labrys, estudos feministas, études féministes
agôsto/ dezembro 2004- août / décembre 2004
número 6

Maternalisme et État providence: Le cas du Québec *

Denyse Baillargeon

Résumé

Depuis près d’une décennie, les débats sociaux et politiques entourant l'avenir (ou l'absence d'avenir) de l'État providence dans les pays occidentaux ont suscité un regain d'intérêt pour l'étude de ses origines. Un nombre croissant d'articles, de monographies et d'ouvrages collectifs se sont tout particulièrement intéressés aux liens entre les revendications des féministes «maternalistes» du début du siècle et l'élaboration des premières politiques sociales[1]. Dans l'ensemble, ces recherches ont montré qu'avant même que les femmes aient obtenu la citoyenneté politique, elles sont intervenues dans l'espace public en invoquant leur capacité maternelle pour exiger de nouveaux droits sociaux. Elles ont souvent été les premières à identifier les besoins des mères et des enfants en matière de bien-être et d'assistance et elles ont tenté de combler ces besoins en multipliant les œuvres philanthropiques qui leur étaient dédiées et en réclamant l'adoption de diverses mesures comme des pensions aux mères seules et des allocations familiales.

 

 

Derrière ce scénario général, qui s'est répété à travers l'Occident, se cachent toutefois de nombreuses différences selon les pays en cause, tant au niveau de l'ampleur de l'activité bénévole déployée par les femmes et de leur influence auprès des législateurs, qu’en ce qui concerne l'étendue et la générosité des politiques éventuellement adoptées par les gouvernements. Dans un article publié en 1990, Seth Koven et Sonya Michel faisaient remarquer qu'il semble exister une corrélation inverse entre, d'une part, l'importance de l'intervention étatique dans le domaine du bien-être maternel et infantile et, d'autre part, la vitalité et le pouvoir que les «maternalistes» sont parvenues à exercer au sein de leur société respective[2]. Se fondant sur le cas des États-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne, les deux auteurs soutiennent en effet que les états «forts» (strong states ), c'est-à-dire ceux que l'on qualifie volontiers d'interventionnistes, comme la France et l'Allemagne, sont ceux qui ont adopté les mesures sociales les plus élaborées à l'égard des mères et des enfants, mais ils ont aussi été ceux où les organisations féminines ont exercé le moins d'influence dans la formulation de ces politiques. Par contraste, les pays «faibles» (weak states) en matière d'intervention gouvernementale, comme la Grande-Bretagne et les États-Unis, ont été ceux où les groupes de femmes ont été le plus solidement et largement enracinés et où ils ont bénéficié du plus large espace politique pour faire valoir leurs revendications et développer leur action[3].

Comme l'ont souligné plusieurs auteures, l'empressement plus ou moins grand de l’État à se soucier du bien-être des mères et des enfants et à mettre en place des politiques familiales, doit être mis en relation non seulement avec l'action des maternalistes, mais aussi avec les enjeux que pouvaient représenter ces questions à l'échelle nationale, avec l'opposition que ces mesures ont pu susciter chez des groupes comme les syndicats ou le patronat, et avec la capacité de ces différents acteurs sociaux à faire valoir leurs positions dans l'arène du pouvoir. Selon Susan Pedersen, qui a comparé le développement de l'État providence français et britannique, de généreuses politiques familiales ont pu être développées en France, même en l'absence d'un mouvement féministe fortement organisé, car elles ont été articulées et mises en place par des employeurs qui ont su exploiter la rhétorique pro-nataliste ambiante pour faire accepter les mesures qu'ils proposaient. Les diverses allocations ne furent d'ailleurs pas nécessairement distribuées aux mères, car elles ne cherchaient pas tant à assurer une moins grande dépendance des femmes envers leur conjoint ou à reconnaître la contribution sociale des mères qu'à maintenir les salaires au niveau le plus bas possible. À l'inverse, en Grande-Bretagne, les groupes féministes, beaucoup plus militants, ont vu leurs revendications écartées car leur discours insistait sur l'importance de reconnaître le travail maternel et de donner aux femmes une mesure d'indépendance économique, ce qui allait directement à l'encontre du modèle de l'homme pourvoyeur défendu par le mouvement ouvrier. Ce dernier étant mieux en mesure d'influencer les décideurs politiques, ils sont parvenus à bloquer la plupart des projets élaborés par les féministes[4].

Le modèle interprétatif proposé par Koven et Michel et qui met en relation la «force» des États et celle des féministes-maternalistes ne peut toutefois rendre compte de l'expérience de tous les pays occidentaux: le Québec, à tout le moins, fait figure d'exception[5]. Dans cette province canadienne, majoritairement catholique, en effet, les initiatives des femmes francophones ont été rapidement circonscrites, sans que l'on assiste pour autant à la mise en place de mesures sociales comparables à celles des pays européens les plus interventionnistes. Même à l'échelle nord-américaine, le Québec est longtemps demeuré le parent pauvre en ce qui concerne la protection sociale des mères et des enfants. De même, on peut difficilement attribuer la faiblesse, pour ne pas dire l'absence, de mesures sociales à l'opposition d'un mouvement ouvrier fortement organisé, comme en Grande-Bretagne, puisque celui-ci était divisé et ne possédait pas une aile politique digne de ce nom[6].

En fait, l'espace politique laissé vacant par le libéralisme des dirigeants québécois était largement occupé par l'Église catholique —qui depuis le 19e siècle, contrôlait un vaste réseau d'institutions d'assistance dirigées par des religieuses[7]—, et par des nationalistes conservateurs qui gravitaient autour d'elle. Cette élite «clérico-nationaliste», préoccupée avant tout par la sauvegarde du caractère catholique de la population francophone de la province, percevait l'intervention de l'État et les revendications des femmes laïques comme une menace à la suprématie de l'Église et à l'autorité paternelle. Animée par de forts sentiments antiétatiques et antiféministes, elle considérait que la charité exercée dans un cadre confessionnel était la mieux à même de soulager la misère tout en préservant l'ordre social et familial traditionnel, fondement de la nation canadienne-française. Dans cette perspective, l'État ne pouvait jouer qu'un rôle supplétif, en aidant au financement des activités de l'Église par exemple, alors que les femmes laïques devaient se contenter de supporter les initiatives des communautés religieuses féminines qui œuvraient dans son giron[8].

Certes, à partir du début du 20e siècle, l'Église a dû concéder du terrain à l'État au niveau du financement de son réseau institutionnel d'assistance, tout comme l'État a dû se résoudre à faire quelques entorses à sa règle de non-intervention, en matière de santé publique notamment[9]. Il n'en demeure pas moins que jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale à tout le moins, l'étendue des activités d'assistance de l'Église combinée au support qu'elle recevait des milieux nationalistes[10], lui a permis d'imposer sa vision chrétienne des rapports sociaux et familiaux, conçus comme «naturellement» inégalitaires, de court-circuiter les revendications des femmes et de retarder l'adoption de politiques sociales.

Pour assurer sa suprématie, l'Église a dû encadrer les mouvements sociaux de contestation qui n'ont pas manqué de se manifester avec la montée du capitalisme industriel[11]. Ainsi, les dirigeantes de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste (FNSJB), le principal regroupement de femmes francophones qui s'est engagé dans les luttes réformistes à Montréal au début du XXe siècle[12], ont dû promettre de pratiquer un «bon féminisme», c'est-à-dire un féminisme chrétien, soucieux de respecter «les valeurs nationalistes et la pensée sociale catholique»[13]. Cet engagement, qui faisait écho à leurs propres convictions, ne les a pas empêché de formuler des revendications similaires à celles des groupes de femmes des pays industrialisés en matière de droits politiques et de protection sociale pour les mères et les enfants, mais compte tenu de leur adhésion aux enseignements de l'Église, elles furent réticentes à envisager une intervention de l'État qui n'aurait laissé aucune place aux œuvres philanthropiques d'obédience catholique.

L'engagement social et les revendications de la Fédération remettaient néanmoins en cause l'ordre social et religieux patriarcal et elle s'est donc heurtée à une très forte résistance. La subordination des femmes dans la famille et la société représentait une des assises du projet nationaliste des clercs et des laïcs conservateurs, car c'est elles qui assuraient la perpétuation de la «race», et il ne pouvait être question de céder sur un enjeu aussi stratégique. L'État, de son côté, fut trop heureux de brandir l'opposition du clergé chaque fois que les femmes lui ont adressé des demandes, si bien qu'à la fin des années trente, les Québécoises en étaient encore à revendiquer la citoyenneté politique et que pour toute protection sociale, elles «bénéficiaient» d'allocations aux mères seules les moins généreuses en Amérique du Nord.

Cet article vise à poser quelques jalons de l'histoire des luttes sociales et politiques menées par la FNSJB afin de montrer comment les questions religieuses et nationales ont sans cesse interféré avec son action et ses demandes et permettent de comprendre la faiblesse de l'État providence et du mouvement féministe québécois. Le rôle joué par la Fédération dans la mise en place des structures socio-sanitaires dédiées à la petite enfance à Montréal et son combat pour la pension aux mères, de même que son échec à obtenir des changements dans le statut juridique et politique des Québécoises serviront plus particulièrement d'illustration.

La FNSJB et le mouvement en faveur de la sauvegarde de l'enfance à Montréal

Dans la plupart des pays occidentaux, les groupes de femmes ont largement contribué au mouvement en faveur de la sauvegarde de l'enfance qui s'est développé au tournant du siècle. La lutte contre la mortalité infantile s'inscrivait parfaitement dans la foulée de leurs idées maternalistes et la société, qui leur prêtait une inclinaison naturelle à se préoccuper des êtres sans défense comme les enfants, les y encourageait. La part qu'elles ont prise dans la mise en place et le fonctionnement des structures de santé publique a cependant varié considérablement d'un pays à l'autre, dépendant, entre autres facteurs, de l'ampleur de l'activité étatique et de l'accès des femmes à la formation et aux emplois professionnels[14]. Les féministes francophones montréalaises considéraient elles aussi qu'elles avaient un rôle particulier à jouer dans ce domaine, mais il leur fallut compter avec la présence d'un groupe de clercs et de médecins qui estimaient que les attributs de la féminité disposaient surtout les femmes à seconder leurs propres entreprises.

Les premières initiatives des groupes de femmes pour contrer la mortalité infantile à Montréal  remontent à la fin du XIXe siècle. À cette époque, les féministes francophones, peu nombreuses, avaient joint les rangs du Montreal Local Council of Women (MLCW), un regroupement majoritairement anglophone et protestant[15]. Le clergé catholique et les nationalistes conservateurs, hostiles au féminisme en général, s'inquiétaient tout particulièrement de voir des Franco-catholiques militer au sein d'une association «neutre» sur le plan confessionnel et ils n'hésitèrent pas à user de leur pouvoir pour faire obstacle à leurs entreprises[16]. Ainsi, quand le MLCW décida d'organiser des conférences publiques sur l'hygiène à l'intention des femmes de la classe ouvrière des deux communautés linguistiques, l'organisatrice francophone dû aller plaider sa cause auprès d'un porte-parole de l'Archevêque afin qu'il l'autorise à tenir les conférences dans des salles paroissiales, une faveur obtenue non sans mal. Pour assurer le succès de l'opération, elle prit quand même soin de commencer les conférences dans une paroisse où le curé était réputé pour son ouverture d'esprit, mais ce dernier ne poussa pas l'obligeance jusqu'à annoncer l'événement en chaire[17].

L'attitude du clergé à cette occasion montre à quel point il se méfiait des initiatives féminines élaborées hors du réseau des associations philanthropiques qu'il encadrait. Malgré tout, les conférences du MLCW remportèrent un certain succès auprès des mères. En 1900, par exemple, les conférences attirèrent un millier d'auditrices anglophones et plus de 2600 francophones[18]. L'année suivante, les membres anglophones du MLCW mirent sur pied un premier dépôt de lait à l'intention des mères pauvres de leur communauté : un dépôt semblable fut aussi inauguré pour les mères francophones dans un quartier populeux de la ville, sans qu'il soit possible de dire avec certitude qui, des médecins ou des femmes, en furent les véritables instigateurs[19]. Quoi qu'il en soit, ce premier dépôt de lait ne parvint pas à susciter suffisamment l'intérêt des philanthropes et des autorités civiles pour assurer sa survie au delà de quelques mois. En 1903, quelques médecins, francophones et anglophones, réunis sous l'égide de la Ligue du lait pur, fondèrent une demi-douzaine de centres de distribution de lait qui fonctionnèrent durant trois étés consécutifs, mais là encore, faute de fonds, ils durent mettre fin à l'expérience[20].

Chez les Francophones, le mouvement reprit en 1910 lorsque, de retour d'un voyage en France où il avait pu observer le fonctionnement des «Gouttes de lait», Mgr Le Pailleur, alors simple curé, s'entoura d'un groupe de médecins, dont le Dr Séverin Lachapelle, éminent pédiatre, pour fonder une première clinique de puériculture dans sa paroisse sous la même appellation. La présence de ces deux hommes à la tête du mouvement n'est sans doute pas étrangère au développement assez rapide des Gouttes de lait montréalaises à partir de cette date[21]. En sa qualité d'homme d'Église, Le Pailleur, en effet, pouvait plus facilement convaincre d'autres curés de suivre son exemple, tandis que la réputation de Lachapelle lui assurait d'être entendu par ses pairs et par les autorités sanitaires de la Ville. Du reste, la mortalité infantile qui faisait de véritables ravages parmi la population canadienne-française commençait à inquiéter sérieusement les élites politiques et nationalistes[22].

Déjà traumatisés par l'émigration des Canadiens français aux États-Unis, un processus en cours depuis le XIXe siècle, par l'industrialisation et l'urbanisation qu'ils percevaient comme une menace au mode de vie traditionnel de leur peuple et par les tensions qui caractérisaient de plus en plus les relations entre Francophones et Anglophones à l'échelle canadienne[23], les membres de cette élite considéraient que la survie des nouveau-nés représentait une question d'intérêt national, comme en témoignent les propos du Dr Eugène Gagnon: «Pour nous français d'origine, que l'on voudrait dans certains milieux traiter comme des étrangers sur cette terre qui est nôtre pourtant, si nous voulons conserver à notre nation le prestige que lui réserve la destinée, nous devons plus que jamais étudier les moyens qui nous permettront de diminuer la mortalité [infantile] dans notre province[24]». Leur stratégie d'action qui misait sur le développement de cliniques épousant les structures paroissiales —une façon de permettre au clergé d'y exercer son influence et de limiter l'intervention de la municipalité—, faisait cependant la part congrue à l'engagement des femmes: persuadés que la survie des nouveau-nés faisait partie intégrante du projet nationaliste canadien-français, ils estimaient que les services mis à la disposition des mères devaient être administrés par son élite masculine. Les femmes ne seraient sollicitées que sur une base individuelle, à titre de dames patronnesses.

Entre 1910 et 1913, une vingtaine de centres de distribution de lait apparurent dans autant de paroisses. Subventionnés en partie par l'administration municipale, ces centres n'auraient pas pu fonctionner sans la contribution des bénévoles féminines responsables de la distribution du lait et de la tenue des livres, car la plupart des médecins, dédiés avant tout à leur pratique privée, ne leur consacraient que peu de temps[25]. Au bout de trois ans d'expérimentation, il devenait évident que l'organisation souffrait de graves lacunes et la Ville sentit la nécessité d'exercer un meilleur contrôle en liant l'octroi de ses subsides à l'application de règles de fonctionnement plus strictes[26]. Pour s'assurer que chaque administration locale se plierait aux nouvelles exigences, l'entente qui fixait l'ensemble de ces nouvelles conditions prévoyait également la mise sur pied d'un Bureau médical, composé de quelques médecins rattachés aux cliniques et élus par leur pairs, et placés sous l'autorité du directeur du Service de santé de la Ville, le Dr Séraphin Boucher[27]. Mgr Le Pailleur se voyait quant à lui accorder une sorte de présidence d'honneur.

Cette réorganisation du réseau des cliniques paroissiales fut l'occasion que choisirent les féministes francophones pour tenter de se tailler une place dans l'organisation des Gouttes de lait. Depuis la fin du XIXe siècle, elles avaient quitté le MLCW et en 1907, elles s'étaient dotées d'un regroupement autonome, la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste (FNSJB), car elles estimaient qu' «il valait mieux s'organiser de façon à exercer une action catholique dans la société[28]». La montée du nationalisme au Québec, l'influence que commençait à exercer le catholicisme social de Léon XIII, la création dans plusieurs pays européens, notamment en France, de groupes féministes catholiques et le désir d'attirer davantage de Canadiennes françaises dans le mouvement en le rendant plus acceptable aux yeux du clergé sont autant de facteurs qui ont présidé à cette décision[29]. Avant de lancer officiellement leur organisation, les dirigeantes prendront d'ailleurs la précaution d'obtenir l'aval de l'Archevêque de Montréal qui approuva leur projet car il représentait, selon ses termes, «le vrai féminisme [...] bien différent de cet autre féminisme qui sous prétexte de revendiquer les droits méconnus de la femme oublie le rôle spécial que la Providence a assigné à celle-ci dans le monde[30]».

La FNSJB n’avait certes pas l’intention d’aller à l’encontre des plans du Créateur : ses dirigeantes restaient au contraire attachées à l'idée de la complémentarité des sexes et se montraient plutôt respectueuses des enseignements de l'Église. Elles n'ont jamais contesté la vocation maternelle des femmes et elles estimaient que le féminisme chrétien, qu'elles entendaient promulguer, contribuerait surtout à «confirmer la femme dans sa mission providentielle, [et à] l'attacher [...] à l'ordre social chrétien qui réclame sa présence dans la famille»[31]. Contrairement au clergé et aux nationalistes traditionalistes, elles croyaient cependant que la frontière entre le privé et le public n'était pas étanche et que les capacités maternelles des femmes les appelaient à assumer certaines responsabilités dans la société:

Certes, le foyer est le centre naturel de l'action de la femme; nulle auréole ne lui convient mieux que celle d'épouse et de mère; c'est l'œuvre de la création par excellence. Cependant, au-dessus de ce foyer, de la famille, il y a une autre grande famille qu'on appelle la Société (sic), qui réclame les mêmes attentions. Or, dans cette société doit régner la même harmonie que dans la famille qui en est la base. C'est-à-dire que la collaboration de la femme y est aussi nécessaire[32].

Cette conception du rôle des femmes dans la famille et la société, dont la maternité représentait le point d'ancrage, ne pouvait qu'amener la FNSJB à s'intéresser de près à la lutte contre la mortalité infantile et à l'amélioration du sort des mères pauvres et de leurs enfants. Parmi les organismes affiliés à la FNSJB dès ses débuts, on retrouve d'ailleurs l'Hôpital Sainte-Justine pour Enfants et l'Assistance maternelle, une œuvre qui apportait un support matériel et médical aux plus démunies au moment d'une grossesse[33]. La Fédération a également participé à une vaste exposition en faveur du bien-être de l'enfance, qui s'est tenue à Montréal en 1912, et plusieurs de ses membres agissaient à titre de bénévoles dans les Gouttes de lait paroissiales : parfois même, elle avaient été à l'origine de leur création[34]. De par leur expérience et leur engagement, ces femmes estimaient qu'elles avaient un rôle particulier à jouer dans l'organisation des cliniques et elles entendaient bien revendiquer une place plus visible auprès des prêtres, des médecins et de la municipalité. En juin 1914, Marie Gérin-Lajoie, présidente de la Fédération, rencontrait le Dr Boucher : celui-ci acceptait de verser une subvention annuelle afin de payer le salaire d’une «organisatrice» qui serait nommée par la FNSJB et qui aurait pour mandat de créer de nouvelles cliniques, de réorganiser les anciennes en mettant sur pied des comités féminins — ces derniers composés uniquement de membres de la FNSJB—, afin de voir à leur bon fonctionnement et de mettre en place un système de visites à domicile pour inciter les mères à fréquenter les Gouttes de lait[35].

En dépit de l'appui du directeur du Service de santé, les initiatives de la FNSJB rencontrèrent de fortes résistances du côté du Bureau médical. L'autonomie d'action qu'elle prétendait exercer en créant sa propre structure organisationnelle et sa volonté de travailler avec les médecins «sur une base conjointe», pour reprendre ses propres termes, furent particulièrement mal accueillies. Appuyés par Mgr Le Pailleur, les médecins insistèrent en particulier pour que les femmes agissent «sous leur direction» et qu'elles se cantonnent dans le rôle de «zélatrices», autrement dit qu'elles se contentent d'un rôle de second plan[36]. Ces dernières refusèrent énergiquement de se placer sous la tutelle du Bureau médical, mais pour satisfaire «ces messieurs», comme Marie Gérin-Lajoie se plaisait à les nommer, elles durent modifier quelque peu leurs règles de fonctionnement en promettant, par exemple, de ne pas dispenser de conseils en matière d'hygiène aux mères qu'elles visiteraient[37].

L'antagonisme des médecins s'est aussi manifesté au niveau des paroisses. Dans le journal quotidien qu'elle a tenu durant les années où elle occupa le poste d'organisatrice, Maria Auclair, fait très souvent état de leur hostilité face au projet d'ouverture d'une clinique ou encore de leur grande méfiance devant le désir des femmes d'y jouer un rôle actif. À la lecture de son journal, il ressort nettement que bien des médecins ne voyaient pas la nécessité des comités féminins qu'elle tentait de mettre sur pied et ils s'opposaient à toute activité féminine qu'ils ne pouvaient surveiller étroitement. Dans une paroisse, les médecins prétendirent même que les bénévoles qui visitaient les mères faisaient de «faux rapports», en d’autres termes qu'elles noircissaient leur condition économique à cause d'une trop grande «sensibilité», et ils s'opposèrent à ce qu'elles s'enquièrent auprès des femmes de leurs revenus sous prétexte que «ce n'était pas du ressort des femmes de poser de telles questions»[38].

Malgré ces tensions, Maria Auclair parvint, en deux ans, à créer huit nouvelles cliniques et à en réorganiser neuf autres. Dans chacune d'elles, elle mit sur pied un comité féminin, rattaché à la FNSJB : entre 1914 et 1917, les membres bénévoles de ces comités locaux visitèrent près de 3000 mères à leur domicile[39]. Durant ces mêmes années, les comités féminins, aidés par l'organisatrice, firent aussi donner une centaine de conférences sur l'hygiène, généralement agrémentées d'un programme musical pour attirer de plus larges audiences[40]. Elles se chargèrent de l'organisation de concours d'assiduité, visant à encourager les mères à se présenter régulièrement aux consultations, du fonctionnement de deux cliniques installées dans les parcs de la ville durant les mois d'été et de la mise sur pied de Ligues des petites mères[41]. À la fin de l'année 1916 toutefois, l'organisatrice de la FNSJB démissionnait à cause «de la situation difficile qui lui était faite» de la part des médecins[42].

Les raisons exactes de cette démission restent obscures mais il est clair qu'elle venait cristalliser une crise qui couvait depuis les débuts de l’intervention de la FNSJB dans les cliniques paroissiales. Dans les semaines qui suivirent le départ d'Auclair, les médecins firent d'ailleurs savoir qu'ils exigeaient désormais que les comités féminins paroissiaux, créés par la FNSJB, relèvent directement du Bureau médical et que la nouvelle organisatrice, à être nommée par la FNSJB, travaille sous ses ordres[43]. La FNSJB tenta bien de protester, mais sans succès. En fait, les médecins étaient désormais en mesure d'imposer leur point de vue puisqu'ils avaient obtenu que la Ville leur verse la totalité des subventions consenties pour le fonctionnement des Gouttes de lait[44]. En bout de ligne, la FNSJB refusa de nommer une nouvelle organisatrice sur laquelle elle n'aurait aucun contrôle, et les médecins décidèrent qu'ils pouvaient fort bien se passer de ses services, si bien que le poste ne fut pas comblé[45]. Au niveau des paroisses, les comités féminins affiliés à la FNSJB poursuivirent leur travail jusqu'en janvier 1918, date après laquelle on ne retrouve plus trace de leurs activités[46]. Certaines de ces femmes ont sans doute continué d'agir à titre de bénévoles sur une base individuelle, mais le Bureau médical avait atteint son but: écarter les femmes, en tant que groupe constitué, de l'organisation et du fonctionnement des cliniques.

L'attitude du Bureau médical envers la FNSJB s'explique en effet par son refus d'accepter que l'action sociale des femmes prenne une forme structurée et leur confère une  certaine autorité dans un domaine qui, à ses yeux, relevait de la seule expertise masculine. Les médecins prétendaient en effet être les seuls, avec le clergé paroissial, à pouvoir diriger la lutte contre la mortalité infantile. Ensemble, ils formaient une équipe parfaitement complémentaire: grâce au respect et à la confiance dont ils bénéficiaient, sans compter les appels qu'ils pouvaient lancer du haut de la chaire, les curés étaient censés attirer les foules vers les Gouttes de lait où les attendaient les médecins, détenteurs des connaissances scientifiques requises pour enrayer le fléau[47]. Dans ce scénario, souvent invoqué, les femmes ne trouvaient leur place qu'à titre de mères conscientes des bienfaits que cette élite éclairée voulait leur prodiguer, ou comme auxiliaires des médecins, d'ailleurs qualifiées de «bonnes» par le Dr Gauvreau[48]. Les deux parties tiraient également avantage de cette alliance, les curés s'affirmant une fois de plus comme les leaders bienveillants de leur communauté, les médecins s'appuyant sur l'autorité cléricale pour s'imposer comme la seule référence en matière de santé.

De son côté, la FNSJB n'a jamais contesté ouvertement les prérogatives des médecins. Elle reconnaissait volontiers que la direction médicale des cliniques devait leur revenir, mais elle estimait, par ailleurs, que les membres de son organisation possédaient des compétences «féminines» tout aussi cruciales pour assurer le succès des Gouttes de lait: «Tandis que les Messieurs qui composent le comité central gèrent surtout la partie médicale [...], les Dames s'unissent pour faire affluer les mères vers la goutte de lait (sic), stimuler leur zèle, développer leur éducation et enrayer les obstacles qui font échec [à leur] maintien. Car avouons-le, il est trop souvent constaté que des Gouttes de lait, qui ont été prospères à l'origine, ferment brusquement leurs portes, faute de bébés aux consultations»[49]. L'action de la Fédération devait donc, en principe, consister à convaincre les mères de la nécessité de se présenter aux cliniques en effectuant des visites à domicile, une méthode jugée plus efficace que la propagande des prêtres parce que plus personnelle et effectuée par des femmes.

Sur le terrain, cependant, le partage des attributions n'était pas aussi tranché. En siégeant sur les comités paroissiaux, les membres de la FNSJB étaient, en effet, en bonne position pour surveiller le travail des médecins et elles ne se gênèrent pas pour déplorer certains de leurs agissements. Lors de réunions mensuelles, auxquelles assistait le directeur du Service de santé, elles ont maintes fois dénoncé le fait que certains d'entre eux ne se présentaient pas à la consultation alors qu'ils étaient de garde, qu'ils étaient surtout préoccupés par la rétribution que leur versait la Ville, ou encore qu'ils ne s'entendaient pas sur les directives à donner aux mères[50].

En fait, la FNSJB s'était attribué un rôle de chien de garde face au fonctionnement des Gouttes de lait, tandis que les prêtres et les médecins voulaient y exercer une influence incontestée. Animés par de profonds sentiments nationalistes, chacun des trois groupes prétendait être investi d'une mission fondamentale dans la lutte contre la mortalité infantile, les médecins en raison du savoir qu'ils détenaient, les prêtres en tant que guide spirituel de la nation et les membres de la Fédération en vertu de leur dévouement envers la cause des mères et de leur capacité à créer un climat de confiance avec elles[51]. En accord avec leur idéologie maternaliste, ces dernières souhaitaient que les Gouttes de lait offrent des services réguliers et de qualité, un objectif d'ailleurs partagé par la Ville, tandis que les seconds considéraient que leur action se situait dans le cadre de la philanthropie et comportait certaines limites dictées par leurs intérêts économiques et professionnels. La perspective charitable des médecins affiliés aux Gouttes de lait, qui remportait l’adhésion du clergé, ne pouvait donc s'accorder que difficilement avec le maternalisme de la FNSJB, surtout quand cela signifiait que, prenant fait et cause pour les mères, ces femmes s'arrogeaient le droit de critiquer leur conduite.

Les critiques formulées à l'endroit des médecins par certaines membres de la Fédération ne sont peut-être pas complètement étrangères à la décision de la Ville de créer son propre réseau de consultations pour nourrissons, mis sur pied à partir de 1919. Ces cliniques municipales, également associées au territoire des paroisses, vinrent toutefois s'ajouter aux Gouttes de lait, et non pas les remplacer, car la Ville voulait éviter toute confrontation avec les autorités religieuses. Elle continua même à subventionner les Gouttes de lait, en dépit du fait que la plupart d'entre elles ne respectaient toujours pas certaines de ses exigences, comme le fait de recourir à des infirmières diplômées pour faire la pesée et conseiller les mères. En somme, c'est grâce à son alliance avec les autorités municipales que la Fédération a pu jouer un rôle dans l'organisation et le développement des Gouttes de lait, mais l'intervention de la Ville a aussi sonné la fin de leur collaboration officielle. Comme plusieurs historiennes l'ont souligné, l'entrée en scène de l'État a souvent signifié la disparition des entreprises féminines bénévoles: à Montréal, elle n'a toutefois pas marqué la fin des activités philanthropiques des clercs et des médecins dont les cliniques ne furent municipalisées qu’en 1953[52].

Citoyenneté politique et protection sociale des mères

La résistance des médecins face à l'action de la FNSJB dans le dossier des cliniques pour nourrissons doit être mise en parallèle avec l'opposition farouche que ce regroupement a rencontré de la part du clergé et de l'ensemble des élites nationalistes masculines dans sa lutte pour obtenir le droit de vote au niveau provincial. Aux yeux de ces hommes, en effet, le suffrage féminin menaçait tout autant l'intégrité de la nation que la mortalité infantile car il risquait de détourner les femmes de leur devoir le plus sacré: assurer la reproduction de la «race»[53].

Cette opposition s'est exacerbée lorsque, vers la fin de la Première Guerre, les Américaines et l'ensemble des Canadiennes des autres provinces ont obtenu ce droit[54]. À partir de 1918, les Québécoises purent voter, comme les autres Canadiennes, lors des élections fédérales, mais les nationalistes francophones et le clergé québécois n'y virent qu'une manifestation supplémentaire de la menace que faisait peser le monde anglo-protestant sur la famille et la nation canadiennes-françaises : «importée» de la Grande-Bretagne, des États-Unis et du Canada anglais, l'idée d'accorder aux femmes l'accès au suffrage devait être combattue avec d'autant plus de force qu'elle devenait la règle en dehors de l'îlot catholique que représentait le Québec en Amérique du Nord[55]. En 1922, lorsque des femmes des deux communautés linguistiques décidèrent de relancer la lutte en créant le Comité provincial pour le suffrage féminin, placé sous la présidence de Marie Gérin-Lajoie, la réaction du clergé fut donc très vive. L'Archevêque de Montréal fit savoir à Gérin-Lajoie que l'exercice du suffrage était incompatible avec la doctrine sociale de l'Église, et cédant aux pressions, elle démissionna de son poste de présidente du Comité provincial quelques mois plus tard[56]. La lutte pour le suffrage fut alors mise en veilleuse et lorsqu'elle reprit à la fin des années vingt, la FNSJB ne faisait plus partie de la nouvelle coalition[57].

En fait jusqu'en 1940, année où les Québécoises obtinrent finalement le droit de voter, une partie du mouvement des femmes, qui comptait dans ses rangs une nouvelle génération de féministes moins proches des milieux cléricaux, consacra le plus clair de ses énergies à cette lutte, avec pour résultat que la question de la protection sociale des mères fut très peu débattue au sein de ces groupes. Non seulement l'absence de droits politiques privait les femmes d'un important levier pour faire valoir leurs revendications en matière sociale, mais elle monopolisait des énergies qui auraient pu s'employer sur d'autres fronts. La FNSJB continua d'exercer son action bénévole auprès des mères pauvres, par l'entremise de l'Assistance maternelle notamment, et elle milita en faveur des pensions aux mères, mais en l'absence d'un véritable front commun des groupes de femmes et compte tenu de l'opposition du clergé à toute intervention de l'État, ses demandes auprès du gouvernement durant les années 1920 furent facilement écartées, comme on le verra plus loin.

À la fin de cette décennie, la FNSJB et d'autres groupes féministes francophones et anglophones de la province obtinrent néanmoins du gouvernement provincial la mise sur pied d'une commission spéciale d'enquête (la Commission Dorion) qui devait se pencher sur le statut juridique des femmes. Les commissaires, tous d'ardents nationalistes, rejetèrent la plupart de leurs demandes de modifications sous prétexte que le Code civil, hérité de la France, représentait l’un des principaux fondements de la nation et que la plupart de ses dispositions, surtout celles qui consacraient l'incapacité juridique des femmes mariées et la puissance maritale du père, émanaient de la loi divine[58].

Malgré tout, ils acceptèrent de recommander l'adoption de certains changements, dont l'un des plus importants fut sans aucun doute de reconnaître aux femmes mariées le droit à la propriété de leur salaire. Officiellement, un très faible pourcentage de femmes mariées occupaient un emploi à cette époque (moins de 10%), mais sans qu'il soit possible d'en déterminer le nombre, une proportion beaucoup plus grande de mères de famille exerçaient une activité rémunérée l'intérieur de leur foyer[59]. En vertu des anciennes dispositions du Code, l'argent qu'elles rapportaient appartenait de droit au mari. Dans les cas extrêmes, cela signifiait que le chef de ménage pouvait s'emparer de l'argent que sa femme gagnait, alors même qu'il refusait d'assumer son rôle de pourvoyeur. Lors de ses représentations auprès de la Commission la FNSJB insista tout particulièrement sur le sort tragique de celles qui se voyaient ainsi spoliées de leur revenus par des maris irresponsables, ce qui parvint à émouvoir les commissaires. Les modifications apportées au Code civil à ce chapitre représentaient certainement une mesure importante pour les femmes de la classe ouvrière, mais elle était loin de disposer de la question de la protection sociale des mères, en particulier celles qui devaient assumer seule la survie économique de leurs enfants.

La situation des familles dirigées par des veuves ou par des femmes dont le mari souffrait d'une incapacité physique ou mentale a fait l'objet de vastes débats dans toute l'Amérique du Nord dès les années 1910. Les conditions économiques précaires dans lesquelles se retrouvaient la majorité d'entre elles représentaient une source de préoccupations majeures pour les maternalistes qui estimaient que l'absence d'un pourvoyeur masculin justifiait une intervention de l'État, ne serait-ce que pour éviter la désintégration du noyau familial. Le Mouvement des pensions aux mères (Mother's pensions Movement), lancé aux États-Unis en 1911, eut tôt fait de faire des adeptes de ce côté-ci de la frontière et au cours des années précédant la Première Guerre mondiale, des groupes de femmes à travers le Canada entreprirent une campagne pour amener les gouvernements à reconnaître les besoins particuliers de ces familles et à leur accorder un soutien financier.

Soulignant que ces mères étaient souvent incapables de se trouver un emploi en raison de leurs charges familiales, et qu'elles étaient souvent obligées de «placer» leurs enfants dans des orphelinats ou dans des familles d’accueil pour pouvoir travailler, plusieurs organisations féministes du Canada anglais réclamèrent, à l'instar des Américaines, que ces femmes reçoivent une pension accordée par les pouvoirs publics en reconnaissance du travail maternel qu'elles accomplissaient et qui bénéficiait à l'ensemble de la société. Au moment de la guerre, le gouvernement canadien instaura des pensions pour les veuves des soldats et entre 1916 et 1920, cinq des neuf provinces canadiennes adoptèrent des mesures similaires, visant cette fois l'ensemble des veuves et d'autres catégories de mères seules[60]. Contrairement au programme fédéral qui s'adressait à toutes les veuves de vétérans, la plupart des provinces se contentèrent toutefois de verser des allocations à celles qui pouvaient faire la preuve de leur indigence[61].

La FNSJB approuvait également le principe d'une pension aux mères seules. Déjà, lors de son congrès de 1909, elle avait salué l'adoption d'une telle mesure en France et durant les années qui suivirent, elle tenta de sensibiliser les autorités gouvernementales «aux bienfaits qui résulteraient d'une telle législation dans la province de Québec»[62]. Ce n'est toutefois qu'au début des années 1920 que la Fédération réclama plus formellement l'adoption d'une loi universelle d'assistance pour «toute femme canadienne, résidant dans la province de Québec, ayant à ses charges, soit par la mort, la disparition ou la maladie du mari, l'entretien de ses enfants âgés de moins de quatorze ans»[63]. L'entrée en vigueur de ce genre de législation dans la plupart des provinces canadiennes au cours des années précédentes a clairement incité la FNSJB à accentuer ses pressions. Dans un rapport présenté devant le Congrès de la Fédération en 1921, Graziella Boissonnault précisait cependant que la Fédération ne désirait pas que la future législation québécoise se modèle sur celle des autres provinces «parce que si nous avons les mêmes besoins généraux, nous ne pouvons avoir la même mentalité que nos voisins»[64].

Tout en recommandant «que le gouvernement [...] fournisse les subsides nécessaires à l'entretien de familles en péril», elle précisait que «la plupart des personnes consultées désir[aient] que la distribution de ces subsides soit confiée aux institutions de charité telles que la Saint-Vincent-de-Paul»[65] Le texte de son rapport reprenait également les principales objections formulées par les opposants à une telle loi. Ces derniers la jugeaient anticatholique parce qu'elle permettrait à l'État «de s'ingérer dans les familles»; antisociale parce qu'elle porterait atteinte aux droits des parents sur leurs enfants et que le rôle «naturel» de la mère se trouverait réduit «à la fonction d'une salariée de l'État dans l'éducation de ses enfants»; et antiéconomique parce qu'elle encouragerait «les dépenses folles» de la part de parents désormais assurés que l'État prendrait la relève s'ils se retrouvaient un jour dans le besoin. Tout en prenant acte de ces opinions, et en réitérant sa volonté de respecter l'ordre social chrétien, la FNSJB se déclarait néanmoins en faveur d'une loi pour secourir les mères seules afin de «tirer la mère des usines et des travaux extérieurs pour la mettre à sa place à la tête de ses enfants» et ainsi «empêcher l'éparpillement des forces familiales». Rappelant que la charité individuelle ne suffisait pas à combler les besoins, la Fédération se disait convaincue que le gouvernement «n'entend[ait] pas mettre les enfants en tutelle et la mère à salaire» et ajoutait que si l'intervention de l'État présentait quelque danger, celui-ci serait grandement réduit «par le choix judicieux des intermédiaires qui le représenteront, surtout si ce sont des institutions de charité»[66].

Tout en réclamant des pensions étatiques pour les mères seules, la FNSJB cherchait donc à répondre aux objections des milieux clérico-nationalistes qui s'opposaient au principe même de l'intervention de l'État, en faisant valoir qu'il était possible de limiter les effets négatifs de cette «intrusion» étatique dans les familles en recourant à des œuvres de bienfaisance catholiques pour distribuer les allocations. Cette position qui tentait de concilier le point de vue de l'Église en matière d'assistance et les besoins économiques des mères se heurta toutefois à une fin de non-recevoir de la part de l'État. Il faut dire qu'à cette époque, les autorités religieuses et gouvernementales étaient déjà sur un pied de guerre à propos de l'adoption de la Loi de l'Assistance publique. Entérinée en 1921, cette loi visait à financer, à même les taxes perçues par le gouvernement sur l'alcool et les «amusements», les institutions de charité dirigées par les communautés religieuses. Ces institutions bénéficiaient depuis plusieurs années de subventions gouvernementales pour les aider à défrayer les coûts de leurs services, mais jusqu'alors, les sommes avaient été versées à la pièce, sur une base plus ou moins régulière. La loi de 1921 devait permettre de consolider le financement de leurs activités d'assistance, mais en retour, le gouvernement désirait exercer un certain contrôle sur la manière dont les fonds seraient dépensés, ce qui ne manqua pas de soulever un tollé de protestation de la part des hautes instances cléricales[67].

La proposition de la FNSJB de faire adopter une loi par laquelle le gouvernement s'engagerait à supporter financièrement les mères «cheffes» de famille, survenait donc dans un contexte particulièrement explosif. Aussi en 1928, lorsque les dirigeantes de la FNSJB obtinrent finalement une rencontre avec le premier ministre Taschereau pour discuter de certaines de leurs revendications, dont la pension aux mères, elles se firent répondre: «Vous demandez la pension aux mères? L'acceptera-t-on dans les milieux où l'on a vu avec suspicion la loi (sic) de l'Assistance publique? et la charge que vous demandez au gouvernement de supporter ne sera-t-elle pas trop lourde?[68]».

L'année précédente, soit en 1927, les élites religieuses et gouvernementales s'étaient opposées, avec une belle unanimité, à la mise en application, sur le territoire québécois, d'un programme de pensions de vieillesse initié par le gouvernement fédéral et depuis longtemps réclamé par les organisations ouvrières. Pendant que l'Église se scandalisait de cette initiative fédérale au nom de la responsabilité sacrée des enfants de prendre en charge leurs vieux parents, le gouvernement provincial invoqua le principe de l'autonomie des provinces et du respect de leurs juridictions pour refuser de participer au régime fédéral[69]. Le mécontentement des organisations ouvrières et le sentiment de plus en plus généralisé — y compris chez certains membres du clergé— que les anciens modes d'assistance publique étaient désormais incapables de répondre aux besoins d'une société industrialisée, força toutefois le gouvernement provincial à instaurer, en 1930, une commission d'enquête sur les assurances sociales (Commission Montpetit), fournissant ainsi à la FNSJB une autre occasion de faire valoir ses revendications.

Le mémoire présenté par la FNSJB devant la Commission Montpetit traitait essentiellement de deux questions: la pension aux mères et les soins aux nouvelles accouchées. Assez brièvement, la FNSJB reformulait sa demande en faveur de l'octroi d'une telle pension, en rappelant que son plus grand bienfait serait de «maintenir le foyer intact»[70]. Cette fois, elle prenait toutefois la peine de préciser qu'elle ne désirait pas que cette loi s'applique aux «filles-mères», comme c'était le cas dans certains pays, préconisant plutôt d'entreprendre des poursuites judiciaires contre les pères putatifs pour les obliger à assurer la subsistance de leurs enfants, comme le permettait d'ailleurs le Code civil. Interrogée par le président de la Commission au sujet du fonctionnement d'une telle loi, Gérin-Lajoie soutenait toujours que «les cadres de la charité [devaient] rester debout avec les assurances sociales» et que «l'Assistance maternelle, les dames de charité et la Saint-Vincent-de-Paul [seraient] les intermédiaires attitrés qui verseront aux familles les assurances sociales»[71].

La plus grande partie du mémoire de la Fédération était toutefois consacrée au sort des accouchées, en particulier à la difficulté qu'éprouvaient la majorité des femmes pauvres à trouver de l'aide et à obtenir tous les soins médicaux voulus après une grossesse. Après avoir souligné que «la mère de famille souffre cruellement de son isolement à la naissance d'un enfant et [que] sa santé est souvent compromise faute de soins»[72], Gérin-Lajoie rappelait que la FNSJB dirigeait, depuis 1928, un service d'aides maternelles —essentiellement, des jeunes filles qui, moyennant une faible rétribution, s'occupaient de l'enfant durant les semaines suivant la naissance et prenaient en charge le travail domestique—et recommandait au gouvernement d'instaurer ce genre de service dans les régions rurales et les quartiers ouvriers afin que toutes les femmes puissent en bénéficier[73]. Interrogée par Mgr Courchesne, un des commissaires, la présidente reconnaissait cependant que ce type d'intervention de la part de l'État pouvait présenter quelques dangers car il tendait «à faire main mise (sic) sur la personne même de la femme» et elle ajoutait: «Je ne sais, [...] si la chose est fondée, mais on me disait que les services sanitaires en France étaient soupçonnés d'avoir largement contribué à déchristianiser le peuple»[74].

Les représentations de la FNSJB devant la Commission Montpetit reprenaient donc l'essentiel de ses positions antérieures au sujet de la pension aux mères tout en faisant état de nouvelles préoccupations en matière de bien-être maternel. L'intention clairement exprimée par la présidente d'exclure les «filles-mères» de tout programme de pensions et ses inquiétudes au sujet de l'impact de services médicaux auxiliaires dispensés par l'État, démontrent cependant que l'organisation était plus que jamais préoccupée par la sauvegarde des valeurs religieuses et la préservation des associations bénévoles pour servir de «tampon» entre l'État et la population féminine. Dans leur rapport final, les commissaires ne font toutefois aucune recommandation au sujet de la mise sur pied d'un programme de soins maternels et en ce qui concerne les pensions aux mères, ils se réfèrent surtout à l'opinion émise par Charlotte Whitton, une travailleuse sociale anglophone qui se trouvait alors à la tête du Conseil canadien pour la sauvegarde de l'enfance et de la famille[75]. Whitton était pour sa part fermement opposée à l'idée des pensions universelles aux mères, leur préférant un régime catégoriel qui s’adresserait uniquement aux mères les plus pauvres[76]. Sa recommandation remporta l’adhésion de la Commission Montpetit, qui s'empressa de l'entériner.

Tout en soulignant que la province de Québec était l'une des deux seules (avec le Nouveau-Brunswick) à avoir jusqu'alors privilégié le placement des enfants en institutions[77], et tout en louant la compétence des religieuses qui les dirigeaient, les commissaires reconnurent que l'assistance aux mères «sanctionnerait le principe admis par tous, de la supériorité d'une éducation faite au foyer sous la protection maternelle»[78], et en conséquence, ils entreprirent de définir les paramètres d'une future loi. Celle-ci devrait venir en aide uniquement aux veuves chargées de deux enfants ou plus et à celles dont le mari était aliéné ou souffrait d'une incapacité physique. Ils ne voyaient pas la nécessité d'aider les femmes abandonnées par leur mari, de crainte d'encourager la désertion, ou celles dont le conjoint était emprisonné. Le sort des femmes séparées ou divorcées était laissé entre les mains des tribunaux, alors que le rapport ne fait même pas mention des mères célibataires. Les conditions d'admissibilité, qui incluaient le fait d'«être de bonnes mœurs et capable d'élever ses enfants dans de bonnes conditions de moralité»[79], les éliminaient d'office. Parmi les autres conditions, on retrouvait aussi la nécessité de faire la preuve de sa pauvreté. Les commissaires recommandaient la mise sur pied d'un Bureau composé de cinq membres, dont une femme, pour déterminer et verser les allocations et que ces dernières ne soient attribuées qu'à la suite d’une enquête effectuée par des organismes charitables qui s'occupaient déjà d'assistance à domicile, de manière à assurer «un caractère confessionnel, propre à rendre les enquêtes plus sûres et moins dangereuses»[80].

Plutôt que le principe des pensions universelles aux mères seules, proposé par la FNSJB, c'est donc le système des allocations pour les seules mères «nécessiteuses» qui fut finalement retenu par les commissaires. Le rapport qui comprenait cette recommandation fut déposé en 1932, soit en pleine crise économique, un an après la publication de l'encyclique papal Quadragesimo Anno qui reconnaissait la responsabilité économique des États face aux laissés pour compte des sociétés industrielles. Cette position du pape, alliée à l'ampleur qu'atteignit la Grande Dépression au Québec, avait amené une partie de la classe politique et du clergé à concevoir un Programme de Restauration Sociale qui comprenait plusieurs propositions de réformes, dont justement l'octroi d'allocations pour les mères «nécessiteuses»[81]. En d'autres termes, un consensus social assez large avait fini par émerger au sujet de la nécessité pour l'État de prendre en charge certaines catégories de mères seules, mais au passage, la proposition initiale de la FNSJB avait été écartée. Il fallut tout de même attendre jusqu'en 1937 pour que cette recommandation de la Commission Montpetit devienne loi, soit près de vingt ans après les autres provinces canadiennes[82].

Au cours de ses audiences, la Commission Montpetit se pencha sur un autre sujet d'importance pour les femmes, soit celui des allocations familiales. La FNSJB ne déposa toutefois aucun mémoire sur cette question, laissant au Père Léon Lebel et à ses supporters le soin de défendre cette mesure. Convaincu que le jeu des forces économiques dans les sociétés industrielles défavorisait les familles nombreuses, le Père Lebel réclamait depuis la fin des années 1920, le versement d'une allocation aux familles de trois enfants et plus, dans le but avoué d'encourager la procréation[83]. Selon Lebel, «seules les allocations familiales pouv[aient] corriger l'état d'infériorité économique et de misère dans lequel se trouv[aient] les ouvriers, pères de nombreux enfants[84]».

Le projet d'allocations familiales qu'il défendait ne cherchait donc pas à faire reconnaître le travail maternel, mais bien à valoriser la contribution sociale des pères prolifiques en leur permettant d'accéder à un niveau de revenu se rapprochant d'un «salaire familial». S'inspirant des Caisses maternelles créées par certains employeurs et l'État français et belge après la Première guerre, Lebel prévoyait payer les allocations aux pères à partir d'un fonds spécial, alimenté par les contributions des gouvernements fédéral, provincial et municipal, des employeurs, des célibataires et des hommes mariés sans enfants[85]. Cette redistribution de la richesse devait contrer la baisse de la natalité, particulièrement évidente dans les zones urbaines, et ainsi assurer «le maintien et l'accroissement du chiffre de la population» canadienne-française. Le versement au père garantissait pour sa part le maintien de l'ordre patriarcal dans la famille. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que ce projet d'allocations ait rallié les milieux catholiques.

En l'absence de documents qui permettraient de préciser la pensée de la FNSJB à ce sujet, on ne peut que spéculer sur sa position. Son silence peut indiquer un appui tacite aux propositions du Père Lebel, mais il est aussi possible qu'elle n'approuvait pas entièrement sa proposition, en particulier le versement des allocations au père de famille, mais qu'elle n'ait pas osé s'en prendre à un membre aussi éminent du clergé. Chose certaine, le projet Lebel ne faisait pas l'unanimité parmi les organisations ouvrières, les syndicats catholiques y étant plutôt favorables, tandis que les syndicats «neutres» sur le plan confessionnel, d'origine américaine, craignaient de voir les employeurs prendre prétexte des allocations familiales pour limiter les hausses de salaires[86].

La charge contre le projet Lebel devant la Commission Montpetit fut toutefois menée par Charlotte Whitton qui fit valoir aux commissaires que les régimes d'allocations familiales, mis en place dans d'autres pays, n'avaient pas entraîné un relèvement des taux de natalité et que ce genre de mesure «enlev[ait] au mariage le caractère presque sacré que lui reconnaît notre civilisation, puisqu'il le réduit en quelque sorte à des relations économiques susceptibles de se prêter à une exploitation financière»[87]. Whitton considérait en outre que l'État n'avait pas à se substituer aux parents, à qui incombaient le devoir de subvenir aux besoins de leurs enfants. Elle ajoutait que s'engager dans cette direction revenait à avouer que les salaires étaient insuffisants, ce qui n'était pas le cas au Canada selon elle[88]. Prenant bonne note de son opinion, les commissaires s'empressèrent d'enterrer le projet Lebel en affirmant que les salaires industriels au Canada n'étaient pas si misérables, que l'application d'une telle mesure dans la seule province de Québec alourdirait les charges sociales des employeurs et les placerait dans une position désavantageuse face à ceux des autres provinces, que de limiter l'octroi d'allocations aux seuls travailleurs industriels risquerait de vider les campagnes et enfin, qu'il serait «impossible et dangereux d'étendre les allocations familiales à toute la population en en faisant une institution d'État»[89] .

Ainsi donc, sur deux questions fondamentales pour la condition des mères, la Commission Montpetit a fait plus de cas de l'avis de Charlotte Whitton  que de ceux exprimés par la FNSJB et par un clerc. L'opposition de Whitton aux pensions maternelles et aux allocations familiales en vertu du principe de la non-ingérence de l'État dans les familles était certainement de nature à séduire les commissaires. Si elle est parvenue à les convaincre si facilement, c'est également en raison de la faiblesse et de la division des groupes qui lui faisaient face. La FNSJB n'a défendu que bien mollement et très brièvement son projet de pensions aux mères seules, comme si elle s'attendait de toute façon à ce qu'il soit rejeté, et elle ne s'est pas prononcé sur celui des allocations familiales du Père Lebel. Les milieux catholiques que ce dernier représentait n'étaient guère favorables à l'idée de pensions universelles, leur préférant une politique plus restrictive qui fut finalement retenue. Quant au projet  d'instaurer un système d'allocations inspiré des modèles belge et français, il était loin de faire l'unanimité et fut facilement écarté autant pour des raisons pragmatiques qu'idéologiques.

L'idée de mettre sur pied un régime d'allocations familiales sur la base d'un système contributoire et corporatiste fut quand même reprise par le gouvernement provincial durant la Deuxième guerre, mais il ne suscita pas l'adhésion d'un nombre suffisant d'employeurs pour être viable[90]. Vers la fin du conflit, le gouvernement fédéral, craignant un sérieux ralentissement économique une fois la paix revenue, décida de proposer son propre système d'allocations qui fut finalement implanté à l'échelle du Canada en 1945. Ce programme universel prévoyait le versement, à même les taxes et les impôts perçus par le gouvernement, d'allocations mensuelles à toutes les mères canadiennes, sur la base d'un barème régressif à partir du cinquième enfant.

Ainsi, non seulement le projet de loi fédéral ne visait pas à encourager les familles nombreuses, ce qui était déjà bien suffisant pour que les élites religieuses et nationalistes du Québec s'y objectent, mais bien plus, il prévoyait verser les sommes allouées à la mère de famille, et non au père, ce qui leur paraissait totalement inacceptable[91]. De leur point de vue, le père représentait le seul «chef» de la famille, un statut que lui conférait le Code civil et la loi divine et lui donnait pleine autorité sur l'administration des biens du ménage. En versant les allocations aux mères, le gouvernement fédéral leur reconnaissait une part de responsabilité dans ce domaine, ce qui remettait en cause le principe de la puissance paternelle. Il s'agissait là d'une attaque sacrilège envers les droits du père qu'il fallait absolument combattre. Une vigoureuse campagne de protestation fut donc entreprise afin de convaincre le gouvernement fédéral de faire une exception pour le Québec et d'adresser les chèques d'allocations au nom du père. Le gouvernement fédéral allait obtempérer, quand finalement, une coalition de groupes de femmes et de syndicats, sous la direction de Thérèse Casgrain, parvint à convaincre les hommes politiques qu'en vertu d'un article du même Code civil, les femmes mariées disposaient d'un mandat tacite pour voir à la gestion quotidienne des affaires de la famille et que l'octroi des allocations familiales à la mère pouvait être assimilé à ce mandat[92].

Avec quelques semaines de retard sur les autres Canadiennes, les Québécoises reçurent donc finalement leur premier chèque d'allocations familiales, au grand dam des nationalistes, mais à la plus grande satisfaction de la population en général et des mères de famille en particulier[93]. La FNSJB, qui connaissait un déclin marqué depuis plusieurs années, a laissé à d'autres le soin de mener cette lutte. Au début des années quarante, l'organisation a présenté un dernier mémoire devant la Commission Garneau pour obtenir une loi en faveur de la protection de l'enfance[94], mais par la suite, ses activités et la publication de son organe officiel La Bonne Parole, sont devenues de plus en plus irrégulières pour finalement cesser complètement au début des années 1950 .

Conclusion

On le voit, au cours des années où la FNSJB a été la plus active, elle n'est pas parvenue à jouer un rôle de premier plan dans l'organisation des structures socio-sanitaires, ni à faire avancer la cause de la protection sociale des mères et des enfants, encore moins à obtenir des changements majeurs au statut politique et juridique des Québécoises. Mais il faut bien admettre que la FNSJB a toujours défendu des positions plus que modérées en ce qui concerne l'intervention de l'État dans les familles et qu'elle a rapidement retraité sur la question du suffrage, incapable qu'elle était de consommer son divorce avec l'Église et les nationalistes. Pour elle, comme pour l'ensemble des élites francophones du Québec, les questions sociales et familiales étaient intimement liées aux questions nationales et religieuses jusqu'à former un tout indissociable. Dans cette perspective, écarter complètement l'Église au profit de l'État, neutre par définition sur le plan confessionnel, revenait à proposer un remède pire que le mal. Son maternalisme, qui l'amenait à revendiquer des droits sociaux au nom des mères, n'arrivait pas à transcender le sentiment que les Canadiens français du Québec appartenaient à une nation en péril que seule l'Église et ses institutions affiliées pouvaient défendre de manière efficace.

Par ailleurs, au sein d'organismes comme l'Hôpital Sainte-Justine et l'Assistance maternelle, les membres de la FNSJB ont bénéficié d'une autonomie d'action que les hommes d'Église ou les nationalistes ne songeaient pas à leur disputer. Tout comme les nombreuses institutions administrées par les religieuses qui prenaient en charge les filles-mères, les orphelins, les vieillards, les personnes handicapées physique ou mentale, ces œuvres étaient justifiées par la pratique de la charité chrétienne et leur existence était parfaitement tolérée, même si les femmes y exerçaient un pouvoir administratif et décisionnel peu commun. Parce qu'elles contribuaient, précisément, à éviter l'intervention de l'État et la mise en place de politiques sociales, ces initiatives féminines étaient au contraire fortement encouragées. Elles ont en général perduré jusqu'aux années soixante, soit jusqu'au moment où l'État québécois a pris le contrôle des secteurs de la santé et des services sociaux. En définitive, si les Québécoises ont été, comme ailleurs, aux origines de l'État providence, c'est du côté des religieuses et des dames d'œuvre qu'il faut les chercher.


 

NOTES ET RÉFÉRENCES

Cette recherche a bénéficié de l'appui financier du Hannah Institute for the History of Medicine et du fonds FCAR que je voudrais remercier. Mes plus grands remerciements s'adressent également à Marie-Josée Blais et Karine Hébert qui ont assumé avec efficacité et diligence une bonne partie de la recherche.

[1]- Voir en particulier Seth Koven and Sonya Michel, «Womanly Duties: Maternalist Politics and the Origins of Welfare States in France, Germany, Great Britain, and the United States, 1880-1920», American Historical Review, vol. 95, no 4, (octobre 1990) : 1076-1114; Seth Koven et Sonya Michel, (dir.), Mothers of a New World. Maternalist Politics and the Origins of Welfare States, New York et Londres, Routledge, 1993 ; Gisela Bock et Pat Thane, (dir.), Maternity and Gender Policies. Women and the Rise of the European Welfare States 1880s-1950s, Londres et New York, Routledge, 1994; Susan Pedersen, Family, Dependance, and the Origins of the Welfare State. Britain and France 1914-1945, Cambridge, Cambridge University Press, 1993; Molly Ladd-Taylor, Mother-Work. Women, Child Welfare, and the State, 1890-1930, Chicago, University of Illinois Press, 1994.

[2]- Koven et Michel, (dir.), «Womanly Duties», op. cit., p. 1079.

[3]- Ibid, p. 1080.

[4]- Pedersen, Family, Dependance, and the Origins ,  op. cit., p. 19.

[5]- Mentionnons que dans leur introduction de l'ouvrage collectif Mothers of a New World, paru en 1993, Koven et Michel font état d'autres exceptions, en particulier la Suède et l'Australie.

[6]- Il existait deux grands groupes de syndicats au Québec au début du XXe siècle: les syndicats catholiques, surtout présents en province et les syndicats internationaux, d'origine américaine et neutres sur le plan confessionnel, qui recrutaient leurs membres surtout à Montréal (Voir Jacques Rouillard, Histoire du syndicalisme au Québec, Montréal, Boréal, 1989).

[7]- Au début du XXe siècle il existait près d’une centaine de communautés religieuses de femmes au Québec. En 1851, 1,4% des femmes célibataires âgées de plus de 20 ans appartenaient à une communauté religieuse; en 1921, ce pourcentage était de 9,1%, un record en Occident (Marta Danylewycz, Profession: religieuse. Un choix pour les Québécoises 1840-1920, Montréal, Boréal, 1985, p. 18).

[8]-Ainsi, au XIXe siècle, Mgr Bourget, Archevêque de Montréal, est intervenu à plusieurs reprises auprès de veuves qui avaient initié différentes œuvres sociales pour qu'elles fondent des communautés religieuses. Ce fut le cas par exemple de Rosalie Jetté qui avec quelques compagnes, avait ouvert un refuge pour les mères célibataires et qui se rendit à la demande de son évêque en créant les Sœurs de la Miséricorde (Collectif Clio, L'histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Le Jour Éditeur, 1992,  p. 233-234). Au XXe siècle, Marie Gérin Lajoie, fille de Marie Lacoste Gérin-Lajoie dont il sera question dans cet article, fut soumise aux mêmes pressions ecclésiastiques et dû se résoudre à fonder une communauté religieuse, l'Institut des Sœurs de Notre-Dame-du-Bon-Conseil, afin de poursuivre son engagement comme travailleuse sociale, tout en restant célibataire (Hélène Pelletier-Baillargeon, Marie Gérin-Lajoie. De mère en fille — la cause des femmes, Montréal, Boréal, 1986).

[9]- L'État québécois a aussi adopté au début du siècle des législations en matière d'accidents du travail. Pour une analyse des rapports Église-État en matière d'éducation et d'assistance sociale depuis la Confédération, voir Dominique Marshall, «Nationalisme et politiques sociales au Québec depuis 1867: un siècle de rendez-vous manqué entre l'État, l'Église et les familles», British Journal of Canadian Studies,  9, 2 (1994): 301-347.

[10]- En fait, selon certains auteurs, on aurait assisté, vers le milieu du XIXe siècle, à la mise en place d'un «concordat» entre l'Église et l'État, en vertu duquel le clergé aurait accordé sa caution morale à l'élite politique canadienne-française pour lui permettre d'accéder au pouvoir, en retour de quoi l'État aurait permis à l'Église de prendre en charge les secteurs de l'éducation et de l'assistance publique, fondement de sa propre hégémonie (Nicole Laurin-Frenette, Production de l'État et forme de la nation, Montréal, Nouvelle optique, 1979; Nadia Fahmy-Eid, Le clergé et le pouvoir politique au Québec. Une analyse de l'idéologie ultramontaine au milieu de XIXe siècle, Montréal, Hurtubise HMH, 1978; Marie-Paule Malouin, (dir.), L'univers des enfants en difficulté au Québec, entre 1940 et 1960, Montréal, Bellarmin, 1995, p. 28).

[11]- Elle a, entre autres, fondé des syndicats catholiques (Jacques Rouillard, Les syndicats nationaux au Québec 1900-1930,, Québec, Presses de l'Université Laval, 1979).

[12]- Ce groupe a pris naissance et a surtout été actif à Montréal, le principal centre urbain et industriel de la province au début du siècle; ailleurs au Québec, les femmes se sont regroupées à l'intérieur de Cercles de fermières, créés à partir de 1915, mais elles étaient peu impliquées dans l'action sociale et elles se sont prononcées contre l'obtention du droit de vote pour les femmes durant les années trente. À leur sujet, voir Ghislaine Desjardins, «Les Cercles de fermières et l'action féminine en milieu rural, 1915-1944», dans Marie Lavigne et Yolande Pinard (dir.), Travailleuses et féministes. Les femmes dans la société québécoise, Montréal, Boréal Express, 1983, p. 217-243. À propos de l'idéologie maternaliste de la FNSJB, voir Karine Hébert, «Une organisation maternaliste au Québec, la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste», MA, Histoire, Université de Montréal, 1997.

[13]- Marie Lavigne, Yolande Pinard et Jennifer Stoddart,  «La Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste et les revendications féministes au début du 20e siècle», dans Lavigne et Pinard, Travailleuses et féministes,  op. cit., p. 202. Pour une définition du féminisme chrétien, voir les propos de l'Abbé Antoine cités dans Susan Pedersen, «Catholicism, Feminism, and the Politics of the Family during the Late Third Republic», dans Koven et Michel, (dir.), Mothers of a New World,  op. cit., p. 249.

[14]- Alisa  Klauss, «Depopulation and Race Suicide: Maternalism and Pronatalist Ideologies in France and the United States», dans Koven et Michel, (dir.), Mothers of a New World, op. cit.,  192.

[15]- Le MLCW représentait la branche montréalaise du National Council of Women of Canada, fondé en 1893 par la femme du gouverneur général du Canada, Lady Aberdeen (Veronica Strong-Boag, The Parliament of Women: The National Council of Women of Canada, 1893-1929, Ottawa, National Museum of Canada, Historical Division, document no 18, 1974; Yolande Pinard, «Les débuts du mouvement des femmes à Montréal, 1893-1902», dans Lavigne et Pinard, Travailleuses et féministes,  op. cit., p. 177-199).

[16]- Yolande Pinard, «Le féminisme à Montréal au commencement du XXe siècle», MA (Histoire) Université du Québec à Montréal, 1976, p. 36.

[17]- Pinard, «Les débuts du mouvement des femmes»,  op. cit., p. 189-190.

[18]- Pinard, «Le féminisme à Montréal»,  op. cit., p. 38.

[19]- Selon le Dr J-E. Dubé, un premier dépôt de lait fut ouvert sur la rue Ontario, à l'initiative des médecins; Pinard affirme que les membres francophones du MLCW ont aussi ouvert un dépôt de lait, soulignant qu'«il s'agi[ssai]t peut-être de l'expérience tentée du 5 juillet au 24 novembre 1901 sur la rue Ontario» (Dr J.-E. Dubé, «Les débuts de la lutte contre la mortalité infantile à Montréal. Fondation de la première Goutte de lait», Union Médicale du Canada (UMC), vol. LXV, no 10, octobre 1936, p. 879-891 et Pinard, «Le féminisme à Montréal»,  op. cit., p. 39).

[20]- Pinard, «Les débuts du mouvement des femmes»,  op. cit., p. 189-90.

[21]- Sur le développement des Gouttes de lait montréalaises, voir Denyse Baillargeon, «Fréquenter les «Gouttes de lait». L'expérience des mères montréalaises, 1910-1965», Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 50, no 1 (été 1996): 29-68. 

[22]- Ainsi, en 1910, alors que chez les Anglo-protestants, le taux de mortalité infantile se situait à 163 pour mille naissances vivantes, chez les Franco-catholiques, cette proportion atteignait les 224 pour mille, contre 207 pour mille chez les catholiques d'autres origines et 94 pour mille parmi la population juive (Montréal, Rapport sur l'état sanitaire de la cité de Montréal  (ci-après Rapport annuel), 1912, p. 58).

[23]- À ce sujet voir par exemple Jacques-Paul Couturier, Un passé composé. Le Canada de 1850 à nos jours, Moncton, Les Éditions d'Acadie, 1997, en particulier le chapitre 6, p. 97-116.

[24]- Dr Eugène Gagnon, «Comment diminuer la mortalité infantile (1)», UMC, vol. XXXIX, no 12, décembre 1910, p. 714.

[25]- Montréal, Rapport annuel 1913 , p. xiv et Rapport annuel 1915,  p. 43; «Compte rendu de la première convention des Gouttes de lait de Montréal», UMC, vol. XLII, no 6, juin 1913, p.  316-339.

[26]- Au nombre de ces exigences, on note la production de rapports statistiques quotidiens, l'ouverture journalière des cliniques et l'obligation de peser régulièrement les bébés et de faire l'éducation des mères (Gouttes de lait de Montréal, Section française, Constitution et règlements, Montréal, Bureau municipal d'hygiène et de statistique, 1915, p. 3 et 9).

[27]- Ibid, p. 4-5.

[28]- Propos de Marie Gérin-Lajoie, cités dans Pinard, «Le féminisme à Montréal»,  op. cit., p. 65.

[29]- Pinard, Ibid, p. 58 et suiv.

[30]- Mgr Bruchesi, cité dans Pinard, Ibid, p. 87.

[31]- Propos de Marie Gérin-Lajoie, cités dans Marie-Aimée Cliche, «Droits égaux ou influence accrue? Nature et rôle de la femme d'après les féministes chrétiennes et les antiféministes au Québec 1896-1930», Recherches féministes, vol. 2, no 2 (1989): 105.

[32]- Cité dans Hébert, «Une organisation maternaliste»,  op. cit., p. 37. Cette idée que les femmes devaient exercer une influence sur l'ensemble de la société en raison de leurs fonctions maternelles dans la famille est l'un des traits marquants du maternalisme. Louise Toupin fait toutefois la distinction entre les maternalistes «idéologiques», qui cherchaient surtout une revalorisation sociale du rôle de mère en tant que fonction «naturelle» des femmes et les maternalistes «matérialistes» qui associaient la maternité à un travail et qui s'appuyaient sur cette équation pour réclamer de nouveaux droits sociaux, politiques et économiques pour les femmes. De son côté, Molly Ladd-Taylor affirme qu’il existe un maternalisme sentimental qui, tout en proposant une extension du rôle des femmes au delà de la famille fondée sur leur capacité maternelle, ne visait pas à obtenir des changements au statut juridique et politique des femmes, alors que les maternalistes progressistes militaient en faveur de nouveaux droits. Selon Hébert, le maternalisme de la  FNSJB est le produit original d'une synthèse entre ces divers courants: sans associer la maternité à un travail, elle a tout de même milité, quoique brièvement, en faveur de l'accès au suffrage pour les femmes et a réclamé des changements au statut juridique des femmes pour qu'elles puissent mieux accomplir leurs devoirs de mères; par ailleurs, elle s'est toujours montrée réticente face à l'intervention de l'État (Louise Toupin, «Mères ou citoyennes? Une critique du discours historique nord-américain (1960-1990) sur le mouvement féministe (1850-1960)», Thèse de Ph.D (Science politique), Université du Québec à Montréal, 1994 : Hébert, «Une organisation maternaliste»,  op. cit. ; Ladd-Taylor, Mother-Work, op. cit.).

[33]- Sur l'histoire de l'hôpital Sainte-Justine voir Rita Desjardins,  «L'hôpital Sainte-Justine, Montréal, Québec 1907-1921», MA, Histoire, Université de Montréal, 1989 et Aline Charles, Travail d'ombre et de lumière. Le bénévolat féminin à l'hôpital Sainte-Justine 1907-1960, Québec, IQRC, coll. Edmond-de-Nevers no 9, 1990. Sur l'Assistance maternelle voir Denyse Baillargeon, «L'Assistance maternelle de Montréal. Un exemple de marginalisation des bénévoles dans le domaine des soins aux accouchées», Dynamis,  Special Issue, Mujeres y salud. Prácticas y saberes/Women and Health. Practices and Knowledgse, vol. 19 (1999) : 379-400,

.

[34]- Ce fut le cas dans la paroisse Saint-Henri, fondée à l'initiative de Mme Archambault, membre de la FNSJB et fille du Dr Séverin Lachapelle.

[35]- Archives nationales du Québec à Montréal (ANQM), Fonds de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste (FFNSJB), Procès-verbaux de la Commission centrale des Gouttes de lait (PVCC), 16 juin 1914.

[36]- ANQM, FFNSJB, PVCC, 16 juin 1914, 29 octobre 1914 et 3 novembre 1914.

[37]- ANQM, FFNSJB, PVCC, 17 décembre 1914, 18 février 1915 et assemblée spéciale de la CC, 18 février 1915; Constitution et règlements,  op. cit., p.16-18.

[38]- ANQM, FFNSJB, Journal de Maria Auclair, 11 octobre 1914, p. 87.

[39]- Marie Gérin-Lajoie, «L'action sociale et ses relations avec la santé publique», La Bonne parole (BP), vol. IV, no 8 (octobre 1916): 4 et G. LeMoyne, «L'action de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste», BP, vol. IX, no 5 (mai 1921) : 11.

[40]- Ces conférences étaient données par des médecins, mais souvent par Maria Auclair elle-même.

[41]- ANQM, FFNSJB, PVCC, 22 octobre 1915; 10 février 1916; 11 mai 1916 et LeMoyne, «L'action de la Fédération»,  op. cit., p. 10.

[42]- ANQM, FFNSJB, PVCC, 28 octobre 1916.

[43]- ANQM, FFNSJB, lettre du Bureau médical à la FNSJB, 23 octobre 1916; PVCC, 23 novembre 1916 et lettre du Bureau médical à la FNSJB, 29 décembre 1916.

[44]- Ces subventions avaient d'ailleurs été diminuées des deux tiers en 1916 parce que la Ville éprouvait des difficultés financières, ce qui bien sûr ne faisait qu'envenimer le conflit entre les deux groupes (ANQM, FFNSJB, PVCC, 13 janvier 1916 et 21 mars 1916).

[45]- ANQM, FFNSJB, PVCC, 23 novembre 1916.

[46]- Les procès-verbaux de la Commission centrale s'arrêtent en janvier 1918.

[47]- Dr Joseph Gauvreau, La Goutte de lait, Montréal, Brochure de l’École sociale populaire no 29, 1914, p.16-26.

[48]- Passant en revue les éléments nécessaires à la fondation d'une Goutte de lait, celui-ci affirmait en effet que quatre choses étaient indispensables: un local, une balance, un médecin et une «bonne», cette dernière devant «recevoir les petits enfants, les peser, remplir leur carte, distribuer le lait et [...] s'enquérir des raisons pour lesquelles les nourrissons inscrits ne fréquentent plus la consultation» (Gauvreau, La Goutte de lait,  op. cit., p. 26).

[49]- Gérin-Lajoie, «Rapport des œuvres de la F. N. St-J.-B.», BP, vol. II, no 9, novembre 1914, p. 4.

[50]- ANQM, FFNSJB, PVCC, 10 septembre 1914, 17 décembre 1914, 18 janvier 1915, 9 septembre 1915, 10 février 1916 et 28 septembre 1916.

[51]- Parlant des visites à domicile effectuées par les membres de la Fédération auprès des mères, Gérin-Lajoie affirmait que les «aveux tomb[aient] tout naturellement au cours de la conversation entre l'enquêteuse et la mère», suggérant par là qu'une sympathie spontanée pouvait naître entre elles en l'espace de quelques instants (Gérin-Lajoie, «Entre nous», BP, vol. 111, no 6, août 1915, p. 2).

[52]- Voir Denyse Baillargeon, «Gouttes de lait et soif de pouvoir. Les dessous de la lutte contre la mortalité infantile à Montréal, 1910-1953», Bulletin canadien d’histoire de la médecine\Canadian Bulletin of Medical History, vol 15 (1998): 27-57.

[53]- Sur l'opposition des nationalistes conservateurs au droit de vote des femmes, voir en particulier Susan Mann Trofimenkoff, «Henri Bourassa et la question des femmes», dans Lavigne et Pinard, Travailleuses et féministes,  op. cit., p. 293-306.

[54]- Pour une histoire de la lutte pour le suffrage féminin au Canada, voir Catherine Cleverdon, The Women Suffrage Movement in Canada, 2e éd., Toronto, University of Toronto Press, 1974.

[55]- Voici les dates où les femmes obtinrent le droit de vote dans les autres provinces canadiennes: Manitoba, Saskatchewan et Alberta :1916; Colombie-Britannique et Ontario : 1917; Nouvelle-Écosse : 1918; Nouveau-Brunswick : 1919; Ile du Prince-Édouard : 1922.

[56]- Les autorités religieuses à Rome, où s'était rendue Marie Gérin Lajoie, n'étaient pas aussi intransigeantes sur cette question, mais elles considéraient que les Églises nationales devaient interpréter les directives dans le sens qui leur apparaissait le plus approprié. (Lavigne, Pinard, Stoddart, «La Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste», dans Travailleuses et féministes,  op. cit., p. 207).

[57]- Cette nouvelle coalition comprenait l'Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec, créée en 1927 par Idola Saint-Jean et la Ligue des droits de la Femme, formée en 1929 par Thérèse Casgrain (Diane Lamoureux, Citoyennes? Femmes, droit de vote et démocratie, Montréal, Éditions du Remue-ménage, 1989, p. 44 et suiv.).

[58]- Jennifer Stoddart, «Quand les gens de robe se penchent sur les droits des femmes: le cas de la Commission Dorion, 1920-1931», dans Lavigne et Pinard, Travailleuses et féministes,  op. cit., p. 307-336.

[59]- Denyse Baillargeon, Ménagères au temps de la crise, Montréal, Éditions du Remue-ménage, 1991, p. 138 et suiv.

[60]- Voir Veronica Strong-Boag, «Wages for Housework: Mothers' Allowances and the Beginnings of Social Security in Canada», Journal of Canadian Studies/Revue d'études canadiennes, vol. 14, no 1 (printemps 1979): 24-34.

[61]- La Colombie-Britannique, au cours de la période 1920-1930, semble avoir fait exception à cette règle; c'est en effet la province qui accorda les plus généreuses «pensions» aux mères, tout en exerçant un minimum de contrôle. Au début des années 30, sous l'effet de la crise, le programme fut toutefois remanié de manière à ce qu'il redevienne une forme d'assistance (Strong-Boag, Ibid ).

[62]- «Requête de la Fédération Nationale St-Jean-Baptiste à la Commission des Assurances sociales», BP, vol. XIX, no 2, février 1931, p. 3.

[63]-Graziella Boissonnault, «La pension aux mères», BP, vol. X, no 1, janvier 1922, p. 4.

[64]- Ibid.

[65]- Ibid

[66]- Ibid

[67]- La lutte entre l'Église et l'État au sujet de cette loi dura au moins cinq ans. Il est à noter que plusieurs communautés religieuses de femmes, qui dirigeaient les institutions d'assistance, acceptèrent les subventions étatiques et les modalités de contrôle qui y étaient rattachées, en dépit des directives de leurs évêques (Voir Bernard Vigod, «Ideology and Institutions in Québec. The Public Charities Controversy 1921-1926», Histoire Sociale/Social History,  vol. XI, no 21 (mai 1978): 167-182).

[68]- «Délégation de la FNSJB auprès du Premier Ministre de la Province de Québec, pour lui soumettre les résolutions du congrès», BP, vol. XVI, no 2, février 1928, p. 3.

[69]- Ce programme de pensions, dont les coûts devaient être défrayés par les deux niveaux de gouvernement, représentait une incursion fédérale dans un domaine de juridiction provinciale. En vertu de la Constitution canadienne, en effet, il revenait aux provinces de légiférer en matière sociale, quoique le gouvernement central conservait le droit de dépenser dans à peu près tous les domaines. Sur les demandes syndicales, voir Rouillard, Histoire du syndicalisme,  op. cit.

[70]- «Requête de la FNSJB à la Commission des Assurances sociales», BP, vol. XIX, no 2, février 1931, p. 3.

[71]- Ibid, p. 5.

[72]- Ibid, p. 3.

[73]- Ce service d'aides maternelles s'adressait aux femmes des classes moyennes et venait s'ajouter aux services que rendait l'Assistance maternelle, une organisation philanthropique affiliée à la FNSJB et dédiée aux femmes pauvres.

[74]- «Requête de la FNSJB à la Commission des Assurances sociales», BP, vol. XIX, no 2, février 1931, p. 4.

[75]- Un organisme privé, financé par le gouvernement fédéral et chargé, entre autres, de formuler des recommandations en matière de législations sociales (Dennis Guest, Histoire de la sécurité sociale au Canada, Montréal, Boréal, 1995, p. 87).

[76]- Ibid, p. 89.

[77]- Le rapport de la Commission mentionnait que 12% seulement des enfants placés dans ces institutions étaient de véritables orphelins; dans 21% des cas, le père et la mère vivaient toujours et dans 67% des cas, ces enfants avaient encore soit leur père ou leur mère (Québec, Rapport de la Commission des Assurances sociales de Québec (ci-après Rapport Montpetit), 2e Rapport, mai 1933, p. 34).

[78]- Rapport Montpetit, p. 33.

[79]- Ibid, p. 39.

[80]- Ibid, p. 41.

[81]- Bernard Vigod, «History According to the Boucher Report», dans Allan Moscovitch et Jim Albert, (dir.), The Benevolent State. The Growth of Welfare in Canada, Toronto, Garamond Press, 1987, p. 181-82. Il y eut deux versions de ce Programme, l’une rédigée par le clergé, l'autre par des politiciens. Cette dernière était beaucoup plus interventionniste.

[82]- La loi qui fut finalement adoptée était encore plus restrictive que ce que proposait le Rapport Montpetit, entre autres, au niveau des conditions de résidence (Yves Vaillancourt, L'évolution des politiques sociales au Québec, 1940-1960, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1988, p. 270-278.

[83]- Le texte d'une résolution entérinée par les milieux catholiques, inspirée des travaux de Lebel et reproduite in extenso dans le Rapport Montpetit démontre que dans l'esprit de ses défenseurs, les allocations familiales représentaient surtout une mesure nataliste (Rapport Montpetit, 3e Rapport, p. 92-94).

[84]- Rapport Montpetit, 3e Rapport, p. 90. Nous soulignons.

[85]- Ibid, p. 91 et Louise Toupin, «Mères ou citoyennes?» ,  op. cit., p. 236.

[86]- Dominique Marshall, Aux origines sociales de l'État Providence, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1997, p. 45.

[87]-  Rapport Montpetit, 3e rapport, p. 95.

[88]- Ibid, p. 97 et suiv.

[89]- Ibid, p. 107-108. Il semble cependant que les commissaires étaient divisés sur la question des allocations familiales : Édouard Montpetit, président de la Commission, y étant lui-même favorable (Marshall, Aux Origines,  op. cit., note 59, p. 73).

[90]- Marshall, «Nationalisme et politiques sociales»,  op. cit., p. 311-312.

[91]- Sur les réactions des élites nationalistes, voir, entre autres, Toupin, «Mères ou citoyennes?»,  op. cit., p. 237-38.

[92]- Ibid.

[93]- Pour une analyse de la réception des allocations familiales par les familles québécoises, voir Dominique Jean (Marshall),  «Les parents québécois et l'État canadien au début du programme des allocations familiales: 1944-1955» Revue d'histoire de l'Amérique française , 40,1 (été 1986) : 73-96.

[94]- Le mémoire, d'une teneur très vague se contentait d'énoncer des principes généraux en faveur d'une meilleure protection sociale des délinquants et des orphelins, mais il ne remettait pas en cause le placement de ces enfants dans des institutions dirigées par des religieuses, comme d'autres organisations l'ont fait.

* Nous remercions la revue Sextant pour avoir accordé la permission de publier cet article, paru dans Sextant, 20, 2003, p. 113-147)

Denyse Baillargeon est docteure en Histoire et professeure titulaire du Département d´Histoire de l´ Université de Montréal, Québec, Canada, spécialiste en histoire des femmes et de la famille au Québec. Elle est auteure de plusieurs articles et d´un livre intitulé Ménagères au temps de la crise, Montréal, Remue-ménage, 1991, où elle étudie la contribution des femmes à la survie des familles ouvrières pendant la crise des années 20.  Elle est coordinatrice d´un séminaire d´Études Féministes à l´Université de Montréal et prépare actuellement un livre sur l´histoire de la maternité au Québec  au XXe siècle.

labrys, estudos feministas, études féministes
agôsto/ dezembro 2004- août / décembre 2004
número 6