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études féministes/ estudos feministas De la formation à la pratique Julie Théroux-Séguin Conseillère en égalité entre les sexes à Oxfam-Québec au Vietnam Entretien Propos recueillis par Marie-Ève Gauvin Étudiante à la maîtrise en travail social – concentration études féministes
Julie est une grande amie. C’est elle qui m’a transmis sa passion pour les études féministes. Elle a accepté de partager avec les membres de l’IREF quelques éléments sur son travail. Julie Théroux-Séguin a complété un baccalauréat et une maîtrise en science politique à l’UQAM avec concentration en études féministes. Son mémoire a été réalisé sous l’inspirante direction de Micheline de Sève. Sa concentration l’a amenée notamment à travailler comme adjointe de recherche pour le projet portant sur la discrimination des gais et lesbiennes en milieu de travail dirigé par Line Chamberland. MEG : Parle-nous des intérêts convergents qui t’ont amenée vers la coopération internationale ? JTS : Pendant mon baccalauréat en science politique, j’ai fait une année d’étude au Mexique, puis, à la maîtrise, j’ai passé un an et demi en France. Étudier à l’étranger, c’est particulièrement stimulant parce qu’il s’agit d’un double apprentissage. Tu apprends en classe, tu lis des textes, et tout, comme chez nous, mais tu apprends aussi avec leurs différentes façons de faire à l’école, à l’extérieur, dans la vie quotidienne, les discussions avec les gens. J’ai compris qu’on pouvait apprendre différemment. Plusieurs séjours à l’étranger, dont un accompagnement de groupe au Mali, ont aussi été des sources d’apprentissage qui m’ont permis de confronter mes propres préjugés en tant que féministe blanche occidentale. En mars 2008, j’ai obtenu un contrat de conseillère en égalité entre les sexes avec le Centre d’étude et de coopération internationale (CECI) au Vietnam. Je travaillais dans une école pour les fonctionnaires au ministère de l’Agriculture, pour favoriser l’intégration du genre de façon transversale à l’intérieur de leurs cours. Présentement, je travaille sur des projets de développement avec Oxfam- Québec au Vietnam. Je collabore avec chacun des projets pour qu’ils soient sensibles à l’égalité « homme-femme ». On ne fait pas seulement inviter plus de femme à nos ateliers et formations, on essaie surtout que nos projets permettent une réelle appropriation du développement par la communauté et qu’ils soulèvent la préoccupation d’en arriver à une plus grande égalité entre les hommes et les femmes. MEG : Tu es toujours en contact avec les gens de l’IREF, en quoi ces échanges servent et stimulent ton travail actuel ? Quels sont les apports de ta formation dans ton travail ? JTS : Je demeure très intéressée par ce qui se passe à l’IREF. Je reste en contact avec des personnes qui continuent à y étudier et à y travailler, et c’est une bonne source d’informations dans le milieu féministe. Je peux envoyer un appel comme ça, à trois, quatre personnes qui s’intéressent à un sujet sur lequel je me questionne. Ce sont souvent des dilemmes intellectuels que je n’arrive pas à partager avec les gens ici, parce qu’ils font appel à une analyse conceptuelle présente dans les études féministes. Maintenant, contrairement à l’époque où j’étais étudiante et que je lisais de la théorie tous les jours, je réalise davantage des activités en lien avec le terrain. Parfois, je me retrouve à un point où j’aurais envie d’avoir une réflexion qui ne soit pas collée sur le terrain. Je trouve que cette réflexion, elle est plus facile à avoir avec des gens qui continuent à être dans l’univers de la réflexion intellectuelle et conceptuelle. Quand je pense à ce que l’IREF m’a apporté, c’est beaucoup la conceptualisation de la discrimination systémique, qui s’exprime à travers l’idée de la différence entre le sexe biologique et le genre. C’est l’une des choses qu’on explique quand on va faire des ateliers en région urbaine ou rurale. Mes études m’ont amenée à comprendre l’imbrication des différents systèmes d’oppression, puis leur matérialisation par des éléments simples. Comme quand on me dit que les femmes, naturellement, parlent moins fort ou que les hommes sont des piliers pour prendre les décisions, je cherche à comprendre comment ces croyances là ont été construites… Les études féministes m’ont aussi permis d’avoir ce regard sur le langage comme n’étant pas qu’un outil de communication, mais un outil de renforcement des normes. L’utilisation des proverbes me sert dans mes interventions au Vietnam, parce que je peux les utiliser pour dire aux gens que le fait que les hommes soient considérés comme les piliers de la famille, ce n’est pas sorti de nulle part. Y a précisément un proverbe vietnamien qui dit « dans une maison y a qu’un pilier qui tient le toit ». MEG : Y a-t-il un message aux étudiantes en études féministes que tu veux livrer ? JTS : Oui, j’ai envie de conclure en disant qu’on ne peut pas importer le modèle, on peut juste importer les idées. Parfois on me demande : « Mais chez vous, au Québec, c’est l’égalité entre les hommes et les femmes et c’est parfait ? », alors, moi, je pars toujours de la posture que « non » et que chez nous aussi il y a encore beaucoup de travail à faire. Je ne suis pas au Vietnam pour nous donner en exemple ou pour utiliser ce qui a été fait chez nous en disant « je vais reproduire ça ailleurs ». L’important, c’est d’avoir un esprit critique de soi-même aussi. Une critique de soi-même, c’est une critique de sa culture et de ses propres valeurs. Ça ne veut pas dire qu’on laisse tomber nos valeurs, ça veut juste dire qu’on est capable de voir d’où elles viennent et d’être capable d’analyser celles des autres aussi. Il est très riche de diversifier nos points de vue, de les confronter. Au moment où on va toutes avoir la même idée du féminisme, c’est que le féminisme sera mort. Avoir une diversité de points de vue et de discours, c’est ce qui va permettre aux idées de continuer à foisonner, et c’est aussi ce qui va permettre la valorisation des identités multiples. labrys,
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