Campinas: Autores Associados 200, Imagens da Educação no corpo: estudo a partir da ginástica francesa no século XIX. Campinas: Autores Associados, 2002 e Corpo e História (org.) Campinas: Autores Associados, 2001. Elle a aussi organisé le dossier “A visibilidade do corpo” , Revista Pro-Posições. Campinas, Faculdade de Educação-UNICAMP,v. 14, n. 2 (41) maio/agosto de 2003.

1Une première version de ce travail a été présentée dans le cadre de la conférence d´ouverture de la “I Reunião Anual do PROEFE: por que educação física”, realisée par le département d´Education Physique de l´Université Fédérale de Minas Gerais, à Belo Horizonte, Brésil, entre le 28 et le 30 novembre 2002, sous le titre “A Educação do corpo e a Educação Física”

2 Les textes de Marcel Mauss sur les corps en tant qu´objet historique sont , à mon avis, fondateurs.

3 Cette affirmation est pour lemoins bizarre, étant donné la faim qui sévit dans le monde et surtout au Brésil. L´abondance pour qui ? pour combine ? Pour ceux qui ont inventé le modèle ? voir Sant’Anna, 2003.

4 J´utilise cette expresison pour indiquer les académies de gymnastique, par exemple. Voir Vaz, 1999 e 2001.

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Labrys
études féministes
numéro 4
août/ décembre 2003