labrys,études féministes

numéro spécial, septembre 2003

 

Tribute to Monique Wittig

Michèle Causse [1]

 

 

 

Un jour infimement pareil à tous les jours arrive en presto subito des inattendues la Grande Griotte seule porteuse de fables qui de porte en porte aille et défaille. Belette maximale tout en arcs de ciel elle dit presto subito “ à force de changer de lieux j’existe en plus des plus ”. Il faut l’en croire. Elle a tous les yeux en pers et les mille pattes blanches cornées crottées.

La Grande Griotte est celle qui du mot manquant fait le mot gagnant. A toute heure elle le forge en bec et du bris des cages libère les sons qui jamais ne furent en haleine expirés. Elle est à elle seule la Grande Volière des Anomalières. La plus Hurlevente des Lumineuses .

La Grande Griotte crache sa langue en épines :

" J’ai vu les Irradieurs irradier…J’ai vu les Médusées perdre le poil perdre la plume perdre la face. J’ai vu qu’il faut au Criminel un crime pour ne pas être incriminé ".

La Grande Griotte toute d’acerbe lâche ses jets d’acide qui font oignons d’Anomale dans les oreilles oû ils vont se lover. Sortent aussitôt celles qui ont vision par d’autres trous celles qui ont flagelles de mercure au bout de la langue .Elles scandent "  ad majora "et  s’élèvent dans les airs.

Summa con laude la Grande Griotte du radon fait rayon. De sa cotte en fuge de son masque en mailles elle fait mazette. Plus unique que rare elle est connue de toutes les Anomales d’Animalie .Qui toutes veulent la voir toutes veulent l’ouïr. Les Scribes de sang qui tout en glas de glotte savent le pouvoir de la nomination ne la nomment jamais même pour la raturer rayer  radier rançonner ravir ruiner rosser rôtir rogner riper pas même pour la nuller en nulle…Seul le silence en broue de brume entoure les allées les venues de la Grande Griotte. Elle ne sait jamais elle-même où elle va ni parfois où elle est. Elle est dans le mouvement moment momentum étant toujours trois fois plus qu’elle n’est. Elle est celle qui change la gêne de la pensée en morphos et genèse.

La Grande Griotte ne dit pas qu’elle produit la néo-née de bouche à oreille  comme par enchantement. De toutes ses lèvres boutant déboutant le Grand Pavoiseur. Elle n’a jamais sa langue dans sa poche jamais ne l’avale jamais ne l’a trop longue ni trop verte ni trop sèche. Vraie Chevale de Troie qui cavale elle est sur tous les lieux de la planète disant " est mauvais ce qui fait diversion " et pure agente de conversion elle harangue la néo-née " ce que tu vois n’est pas ce qui est "…La Grande Griotte a le mouvement dans les sangs. La hache à double tranchant lui coupant le front elle ne reste jamais dans un lieu après qu’elle en a enchanté les sons . De cure en crue elle lie les lieux ainsi que jamais avant elle on ne les lia on ne les lut. Antécédente en toute solitude de soi. Il faut l’écouter sur fond d’absence sans retrouver de ses chants un seul quatrain en soi.

Elle est machette en jungle la reine des Laborieuses. Seule elle tient son âme entre ses mille canines pour naître en née.

La Grande Griotte est en souffle d’ortie. Des cailloux elle fait corps vif en glotte. Et de tous les cercueils veut tâter la momie. Afin qu’en gloire elle ressuscite.

Notice biographique<

Tant dans ses œuvres de fiction que dans ses essais, Michèle Causse s’attache à élucider – comme elle le dit plaisamment – « le devenir ontologique de l’individue sexuée au féminin dans un univers androcentrique, voire violemment viriocentrique ». Elle a publié notamment L’interloquée, Les oubliées de l’oubli, Dé/générée (1991, éd. Troies), Voyages de la Grande Naine en Gndrossie (1993, éd. Troies), Quelle lesbienne êtes-vous ? (éd. Paroles de lesbiennes, 1997) et plus récemment Contre le sexage (éd. Baland, 2000).


[1] Extrait du chapitre "  La grande Pérégrine " dans Voyages de la Grande Naine en Androssie   ( éd.Trois, l993, Montréal)

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numéro spécial, septembre 2003