labrys, études féministes
août / décembre 2004
numéro 6

 

Relais-femmes, Rencontre entre des savoirs  : la mise en action d’une utopie…

 

Lise Gervais

Relais-femmes travaille à la promotion des droits des femmes dans une perspective de changement social. Nous développons des services de recherche et de formation tout en favorisant la concertation entre les milieux féministe, communautaire, universitaire, institutionnel et syndical. Relais-femmes a développé au fil des ans, selon la conjoncture, différents types d’ententes et de modèles partenariaux avec les universités pour répondre aux besoins de nos membres. Ces partenariats sont autant de lieux à l’intérieur desquels le savoir des groupes est reconnu, leur participation assurée à toutes les étapes de la recherche et où les résultats donnent lieu à des publications ou des interventions pédagogiques.

Notre exposé dressera, à travers deux structures partenariales, l’évolution dynamique d’une organisation qui, ancrée dans le mouvement des femmes, branchée sur le terrain de la pratique s’assure de faire le pont entre le milieu associatif féministe et les milieux universitaires pour que de la rencontre des différents savoirs, surgissent des pratiques transformatrices sur le terrain. Ces deux illustrations permettront de mieux cerner les difficultés et les limites de tels outils mais aussi de mettre en lumière les potentialités de ceux-ci dans la construction de nouveaux rapports entre la recherche et l’action, entre chercheures féministes et militantes terrain.

Depuis plus de vingt ans, nous tentons de relever le défi de la mise en relation, en commun, en débat de mondes trop souvent étrangers, celui de la recherche universitaire, institutionnelle, d’une part, et les femmes impliquées dans l’action quotidienne des groupes de femmes, d’autre part. En effet, Relais-femmes a réussi au fil des ans à créer un lieu, un espace de négociation qui permet la rencontre mais surtout le travail entre les chercheures et les femmes engagées dans les groupes de femmes

En 1978, le Conseil du statut de la femme, la Fédération des femmes du Québec., l’Association féminine d’éducation et d’action sociale (AFÉAS) et des professeures de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) et de l’Université de Montréal (UdeM) s’associent afin de créer à Montréal, un centre de ressources-information des femmes, le C.R.I. des femmes, l’ancêtre de Relais-femmes. Leur but, répondre aux besoins d’information des quelque 120 groupements actifs de femmes de la seule région de Montréal.

Rapidement, le strict mandat documentaire s’avère trop restrictif. En mai 1980, Relais-femmes voit officiellement le jour, en tant qu’organisme national qui se développe autour de la convergence entre les besoins des groupes de femmes et les intérêts de femmes universitaires. Ce carrefour d’échanges et de réflexion du mouvement des femmes est un terrain fertile au développement de la recherche-action. Nous constituons aussi une équipe au service des groupes de femmes en offrant de l’animation, de la formation et de l’accompagnement.

Au fil des ans, Relais-femmes a travaillé sur des centaines de recherches, formations et publications autour de diverses questions touchants la condition féminine dans une perspective féministe. Les modalités d’action privilégiées par Relais-femmes sont essentiellement les pratiques suivantes  :

La recherche, principalement la recherche-action en partenariat ;

Le partenariat et la concertation comme modalité de rencontre entre les chercheures et les femmes du terrain ;

La formation qui est souvent la suite logique à des travaux de recherche ;

Les publications, qui rendent possible la diffusion des résultats de recherche mais aussi l’accessibilité aux contenus de formation ;

Le «réseautage» et l’accompagnement, qui permettent de soutenir concrètement les femmes impliquées et les organisations. Ces pratiques sont aussi une source d’information privilégiée afin de mieux identifier les questions en émergence.

Le travail de Relais-femmes puise sa légitimité et son inspiration essentiellement dans son membership. Nos membres œuvrent dans plusieurs secteurs d’activités, ce qui nous donne une vision plurielle des conditions de vie et préoccupations des femmes.

Deux structures partenariales

- le Protocole UQAM-Relais-femmes

L’Université du Québec à Montréal (UQÀM), qui est à l’avant-garde pour tout ce qui concerne les services aux collectivités, innovait à l’époque avec la mise sur pied d’un protocole d'entente avec deux centrales syndicales.

C’est en s’inspirant de ce protocole que Relais-femmes réussit, en 1982, à élaborer et à signer avec l'Université le Protocole UQÀM-Relais-femmes. Ce protocole prévoit que l’Université dégage une ressource pour les dossiers des femmes, des accès privilégiés aux salles de cours et aux autres ressources de l'Université en général. Le Protocole UQÀM-Relais-femmes donne aussi l’accès à une banque de dégrèvements et à des fonds internes de recherche.

Au-delà de ces modalités, quels sont les principaux bénéfices de cette pratique qui a 20 ans cette année ? Bien sûr, il y a tout le travail effectué par des professeures, des étudiantes, des professionnelles de recherche, les coordonnatrices du Protocole et diverses actrices impliquées dans les centaines de projets de recherche, de formation et de publication que nous avons pu réaliser grâce à cette infrastructure. Si le protocole a des moyens limités, il dispose de ceux qui font la différence notamment en nous permettant de constituer des équipes de recherche, de mieux patienter dans l’attente d’une réponse, d’amorcer des travaux qui vont culminer vers l’obtention d’une subvention plus importante, pour faire le travail de déblayage souvent essentiel.

Le protocole c’est aussi la reconnaissance des groupes et leur place dans le développement d’une recherche ou d’une formation. La fonction d’interface entre les universitaires et les groupes, qu’exerce le protocole est en quelque sorte la garantie que le groupe gardera l’initiative à chacune des étapes,  tout en respectant les exigences de la recherche universitaire. Il permet la rencontre entre les deux cultures et tente, si besoin est, de faire un travail de médiation.

Soulignons que le Protocole UQÀM-Relais-femmes formalise et rend visible les complicités et les alliances qui, avant celui-ci, reposaient non pas sur une entente contractuelle d’institution à organisation, mais plutôt, sur l’engagement des individues. De plus, cette reconnaissance formelle rend visibles la question des femmes et Relais-femmes dans les structures mêmes de l’université. Le Protocole crée un espace et impose du temps, ce qui favorise le maintien de la préoccupation «femme» au sein de l’université même lorsque celle-ci  n’est plus à la mode.

Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes, le CRI-VIFF

Un cauchemar est à l’origine de ce partenariat de recherche. Plusieurs se souviendront du 6 décembre 1989. Pour les féministes québécoises, cette date est marquée du sang de 14 jeunes femmes tuées lors des événements tragiques de l’École polytechnique à Montréal. Dans la foulée et pour réagir à l’inacceptable, suite aux recommandations de l'Association canadienne des professeurs d'université (ACPU), le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada et Santé et Bien-être social Canada ont mis sur pied une initiative conjointe et ont invité tous les établissements universitaires canadiens à proposer des projets en collaboration avec des milieux de pratique. L'Université de Montréal, l'Université Laval, la Fédération des CLSC (les centres locaux de services communautaires) et Relais-femmes déposent conjointement un projet, le CRI-VIFF. Nous avons été parmi les cinq propositions retenues pour l'octroi d'une subvention d'infrastructure qui a assuré le fonctionnement du centre de 1992 à 1997.

Les objectifs du CRI-VIFF sont :

-D’acquérir une plus grande compréhension du phénomène de la violence familiale et de la violence faite aux femmes.

-Contribuer au développement de modes d'intervention novateurs et efficaces dans le domaine de la prévention de la violence familiale et de la violence faite aux femmes.

-Si le Protocole UQÀM-Relais-femmes s’est construit autour de l’avancement de la cause des femmes et regroupe clairement des féministes, il en est autrement pour le CRI-VIFF. Ce dernier est constitué non pas autour des études féministes, mais autour d’une problématique qui touche les femmes : la violence faites aux femmes. Tous les partenaires veulent mieux comprendre et ainsi mieux agir face à la violence faite aux femmes, mais ils ne se définissent pas nécessairement comme des féministes. Ils ne font pas nécessairement une lecture féministe de la violence faite aux femmes.

Le premier défi du CRI-VIFF a été de s’entendre sur la définition que l’on donne à la violence et cette dernière est régulièrement réitérée,  car elle constitue la base d’unité du centre. Nous avons donc convenu que  :

« La violence est définie comme un exercice abusif de pouvoir par lequel un individu en position de force cherche à contrôler une autre personne en utilisant des moyens de différents ordres afin de la maintenir dans un état d'infériorité ou de l'obliger à adopter des comportements conformes à ses propres désirs ».

Cette définition ne se limite pas aux conduites individuelles puisque la violence peut être exercée par des systèmes plus larges.

Le CRI-VIFF s’appuie sur un partenariat entre universités et milieux de pratique institutionnels et associatifs. Les partenaires collaborent au fonctionnement du centre. Ses activités sont donc conçues et réalisées en étroite collaboration entre universités et milieux de pratique. Dans cette perspective, le CRI-VIFF a adopté une structure de fonctionnement basée sur la parité entre les partenaires des milieux universitaires (universités Laval et de Montréal) et des milieux de pratique institutionnels (CLSC) et associatifs (membres de Relais-femmes).

Après 10 ans d’existence, nous pouvons faire quelques constats. Le CRi-VIFF est devenu la référence au Québec en matière de violence familiale et de violence faite aux femmes et ce, grâce à la qualité de ses chercheures, mais aussi par la présence des milieux de pratique. Ceux-ci, tout en inspirant et stimulant la recherche, ont aussi bénéficié de celle-ci. La recherche en partenariat développée par le CRI-VIFF favorise le transfert des connaissances et elle permet une intégration rapide des résultats de recherche dans les pratiques terrains.

Malgré ces réussites, nous sommes obligées de constater que le CRI-VIFF est aussi très fragile. En effet, contrairement au Protocole UQÀM-Relais-femmes, le CRI-VIFF est à la merci des programmes de subvention. Au cours des dernières années, les partenariats de recherche entre les milieux de pratique et les universités ont été valorisés par les organismes « subventionnaires », mais qu’en sera-t-il dans 5 ans? Bien que les universités impliquées appuient le centre de recherche, elles ne soutiennent pas avec autant de vigueur le partenariat de recherche. Et contrairement à l’illustration précédente, la place des collectivités, des milieux de pratique, n’est pas valorisée encore moins formalisée.

Les limites et forces d’une pratique de recherche féministe telle que développé par Relais-femmes.

Outre les deux partenariats que je viens de vous présenter, Relais-femmes peut aussi compter, depuis deux ans, sur une Alliance de recherche IREF-Relais-femmes, qui est une infrastructure de recherche. Elle nous donne des ressources humaines et financières nous permettant de mener à bien divers projets de recherche et de transfert des connaissances. Ces diverses complicités sont riches, mais elles sont aussi porteuses de certaines contraintes.

Certaines contraintes sont liées aux rapports que nous avons avec les universitaires. Une première s’impose, c'est la grande coupure université/milieu. C'est une coupure importante qui fait qu'aucun mécanisme souple n'existe pour un va-et-vient entre les femmes des groupes, qui pourraient apporter leur expertise dans les universités, et les professeures qui pourraient être « prêtées » aux groupes. Bien que l’expérience du Protocole UQÀM-Relais-femmes permette des avancées dans ce sens, la partie n’est pas gagnée pour autant. La rigidité des exigences universitaires est souvent perçue comme un mur par les groupes de femmes et ce, malgré les mécanismes prévus au protocole.

Nous retrouvons aussi chez certains groupes de femmes une forme d’anti-intellectualisme qui dévalorise le travail des universitaires. Seul le travail terrain est pertinent à leurs yeux. En caricaturant, nous pourrions dire que la recherche scientifique, les exigences de publication, les présentations dans les colloques scientifiques ne sont, pour eux que de la perte de temps. Ces groupes souhaitent tout de même le contact avec les universitaires pour donner du poids à leurs revendications. Ils sont dans un rapport utilitaire avec les chercheures universitaires. Ce côté utilitariste peut aussi se retrouver chez les chercheures. En effet, certaines d’entre elles limitent le partenariat de recherche à la collaboration des groupes de femmes à leur propre projet de recherche. Dans ces cas de figure, les groupes ne sont pas des partenaires de la recherche. Ils sont confinés au rôle de terrain où s’effectue la cueillette d’information, ou encore ils sont carrément l’objet de ladite recherche.

Une autre limite importante au développement de la recherche en partenariat université-groupe de femmes est le peu de prestige accordé aux tâches de services aux collectivités. De plus en plus, la compétition pour l'« excellence » devient la règle et nous savons ce que l'« excellence » veut dire dans la conjoncture actuelle. C'est une situation particulièrement difficile pour les femmes. On valorise avant tout les formations de 3e cycle et les recherches fortement subventionnées... Ce n'est pas par des collaborations avec des groupes de femmes qu'une professeure fait nécessairement avancer sa carrière!

Malgré ces contraintes, les échanges entre universitaires et femmes des groupes sont généralement fructueux, mais il y a tout de même un équilibre fragile entre les deux, toujours à rebâtir car le rapport entre les universitaires et ces femmes n'est ni simple ni facile. Il existe une dynamique fragile et intéressante entre les deux. Ce que l'on peut observer, là aussi avec un brin de caricature, c'est que les universitaires ont souvent une propension à « enseigner » leur savoir aux groupes et que les femmes des groupes souffrent parfois de méfiance, de crainte de récupération ou d'exploitation de la part des universitaires.

Dans un autre ordre d’idée, l’une des plus grandes limites du travail que peut faire Relais-femmes c’est l’absence d’appui réel de la recherche féministe en milieu associatif. Au cours des dernières années, Relais-femmes a réussi à faire reconnaître par les institutions et les organismes subventionnaires le besoin de coordination des partenariats de recherche et conséquemment ils financent des postes dédiés à cet effet. C’est une grande victoire. Mais nous n’avons pas eu le même succès dans la reconnaissance de notre existence même comme outil essentiel au développement de la recherche dans le mouvement des femmes.

Relais-femmes ne reçoit aucune subvention pour son fonctionnement de base (loyer, communication etc.). Le gouvernement du Canada qui assurait notre financement de base s’est retiré pour se réinvestir dans un financement par projet. Pour faire face à cette situation, Relais-femmes a mis beaucoup d’énergie à s’adapter. Nous avons même développé une expertise certaine dans la gestion par projet et ses implications dans les modes de fonctionnement des groupes. Si cette expertise est une force, l’absence de financement de base reste la plus grande faiblesse de Relais. Nous reconnaissons que le développement de multiples nouveaux projets favorise la créativité, mais l’absence de financement de base ne permet pas de maximiser la diffusion de tout ce matériel développé.

En effet, lorsqu’un projet est terminé, même si les résultats (recherche et/ou formation) pourraient continuer d’être diffusés, Relais-femmes n’a pas les ressources pour poursuivre ce travail. Ses maigres énergies sont mobilisées par le développement de nouveaux projets. Plusieurs recherches et formations dorment sur les tablettes, elles ne sont pas connues ni diffusées malgré leur grande pertinence pour les groupes. L’absence adéquate de diffusion des recherches et des formations est une perte nette. Les énergies et intelligences déployées par les chercheures mériteraient un plus grand rayonnement et les femmes terrain n’ont pas les moyens de se priver de toute cette connaissance.

La fragilité de l’infrastructure de Relais-femmes est quelque peu compensée par la mobilisation exceptionnelle de nombreuses femmes, toutes ces femmes, chercheures, formatrices, organisatrices et femmes impliquées dans les groupes qui mettent leur intelligence, leur savoir, leurs questionnements, leur curiosité et leur temps au service de la réflexion, du développement et de la transmission des connaissances visant l’amélioration des conditions de vie des femmes. Le gouvernement québécois fait actuellement de grands pas dans la reconnaissance du travail des groupes de femmes, comme les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale, les centres de femmes et autres ressources pour les femmes.

En effet, avec sa toute nouvelle politique de reconnaissance et de financement de l’action communautaire, le gouvernement du Québec est à l’avant-garde pour l’appui apporté à son mouvement associatif. Il est dommage que cette reconnaissance n’ait pas encore eu de retombées concrètes pour les groupes dédiées à la recherche féministe et au transfert des connaissances ainsi développées. L’enjeu est important et le temps presse, car il en va de la survie même des associations qui en ont fait leur mission de la recherche et la formation. Elles sont en péril. Car si la recherche en partenariat développée par des universitaires est peu ou pas valorisée par les organismes «subventionnaires», imaginez cette même recherche développée sur des bases autonomes par un groupe de femmes.

De plus, les études féministes ne sont pas les questions à la mode. Nous favorisons des moyens non conventionnels (recherche-action, recherche en partenariat) qui sont peu valorisés par le monde universitaire. Ajoutez à ce tableau que nous sommes une association aux bases fragiles et à l’avenir incertain. Vous pouvez facilement imaginer le défi auquel nous sommes confrontées comme association de femmes dédiée à la recherche féministe.

Mais rien n’est perdu, au cours des ans nous avons été à même de constater que lorsque les féministes tant institutionnelles, universitaires que celles des groupes terrain unissent leurs efforts, en respectant et en valorisant l’apport de chacune, elles font changer les choses. Relais-femmes en est la preuve concrète.

 

Lise Gervais, Coordonnatrice Relais-femmes, Montréal

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août / décembre 2004
numéro 6