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études féministes/ estudos feministas Les débuts de l’enseignement et de la recherche sur les femmes à l’UQAM Nadia Fahmy-Eid Professeure honoraire
Il était une fois le mouvement féministe… à l’origine des études féministes
Le contexte dans lequel ont pris forme les études féministes à l’UQAM au début des années 70 constituait ce qu’on appellerait aujourd’hui un « cadre social porteur ». Dès 1971, avait eu lieu à l’Université Sir George un « teach-in » qui avait réuni plusieurs centaines de femmes, profWilliamsesseures, étudiantes et militantes confondues. C’était la première fois qu’une université ouvrait largement ses portes à un public aussi diversifié. La popularité de cet événement et la richesse des échanges auxquels il donna lieu en firent une sorte d’élément déclencheur. C’est là que prit forme le projet d’organiser des échanges plus formels dans un cadre universitaire constitué. Déjà, depuis le début des années 70, et à l’instar de ce qu’avaient entrepris les féministes américaines, leurs homologues canadiennes avaient commencé, elles aussi, à implanter dans quelques universités anglophones une première ébauche de « Women’s Studies ». À l’Université de Montréal, un cours sur l’histoire des femmes était offert en 1972 dans le cadre de l’éducation permanente. Quant à l’UQAM, le premier cours sur les femmes, organisé également en 1972, prendra la forme originale d’un cours collectif et multidisciplinaire où s’inscrivirent plus de deux cents étudiantes, un chiffre qui incluait également près d’une dizaine d’étudiants ! Pour entreprendre cette aventure, car c’en fut une, nous étions alors douze professeures – dont deux collègues masculins – et trois chargées de cours, issues de dix disciplines différentes. Face aux réticences de l’administration universitaire à gérer une formule aussi inusitée, les professeures avaient décidé, d’un commun accord, de renoncer au salaire lié à ce cours et ce, au profit des chargées de cours et des assistantes d’enseignement qui collaboreraient avec elles. Dispensé dans un climat d’enthousiasme exceptionnel, ce cours a constitué le véritable coup d’envoi des futures études féministes à l’UQAM. Dès l’année suivante, plusieurs d’entre nous chercherons à négocier avec nos départements respectifs la création d’un cours spécifique sur les femmes. C’est ainsi qu’entre 1973 et 1976, au moins un tel cours figurera officiellement au programme des départements d’histoire, de sociologie, de sciences religieuses et de biologie. Une étape importante venait d’être franchie. Pour gérer cette entreprise et assurer sa survie, nous n’étions alors qu’un groupe de cinq ou six à entreprendre, chaque session, les démarches administratives qui s’imposaient auprès des départements concernés. Cela pouvait aller de la discussion des conditions d’inscription aux cours, jusqu’à la négociation du budget alloué pour la photocopie. De plus, en ce qui concernait la photocopie des documents, il nous incombait d’en assurer nous-mêmes l’exécution, et surtout la distribution dans les départements concernés. Baptisé par nous, au départ, Groupe interdisciplinaire pour l’enseignement et la recherche sur les femmes (GIERF) – nom qui ne sera officialisé qu’en 1976 – notre regroupement ne bénéficiait pas d’une véritable reconnaissance institutionnelle dans la mesure où il ne figurait nulle part dans la structure organisationnelle de l’UQAM. Il faut reconnaître que ce statut informel nous donnait une grande marge de manœuvre, mais nous privait en même temps de moyens pratiques de fonctionnement. Pourtant, nous ne voulions pas changer de statut pour autant dans la mesure où le modèle des « Women’s Studies », qui prévalait alors dans le monde académique anglophone, nous paraissait risqué. Au GIERF, nous reconnaissions qu’un tel modèle pouvait favoriser le développement des programmes d’études et de recherches féministes, mais qu’il risquait, en même temps, de ghettoïser les nouvelles connaissances sur les femmes en les isolant de leur champ disciplinaire respectif. Selon nous, ce savoir que nous construisions, devait être intégré le plus rapidement possible à tous les autres si nous voulions réussir à compléter, corriger, et ainsi révolutionner de l’intérieur, tous les domaines de la connaissance humaine. Nous réaliserons, quelques années plus tard, que cette autonomie à laquelle nous tenions beaucoup, par crainte de voir déboucher une telle ingérence sur un contrôle aliénant, a été chèrement payée puisqu’elle nous privait d’un support institutionnel précieux sur les plans technique et administratif. Elle nous empêchait notamment d’accéder aux réseaux d’information qui assuraient le lien entre les unités académiques en place et réduisait de ce fait notre visibilité au sein de l’institution. Pourtant, il faut reconnaître que l’administration de l’UQAM manifesta, au cours de cette période, une attitude d’ouverture à l’endroit de notre projet féministe. Il s’agissait alors d’une université jeune, qui affichait une philosophie progressiste et se disait ouverte au changement. Des membres de la direction nous avaient d’ailleurs proposé, à quelques reprises, de nous intégrer aux structures académiques existantes, mais nous demeurions méfiantes. La seule « concession » que nous fîmes, en 1976, fut d’accepter d’officialiser le nom de notre groupe et son intégration informelle à la structure organisationnelle de l’UQAM. Comment formaliser, par ailleurs, un regroupement comme le GIERF, qui affichait résolument un caractère multidisciplinaire, mais gérait un ensemble de cours qui ne s’insérait pas, pour autant, dans un programme d’études spécifique ? Dans le monde universitaire le modèle était pour le moins inusité. [1] http : //vsites.unb.br/ih/his/gefem/labrys12/ quebec/nadia.htm |