labrys, études féministes/ estudos feministas
janvier /juin 2011 -jameiro /junho 2011

L’expérience des jeunes lesbiennes : un révélateur de l’organisation hétéronormative de la sexualité féminine[1]

Christelle Lebreton, Line Chamberland.

Résumé

Dans cet article, nous présentons une perspective théorique propre à établir la valeur herméneutique de points de vue sur la sexualité normative et la construction sociale de l’identité féminine ancrés dans l’expérience de jeunes lesbiennes. Notre recherche doctorale permettra de rendre compte, à partir du discours de jeunes femmes lesbiennes, des façons dont elles ont négocié le développement de leur sexualité et de leurs intérêts amoureux à l’adolescence, et de quelle manière leur environnement social et culturel a facilité ou complexifié leur cheminement. Sur le plan théorique, nous souhaitons contribuer au développement des concepts de résistance, d’agentivité et d’empowerment, afin de renouveller les théories critiques de l’hétérosexualité et de rendre compte des possibilités et des stratégies individuelles et collectives de transformation sociale des rapports sociaux et des logiques de domination.

Mots-clés: lesbiennes, sexualité, adolescence, hétérosexualité

Notre recherche doctorale alloue à l’existence lesbienne le rôle d’analyseur social[2], au sens où elle constitue à la fois le révélateur, mais également le fil conducteur qui permet d’analyser l’organisation sociale des sexes/genres et des sexualités. Partir de l’existence lesbienne pour observer la construction sociale de l’identité des femmes, en tant que femmes, oblige à interroger le rapport que cette construction entretient avec la sexualité, entendue au sens large. L’adolescence représente un moment charnière de la construction identitaire des filles, un moment clé où la consolidation de leur identité de sexe/genre est étroitement reliée au développement de leur sexualité. Les études sur les adolescentes, notamment dans la littérature anglophone, montrent que les représentations sociales et médiatiques de la féminité, en concentrant les intérêts des femmes et des filles autour de la romance hétérosexuelle, jouent un rôle essentiel dans la reproduction du contrôle social de la sexualité des femmes (Lees, 1993; Lebreton, 2008).

En dehors de certaines études féministes et de certaines études gaies ou lesbiennes, la sexualité n’est pas envisagée en tant que structure d’organisation du social. De façon générale, les recherches sur la sexualité portent soit sur les pratiques sexuelles, soit sur les modalités « amoureuses ». Les premières sont de type épidémiologique et examinent la sexualité des adolescentes principalement dans une perspective de gestion et de prévention des risques, à des fins de régulation sociale, perspective qui est fortement androcentrée et se révèle remarquablement aveugle sur des aspects fondamentaux de la sexualité. Elles produisent des données concernant les pratiques sexuelles et leur fréquence dans la population adolescente et s’intéressent aux facteurs de risque ou au contraire protecteurs à l’égard de certaines problématiques de santé publique : contraception, grossesse adolescente, Infections Transmissibles Sexuellement (ITS).

Les secondes examinent la vie amoureuse et sexuelle des filles et des garçons, en ignorant largement les acquis des analyses féministes des quarante dernières années. Elles proposent une vision romantique de la sexualité, naturalisent l’hétérosexualité et minimisent, quand elles ne les occultent pas, les contraintes hétéronormatives et leurs effets sur les trajectoires des adolescentes (Moulin, 2005; Lagrange, 1999). Certaines analyses féministes ont pourtant mis en évidence que le développement de la sexualité est complexifié par les rapports sociaux de sexe et que l’identité féminine repose, jusqu’à un certain point, sur le statut sexuel et la réputation, c’est-à-dire que le développement de la sexualité des filles est plus fortement contraint et contrôlé que celui des garçons (Holland et al., 2002; Lees, 1993).

Nous nous inscrivons dans une perspective qui rompt radicalement avec les visions épidémiologiques et romantiques de la sexualité des adolescentes, et qui prolonge la lignée des études féministes et lesbiennes s’intéressant à la sexualité expérimentée par les adolescentes. Ces recherches interrogent le vécu sexuel des jeunes filles, notamment autour de l’axe plaisir/désir. Certaines d’entre elles se sont attachées à examiner les spécificités des expériences des jeunes filles lesbiennes à l’adolescence, notamment leur invisibilité en tant qu’homosexuelle et les possibilités réduites d’exploration sexuelle et amoureuse auxquelles elles sont restreintes. Les objectifs de notre recherche sont d’identifier, à partir du discours de jeunes femmes lesbiennes, comment elles ont négocié le développement de leur sexualité et de leurs intérêts amoureux à l’adolescence, et de quelle manière leur environnement social et culturel a facilité ou complexifié leur cheminement en regard de leur sexualité et de la construction de leur identité de sexe/genre.

Dans cet article, nous montrons comment une perspective lesbienne peut révéler l’organisation hétéronormative de la sexualité et de la féminité. Nous présentons en premier lieu la perspective épistémologique et théorique de notre recherche doctorale, soit les théories du positionnement et les théories critiques de l’hétérosexualité. En second lieu, nous proposons un survol des contributions féministes et lesbiennes sur les représentations médiatiques du lesbianisme et sur les trajectoires amoureuses et sexuelles des adolescentes.

Une approche féministe critique de l’hétérosexualité

-Les théories du positionnement : penser les expériences des femmes à partir du vécu des lesbiennes

Bien que les sciences humaines, et la sociologie en particulier, attachent une importance de premier ordre à l’objectivité du dispositif de recherche, les critiques féministes ont abondamment démontré que la manière dont nous problématisons et formulons notre objet de recherche, dont nous organisons nos concepts et dont nous les définissons ne répond pas à un principe d’objectivité, neutre et apolitique. La « standpoint theory » qui émerge dans les années 1970 propose une critique féministe des rapports entre la production du savoir et les pratiques de pouvoir (Poiret, 2005; Harding, 2004; Harstock, 1998), entre autres parce que le succès des études féministes qui se développent alors remet en question l’idée dominante selon laquelle le politique ne peut que nuire à la production de connaissances. Le fait que les études féministes, animées d’une volonté politique de transformation des rapports sociaux, se révélaient capables de produire un corpus scientifique valable, venait alors contredire le principe selon lequel la neutralité scientifique est garante de scientificité. Les théories du « standpoint » ont remis en question ce principe, qui prétend que la dimension politique nuit à la production d’un savoir politique objectif (Harding, 2004). Nous ne pouvons ici retracer que très partiellement l’histoire complète et complexe de ces théories, qui se veulent tantôt une philosophie de la science, une épistémologie ou encore une méthodologie et qui ont suscité de nombreux débats et controverses (Harding, 2004).

Les théories du point de vue ont été développées et débattues dans plusieurs disciplines scientifiques, notamment par les philosophes politiques, les philosophes des sciences et les sociologues. Les unes et les autres ont une vision différente du point de vue dont l’expérience produit le savoir, et tandis que les philosophes insistent sur le point de vue des femmes, les sociologues argumentent en faveur du point de vue féministe. Les premières élaborations féministes du « standpoint » puisent dans la pensée marxiste comme en atteste Nancy Harstock (1998), qui propose une collection des articles qu’elle a publiés depuis les années 1970 et reformule ses propositions en réponse aux critiques qu’ont soulevées ses publications. Le point de vue féministe, tel que l’entend Hartstock, se veut une tentative de développement d’un matérialisme historique féministe et constitue de la sorte une perspective féministe critique à l’endroit des théories marxiennes.

In revisiting the argument I made for a feminist standpoint I want to both pluralize the idea and preserve its utility as an instrument of struggle against dominant groups. (Harstock, 1998 : 239)

Son objectif est de bâtir des bases théoriques pour œuvrer dans le sens de la solidarité politique. Elle a développé le concept de « standpoint » (point de vue) qui attribue au sujet féministe un privilège épistémique, conférant à l’expérience vécue la qualité de savoir. La théorie du « standpoint » permet par conséquent, selon Harstock, de produire un savoir qui révèle les conditions matérielles d’existence des femmes. Les groupes dominés expérimentent « a series of inversions, distortions, and erasures that can become epistemologically constitutive » (Harstock, 1998 : 241). Elle argumente cependant que le concept de « standpoint » a pour but de permettre de théoriser l’expérience des femmes selon une perspective critique, et non pas seulement de faire entendre et de rendre visibles les expériences vécues par les femmes. C’est en cela qu’elle défend la primauté du point de vue féministe, versus le point de vue des femmes ( [1983] 2004). Dans le même ordre d’idées, Harding (1991) soutient que la théorie du point de vue permet de produire des connaissances autant sur l’oppression elle-même que sur les multiples réactions des femmes à l’oppression.

Une des critiques majeures adressées à Harstock est que ce point de vue féministe serait considéré par l’auteure comme universel, c’est-à-dire qu’il n’y aurait qu’un point de vue féministe, celui-ci étant susceptible de faire disparaître les autres axes d’oppression qui peuvent peser sur les femmes (race, classe et orientation sexuelle). Pourtant, Harstock avait clarifié sa position sur le point de vue féministe dès ses premières formulations :

Women who call themselves feminists disagree on many things … One would be hard pressed to find a set of beliefs or principles, or even a list of demands that could safely be applied to all feminists.[…] At bottom, feminism is a mode of analysis, a method of approaching life and politics, rather than a set of political conclusions about the oppression of women (1981 : 35-36).

Selon Hirschmann ([1997] 2004), les critiques adressées à l’universalisme du point de vue féministe sont erronées, dans la mesure où Hartstock propose avant tout une méthodologie féministe, propre au contraire à permettre de rendre compte de la multiplicité des expériences d’oppression.

That each group may realize its own substantively distinct standpoint, in response to the particular differences in the forms oppression takes for women of different races, classes, or sexualities, does not undermine this methodological commonality. (Hirschmann, [1997] 2004 : 319)

Les théories du « standpoint » sont en effet à la fois une méthodologie et une épistémologie, car elles prescrivent un mode de production des connaissances, à partir de l’expérience vécue et non pas dans la sphère de l’abstraction, tout en interrogeant ce mode de production. Comme le souligne Hirschmann ([1997] 2004), ces théories invitent à objectiver le processus de production des connaissances et celui de l’interprétation des connaissances. Dans le même ordre d’idée, Harding soutient que les théories du point de vue constituent une remise en question du concept d’objectivité :

Then I shall show why it is reasonable to think that the socially situated grounds and subjects of standpoint epistemologies require and generate stronger standards for objectivity than do those that turn away from providing systematic methods for locating knowledge in history. The problem with the conventional conception of objectivity is not that it is too rigorous or too “objectifying”, as some have argued, but that it is not rigorous or objectifying enough; it is too weak to accomplish even the goals for which it has been designed, let alone the more difficult projects called for by feminisms and other new social movements… ([1993] 2004 :127-128)

Le concept d’objectivité ne peut être pensé en dehors de son lien avec le sujet de la connaissance, c’est-à-dire celui ou celle qui produit les connaissances. Harding avance que la conception universaliste de la connaissance impose une conception du sujet de la connaissance en tant que sujet abstrait et invisible. Ce sujet de la connaissance est réputé différent de l’objet, dans la mesure où celui-ci seul est considéré en tant que situé dans le temps et l’espace. La prétention que le sujet de la connaissance objective peut s’extraire de ses déterminations sociales (âge, sexe, classe, etc.) n’est qu’une illusion, qui permet de ne pas rendre visibles ses croyances sexistes, classistes et racistes, entre autres, et donc de ne pas adopter une posture critique quant à la production des connaissances qui en résulte.

The subjects/agents of knowledge for feminist standpoint theory are multiple, heterogeneous, and contradictory or incoherent, not unitary, homogeneous, and coherent as for empiricist epistemology. Feminist knowledge has started off from women’s lives, but it has started off from many different women’s lives; there is no typical or essential woman’s life from which feminisms start their thought… (Harding, [1993] 2004 : 134)

Il s’agit donc de conférer au principe d’objectivité forte la primauté en tant qu’outil de production du savoir, dans la mesure où il impose une lecture non essentialiste, mais au contraire constructiviste des expériences vécues du point de vue des opprimé-es. Le concept d’objectivité forte renvoie en outre à l’idée d’une réflexivité forte, c’est-à-dire que le sujet de la connaissance doit être considéré en tant que partie de l’objet de la connaissance. Les théories du positionnement et le concept d’objectivité forte permettent de défendre le choix de partir du point de vue des lesbiennes pour examiner la contrainte à l’hétérosexualité exercée sur les filles à l’adolescence, quelle que soit leur orientation sexuelle.

De plus, le principe d’objectivité forte nous permettra de faire face, de façon réflexive, au risque de récupération énoncé par Wilton (1995), c’est-à-dire de ramener l’oppression vécue par les lesbiennes à l’oppression sexiste, ou encore de ne lire les stratégies identitaires des jeunes lesbiennes que comme des résistances à la contrainte à l’hétérosexualité, sans rendre compte de leur agentivité. Le concept d’objectivité forte nous permettra de démontrer que les lesbiennes ne sont pas hors-jeu, autrement dit il n’y a pas des hétérosexuelles et des lesbiennes, mais plutôt des femmes sur lesquelles pèse la contrainte à l’hétérosexualité. Nous introduisons une distinction du point de vue du vécu des unes et des autres : là où les femmes hétérosexuelles peuvent s’accommoder de cette contrainte (avec tout ce que cela suppose de contradictions et de paradoxes), les lesbiennes se trouvent niées dans leur sexualité et leurs besoins sont non seulement invisibilisés mais quasi impossibles à remplir, à l’adolescence en particulier (Buchanan et Logan, 2008). Plus encore, le vécu des jeunes lesbiennes est susceptible de rendre visibles les contradictions auxquelles font face les jeunes hétérosexuelles, ainsi que leurs accommodements et leurs concessions.

Réintroduire la sexualité pour penser le sexe et le genre

La différenciation sociale des sexes constitue un des principes fondamentaux de l’organisation de la vie sociale. Elle assure la production et la reproduction d'une division sexuelle du travail, dans laquelle la polarisation des rôles et des positions sociales qui sont attribués aux hommes et aux femmes a pour effet de reléguer les femmes en position subalterne et entraîne des rapports quantitativement et qualitativement inégaux en termes d’accès aux ressources, aux biens produits, et aux sphères du pouvoir. Le concept de rapports sociaux de sexe a permis de remettre en question la complémentarité naturelle des catégories de sexe. Ces analyses ont apporté des éléments susceptibles de démontrer le caractère construit et social de l’hétérosexualité, qui, plutôt qu’un penchant naturel pour l’autre sexe, peut être lue en tant que structure organisant les rapports sexuels et sociaux entre les sexes. Ces analyses n’ont cependant pas toujours problématisé l’hétérosexualité en tant que telle, et n’ont donc pas poursuivi en direction d’une théorisation de l’hétérosexualité :

Homosexualité et hétérosexualité sont des catégories coconstruites dans une relation de réciprocité mais aussi de hiérarchie : en demeurant innommée, l’hétérosexualité conserve le poids de l’évidence, de l’allant de soi, de la normalité (Chamberland et Paquin, 2005 :125)

Les définitions et la conceptualisation de l’articulation des catégories de sexe, de genre et de sexualité qui découlent de ces avancées théoriques permettent de soutenir la thèse de l’hétérosexualité en tant que système d’organisation des sexes/genres et des sexualités :

[…] dans la définition commune du « sexe biologique », l’anatomie n’est jamais seule. Autrement dit, il y a toujours déjà, dans ce que nous appréhendons communément comme le « sexe biologique » des individus, du genre et les traces d’une gestion sociale de la reproduction, c'est-à-dire une identité sexuelle (de genre et de sexualité) imposée et assignée. (Dorlin, 2008 : 38)

Cette définition de Dorlin permet de montrer que la sexualité est déjà présente dans la définition du sexe, et à plus forte raison, dans celle du genre. La sexualité n’est donc pas quelque chose qui intervient en dehors de ces catégories, mais au contraire elle apparaît constitutive des catégories de genre et de sexe :

[…] le concept de genre est lui-même déterminé par la sexualité, comprise comme système politique, en l’occurrence l’hétérosexualité reproductive, qui définit le féminin et le masculin par la polarisation sexuelle socialement organisée des corps. Dans cette perspective, si le genre précède le sexe, nous devons admettre que la sexualité précède le genre. (Dorlin, 2008 : 55)

Alors que les féministes radicales matérialistes ont opéré une première rupture en déconstruisant les catégories biologiques de sexe en usage dans les sciences sociales (Daune-Richard et Devreux, 1992), d’autres auteures permettent à l’analyse féministe de procéder à une seconde rupture épistémologique. C’est en effet à partir des écrits de Wittig, Rich et Guillaumin, entre autres[3], que le fondement hétéronormatif des catégories de sexe et de genre se voit questionné, et qu’est dénoncée l’invisibilité de l'hétérosexualité en tant que structure d’organisation des rapports sociaux de sexe.

Les théories critiques de l’hétérosexualité : Rich, Guillaumin, Wittig

Pour Rich (1981), c’est « la contrainte à l’hétérosexualité » imposée aux femmes qui permet l’appropriation de leur corps et de leur travail par les hommes. Le concept de contrainte à l’hétérosexualité permet à Rich de contester la prétendue « naturalité » de l’hétérosexualité. Plutôt, Rich identifie les multiples « moyens par lesquels le pouvoir masculin se manifeste et se maintient » (1981 : 23), chacun d’entre eux contribuant « au réseau des contraintes aboutissant à la conviction chez les femmes que le mariage et l’orientation sexuelle vers les hommes sont des composantes inévitables de leur existence » (1981 : 23). L’hétérosexualité n’est cependant pas un système, dans la lecture de Rich, mais une institution permettant d’organiser l’oppression des femmes, au même titre que la maternité par exemple.

Guillaumin (1978) élabore une théorie plus complexe, qui situe la source de l’oppression des femmes dans l’appropriation matérielle de leur corps, laquelle ne se restreint pas à la sexualité, mais inclut également la force de travail, voire les produits du corps échangeables (cheveux, lait). La théorie du sexage de Guillaumin traduit l'idée selon laquelle les rapports de sexe sont proches de l’esclavage, dans la mesure où les femmes sont appropriées dans leur individualité physique et mentale, l’appropriation de leur force de travail et du produit de leur travail dérivant de cette appropriation première, dans la division sexuelle du travail. Le sexage est par conséquent un rapport social global, qui permet l’appropriation de toutes les femmes, quelle que soit leur orientation sexuelle, par tous les hommes et constitue une appropriation collective. Selon Guillaumin, le mariage représente la forme légale de l’appropriation matérielle individuelle du corps des femmes et se manifeste par la possession physique illimitée de l’épouse, par le travail domestique et l’usage sexuel. Pour Guillaumin (1992), la construction des corps sexués constitue un mécanisme de socialisation crucial qui permet l'appropriation collective des femmes par les hommes. En effet, ce ne sont pas les différences anatomiques qui différencient les hommes des femmes, mais bien le travail de construction sociale des différences sexuées sur le corps. L’auteure procède de cette façon à la dénaturalisation de la catégorie femme et permet de rendre visible le caractère opprimant de l’hétérosexualité.

Dans la lignée de Guillaumin, Wittig (1980) voit dans l’hétérosexualité le contrat social qui organise les rapports sociaux de sexe. Ce contrat constitue une forme d’esclavage conforme à la théorie du sexage de Guillaumin (1978). L’hétérosexualité ainsi définie se présente comme un système qui permet de maintenir la domination des hommes sur les femmes. Wittig souligne l’objectification sexuelle constante des femmes au bénéfice des hommes dans le système hétérosexuel :

Où qu’elles soient et quoi qu’elles fassent (y compris lorsqu’elles travaillent dans le secteur public), elles sont vues (et rendues) sexuellement disponibles pour les hommes et elles, seins, fesses, vêtements, doivent être visibles. Elles doivent arborer leur étoile jaune, leur éternel sourire jour et nuit. (Wittig, 1980 : 48)

Pour Wittig, les catégories de sexe ont pour effet de naturaliser la relation sociale hétérosexuelle et, par conséquent, d’occulter que les femmes sont « contraintes » à l’hétérosexualité (Wittig, 1980). Ces trois thèses ne conçoivent donc pas l’hétérosexualité comme une simple pratique sexuelle ayant cours à l’intérieur du système patriarcal, mais plutôt comme une logique d’organisation sociale qui a pour finalité d’assurer l’exploitation des femmes par la catégorie des hommes. Ces thèses autorisent une vision critique et radicale du rapport entre sexualité et catégories de sexe/genre.

L’existence lesbienne

Dans les études lesbiennes, la dyade fem/butch occupe une place centrale au sein des réflexions et des prises de position autour de la question de l'identité sexuelle et notamment de sa visibilité/invisibilité (Wilton, 1995). Il nous semble que ces écrits alimentent à la fois une réflexion politique autour du lesbianisme, et une réflexion autour des pratiques de visibilité/invisibilité des lesbiennes. Plus fondamentalement, ces réflexions rendent visible la définition hégémonique de la féminité comme implicitement hétérosexuelle. En effet, l'identité femme est interprétée socialement comme correspondant à l’orientation vers une sexualité exclusivement hétérosexuelle. Dans l’ordre social symbolique dominant des sexes et des sexualités, l’identité (hétéro)sexuelle est subsumée par l’identité de sexe/genre. Apparaît ici un dilemme central dans les études lesbiennes, à savoir l'identité lesbienne équivaut-elle à renoncer à une identité femme ? Guillaumin rappelle en effet que le corps est construit matériellement et symboliquement de manière à établir la différenciation entre les sexes, à partir du moment même où l'on connaît le sexe de l'enfant à naître. Cette construction se traduit par des interventions, physiques et mentales sur le corps, qui ont pour fonction de modeler non seulement les corps sexués, mais également les consciences sexuées :

[...] la conscience propre d'un individu, celle de ses possibilités personnelles, de sa perception du monde, bref la conscience de sa propre vie, est déterminée par, et dépendante de, ces interventions physiques et mentales que pratique sa société. (Guillaumin, 1992 : 119)

Cette dimension de modelage des consciences individuelles peut permettre d’examiner les déterminants sociaux de la construction identitaire des adolescentes lesbiennes. Être lesbienne peut être compris socialement dans un sens restrictif, soit une femme qui ne respecte pas la modalité principale assignée à la catégorie femme, c’est-à-dire l’hétérosexualité obligatoire. Nous faisons l’hypothèse que l’identification des lesbiennes adolescentes en tant que femmes peut se trouver compromise, dans le sens où celles-ci ont une représentation d’elles-mêmes en tant que femme mise en doute par leurs attirances sexuelles. Nous vérifierons si cela peut constituer un obstacle pour les filles et les jeunes femmes lorsqu’elles font face à la réalité de leurs désirs homosexuels.

L’approche de la socialisation différentielle des sexes permet de révéler la production des attitudes et des comportements différenciés selon les sexes, qui concourent à reproduire la position privilégiée des hommes vis-à-vis de celle des femmes (Bouchard et St Amand, 1996). À notre connaissance, cette approche n’a pas été mise à contribution pour étudier une population de jeunes filles lesbiennes, au regard des amours et de la sexualité. Nous y voyons cependant un intérêt majeur, dans la mesure où les théories de la socialisation, en général, permettent d’articuler les normes et les pratiques normatives (soit le social, ou l’Autre), et la représentation de soi des individus socialisés, c’est-à-dire leur identité, ainsi que les pratiques qu’elles et ils utilisent pour affirmer leur identité en interaction avec autrui. Le concept d’identité, dans sa définition interactionniste (Chetcuti, 2008; Déroff, 2007), ne suppose pas, comme dans les définitions psychologiques, d’identité « naturelle » ou « essentielle » et n’exclut pas la puissance des déterminismes sociaux, mais reconnaît aux individus une latitude face à ces déterminismes, offrant dans ces conditions la possibilité d’identifier les pratiques identitaires s’inscrivant en résistance ou au contraire en soumission face aux normes sociales dominantes. De notre point de vue, l’approche interactionniste de l’identité présente l’avantage d’autoriser une lecture dialectique des discours des jeunes lesbiennes, à partir du réseau des contraintes normatives et des pratiques identitaires qu’elles ont mises en œuvre.

L'appartenance à la catégorie de sexe/genre femme renvoie les femmes aux rôles sociaux qui leur sont assignés en tant que telles et l’accès à ces modèles culturels ne présente pas de difficulté pour les hétérosexuelles. Cependant, ces modèles sont loin de constituer des ressources du point de vue de leurs besoins sexuels mais participent au contraire à la construction d’une sexualité féminine qui n’est rien d’autre que le miroir de la sexualité masculine, c’est-à-dire une sexualité féminine centrée sur les besoins et les intérêts des garçons et des hommes (Tolman, 2006; Ussher, 2005; Holland et al., 2002). Les lesbiennes ne disposent pas davantage de modèles culturels positifs aisément accessibles, qu'il s'agisse de modèles identitaires ou de rôles sociaux prédéterminés.

Si pour les filles hétérosexuelles, la définition de leurs désirs et de leurs besoins est de fait le produit d’un discours masculin qui accorde la priorité aux besoins des hommes et des garçons, il nous semble qu’il ne saurait en être de même pour les lesbiennes. Se trouvant de facto exclus de la sexualité lesbienne, les garçons et les hommes peuvent difficilement prendre une part quelconque dans la définition des désirs et des besoins des jeunes lesbiennes. Or, les représentations sociales et culturelles dominantes du lesbianisme n’échappent pas à l’emprise de la sexualité hétéronormative, représentations qui le plus souvent « privent la relation féminine de sa dimension physique. Où on l’édulcore, en l'assimilant à de simples jeux érotiques. Ainsi l'amour entre femmes est-il plus souvent représenté comme une complicité affectueuse que comme une relation torride » (Arc, 2010 : 21).

Ce que « l’existence lesbienne » nous apprend sur l’hétérosexualité

- L’hétérosexualisation des relations lesbiennes dans les médias

Certaines auteures constatent que depuis une vingtaine d’années les médias présentent de plus en plus de femmes lesbiennes, ou mettent en scène des relations amoureuses ou sexuelles entre des femmes (Thompson, 2007; Diamond; 2005; Nadeau, 1997). Thompson (2007) voit dans ces représentations une visibilité offerte à la bisexualité et le moyen de favoriser une plus grande flexibilité des identités sexuelles. Pour sa part, Diamond affirme que les représentations de relations amoureuses ou sexuelles entre des femmes dans les médias américains correspondent en fait pour la plupart à ce que Essig (2000) nomme l’hétéroflexibilité :

Consistent with this view, a close reading of contemporary media depictions reveals that they (1) package heteroflexibility in a manner designed to specifically attract and titillate young male viewers; (2) reify outmoded, dichotomous models of sexuality by presenting same-sex experimentation as a means of confirming one’s essential heterosexuality; and (3) obscure the sociopolitical context of ‘compulsory heterosexuality’ (Rich, 1980) by portraying heterosexual identification as a trivial matter of free choice and personal preference. (Diamond, 2005 : 105)

En effet, Diamond montre que les personnages féminins mis en scène dans les films et les séries télévisées sont des hétérosexuelles qui ont, à une occasion ou à un moment de leur vie, des relations femme-femme. Invariablement, les personnages font le choix de revenir à des relations amoureuses hétérosexuelles, tout en revendiquant qu’elles auraient pu poursuivre leur relation amoureuse avec une femme. L’hétéroflexibilité amène ainsi l’idée que l’hétérosexualité est un choix, libre de contraintes, et implicitement que l’homosexualité serait également un choix. De plus, Diamond (2005) souligne que les femmes représentées sont généralement jeunes et affichent une apparence et des comportements en accord avec les standards actuels de la féminité. Ces représentations offrent par conséquent une image des lesbiennes acceptable du point de vue hétérosexiste, car il s’agit de femmes belles et sexuellement provocantes. Selon Nadeau (1997), ces représentations correspondent à la tendance « lesbian chic », expression inventée par les médias pour « qualifier les représentations de plus en plus sexy des lesbiennes dans la culture populaire » (Nadeau, 1997 : 113).

On pourrait être tenté d’y voir un effet positif, dans la mesure où ces images contrecarrent l’archétype lesbophobe de la lesbienne, comme non séduisante car masculine (en réalité ne respectant pas les codes de séduction assignés aux femmes) et agressive ou hostile (en réalité exprimant de l’assurance et de la force de caractère). On nous invite donc à rejeter une représentation de femmes n’ayant pas souscrit aux assignations du genre féminin, au bénéfice de celles qui y ont cédé. L’analyse proposée par Diamond (2005) montre que l’hétéroflexibilité est un moyen de présenter un lesbianisme conforme au fantasme masculin des lesbiennes érotisées. Diamond considère ainsi que les représentations médiatiques de femmes lesbiennes sont en réalité des représentations de femmes « hétéroflexibles ». Ce concept permet ainsi de lever l’ambiguïté qui préside aux représentations des relations amoureuses ou sexuelles entre femmes dans les médias, car ces représentations dépolitisent ainsi la sexualité lesbienne et contribuent à obscurcir la contrainte à l’hétérosexualité qui structure la société. Conséquemment, ces représentations participent au renforcement d’une représentation de la sexualité centrée autour du désir masculin, représentation dominante chez les femmes, et les adolescentes en particulier.

-La sexualité des adolescentes dans une perspective lesbienne critique

Plusieurs auteures féministes ont intégré la critique lesbienne et s’intéressent à la sexualité des adolescentes à partir d’une vision critique de l’hétérosexualité normative, qui interroge le rôle idéologique de catégories normatives telles que l’amour et la sexualité.

Soulignons, en premier lieu, qu’il y a paradoxe de taille entre les affirmations autour du développement de la sexualité qui constituerait, selon les experts mais également dans le sens commun, une partie majeure des tâches développementales propres à permettre l’épanouissement des individus, et le traitement scientifique et médiatique de la sexualité des adolescentes. Pratiques à risque de contraction des ITS, de grossesse adolescente, d’être abusée (« drogue de l’amour » [sic]), etc., c’est souvent par ces voies qu’est abordée la sexualité des jeunes filles (Boucher, 2003). L’effacement du désir et du plaisir sexuel est un constat auquel sont parvenues les chercheures qui ont analysé les études sur la sexualité des filles (Fine 1988, 2005; Tolman, 2006). Quelques-unes ont tenté de réintégrer ces questions dans leurs perspectives d’analyse, parfois non sans devoir surmonter des résistances de la part des institutions (voir Tolman, 2006).

Les dimensions abordées par ces auteures incluent, par exemple, l’examen des modalités d’amitiés féminines et leur potentiel en tant qu’espaces d’expérimentation sexuelle (Diamond 2005, 2002, 2000), les expériences amoureuses et sexuelles de jeunes lesbiennes (Logan et Buchanan, 2008; Ussher, 2005), et l’hétéronormativité des représentations sociales de la sexualité des jeunes filles (Tolman, 2006; 1994). Si peu nombreuses que soient ces chercheures, leurs travaux renouvellent considérablement l’étude des sexualités adolescentes féminines et apportent un éclairage qui, tout en dénonçant les limites culturelles et sociales à la sexualité des filles, propose des avenues théoriques et politiques pour dépasser ces limites.

L’une des principales contributions de ces recherches est de démontrer que l’idéologie de la romance hétérosexuelle contribue à occulter que la sexualité hétérosexuelle est centrée sur les intérêts et les besoins exclusifs des hommes. Holland et al. (2002) ont conduit une enquête destinée à mettre en évidence l’existence de deux images de la sexualité adolescente, centrée soit sur les hommes, soit sur les femmes. Leurs résultats ont montré que la représentation de la sexualité centrée sur les hommes est pour ainsi dire la seule, comme le rapporte Löwy :

Le discours dominant, en mettant l’accent sur l’équivalence présumée des principes masculin et féminin et sur leur complémentarité, masque efficacement le fait que l’hétérosexualité n’est pas le résultat d’une interaction négociée entre deux perceptions symétriques de la sexualité, l’une masculine et l’autre féminine; elle résulte d’une rencontre entre la vision masculine de la sexualité et son image miroir, l’« homme dans la tête d’une femme ». (Löwy, 2006 : 85)

Les analyses des entrevues que Tolman (2006, 1994) a conduites auprès d’adolescentes âgées en moyenne de 16 ans et demi, dont certaines s’identifiant comme homosexuelles ou bisexuelles, montrent que les filles ne peuvent nommer leur sexualité, car elles ne disposent pas d’un vocabulaire propre à leur permettre d’exprimer leurs besoins et leurs désirs. On constate ainsi que ce que Holland et al. nomment « un mâle dans la tête » (2002), c’est l’inexistence d’une représentation sociale d’une sexualité féminine qui serait pensée à partir des filles et pour elles.

Par-dessus tout, Tolman montre que les stratégies de silence autour du désir sexuel des jeunes femmes et le dénigrement social de leur désir sexuel (au moyen de la réputation sexuelle et de l’étiquetage « fille facile ») tendent à les détourner de réaliser leurs possibilités d’empowerment[4] à travers ce désir, et ce, quelle que soit leur orientation sexuelle. L’adolescence constitue donc un moment critique qui occasionne une perte de confiance en ses capacités à décider et à agir (disempowerment) pour de nombreuses jeunes filles. La perte d’estime de soi des filles à l’adolescence a été constatée en Europe (Löwy, 2006; Lees, 1993) comme en Amérique du Nord (Tolman, 2006; Berman et Jiwani, 2002). L’objectification sexuelle des filles a des impacts négatifs sur leur perception d’elles-mêmes et constitue pour certaines auteures une forme de harcèlement sexuel à la fois banalisé et naturalisé (Berman et Jiwani, 2002), contre lequel les filles ont peu de réparties possibles (Löwy, 2006; Lees, 1993).

Le désir sexuel, la connaissance de son propre corps et de ses besoins pour les filles adolescentes sont des objets de recherche récents (Logan et Buchanan, 2008; Tolman, 2006), et à notre connaissance ces dimensions ont été peu examinées chez les jeunes lesbiennes.

Research on young women’s lives often overlooks the possibility of same-sex female desire, and also lesbian (or bisexual) existence, thereby assuming that young women are always already heterosexual by default. (Griffin, 2000 : 233)

Pourtant, dans l’étude de Holland et al. (2002), les quelques participantes démontrant une vision de leur sexualité centrée autour de leurs propres besoins et désirs sont celles qui ont eu des relations lesbiennes, ou du moins ont eu accès à la culture lesbienne. Selon Löwy, la culture lesbienne :

[…] est capable de fournir un cadre conceptuel dans lequel les jeunes filles – y compris celles qui choisissent par la suite l’hétérosexualité exclusive – ont la possibilité de devenir conscientes de leur corps et de leurs désirs. (Löwy, 2006 : 82)

Les travaux menés par Tolman depuis le début des années 1990 inscrivent l’examen de la sexualité des filles hétérosexuelles, l’expression et la possibilité d’expression du désir et des besoins par ces adolescentes, dans la perspective de la contrainte à l’hétérosexualité (Tolman 2006; 2005; 2002; 1994). Ses travaux constituent pour cette raison une ressource précieuse pour atteindre les objectifs de notre thèse, de par leur qualité, sur le plan factuel, mais également théorique et méthodologique, leur originalité au sein des études sur la sexualité adolescente, et la diversité des dimensions abordées :

In my own work and that of other feminists whose research questions and methods have been premised on a positive perspective on female adolescent sexuality […] short of an epidemiological study, we have found collectively that for most girls, sexuality is most often not positive and is always complicated by the negative meanings (and quite often real material and social consequences) of their sexuality. This outcome of the desire to know the positive posits ironic limits to the question itself : it may not be there to be found. Research to date suggests that the gendered constructions of sexuality are at the heart of this no-finding finding. (Tolman, 2006 : 73)

Ces études interrogent les représentations sociales de la sexualité chez les jeunes filles, et leur implication dans diverses pratiques sexuelles est examinée en lien avec la satisfaction sexuelle et affective. Elles offrent dans ces conditions une compréhension plus exacte des expériences des jeunes filles, la prise en compte des logiques de domination sociale que sont le sexisme et l’hétérosexisme permettant de questionner les ambivalences et la confusion manifestée par les adolescentes et d’en mesurer les effets (Tolman, 2006; 1994). Notre recherche contribuera au développement des connaissances sur la sexualité des filles à l’adolescence dans la perspective critique proposée par les auteures présentées ici.

Les trajectoires des jeunes lesbiennes sont très peu documentées, quelques études seulement ont été identifiées, dont deux qualitatives (Ussher et Mooney Somers, 2000; Logan et Buchanan, 2008) qui ont été conduites auprès d’un nombre restreint de jeunes lesbiennes (respectivement 8 et 7 répondantes). L’étude de Ussher et Mooney Somers (2000) porte sur l’interprétation subjective des premières expériences de désir sexuel auprès de jeunes militantes lesbiennes. L’étude conduite par Logan et Buchanan (2008) examine, à partir d’une approche narrative, le sens que donnent les jeunes lesbiennes à leurs expériences sexuelles et amoureuses. Ces deux études sont à notre connaissance les seules études de type qualitatif qui abordent les trajectoires des jeunes lesbiennes sur le plan de la sexualité notamment.

Les études qualitatives, mais également quantitatives, portant expressément sur les trajectoires des jeunes lesbiennes mettent en évidence deux spécificités importantes qui ont partie liée : l’invisibilité des jeunes filles en tant que lesbiennes, c’est-à-dire l’invisibilité de leurs désirs sexuels, de leurs intérêts romantiques, et les possibilités effectives réduites de romance amoureuse et d’exploration sexuelle. Le rejet parental expérimenté par certaines répondantes est rapporté dans deux études, sans toutefois ressortir en tant que facteur central dans leur développement sexuel et amoureux (Buchanan et Logan, 2008; Ussher et Mooney-Somer, 2000).

For many females, adolescence is a time to develop friendships, share intimate, loving, and sexual feelings, and partake in « girl talk ». For most, involvement in these things can help to resolve identity confusion and solidify who they are as a unique sexual being […]. However, being an « out » lesbian adolescent may drastically change the experiences of dating, intimate friendships, and « girl talk » and may even lead to cognitive, emotional, and social isolation and peer exclusion. (Bedard, 2010 : 18)

Bien que l’âge auquel les filles font leur premier coming-out varie selon les études, on observe un consensus autour du fait que la première divulgation de leur orientation sexuelle est plus tardive que celle des garçons, qu’elles rapportent une prise de conscience de leurs attirances sexuelles et une auto-identification également plus tardive. Ainsi, D’Augelli (2002) a établi d’après les données obtenues auprès de 542 gais, lesbiennes et bisexuel-les (38 % de filles) que l’écart en années entre la prise de conscience et l’auto-identification en tant qu’homosexuel-le est plus court pour les filles que les garçons, la première étape étant plus tardive pour les premières (11 ans, mais à peine 10 pour les garçons). Une étude auprès de plus de 200 lesbiennes et bisexuelles âgées de 14 à 21 ans indique que la plupart ont divulgué leur orientation sexuelle pour la première fois près de cinq ans après en avoir pris conscience. Plus des deux tiers l’ont divulguée entre 15 et 18 ans, 17 % l’ont divulguée passé 19 ans. Une minorité (14 %) a dévoilé son orientation sexuelle avant 15 ans (D’Augelli, 2003).

Bien que cette invisibilité participe sans nul doute à complexifier le développement sexuel de ces jeunes filles, notamment en limitant fortement leurs possibilités de trouver une partenaire amoureuse et sexuelle, cet aspect n’a pas retenu l’attention des chercheurs. Au contraire, les études se sont plutôt attachées à offrir une lecture positive de l’invisibilité des lesbiennes qui découlerait de la divulgation plus tardive de leur orientation sexuelle, laquelle leur permettrait d’échapper à la discrimination homophobe en milieu scolaire, contrairement aux garçons homosexuels. Aussi certains auteurs n’hésitent pas à interpréter le silence des filles sur leur orientation sexuelle comme un facteur protecteur relativement à certains comportements à risque :

It has been documented that men come out to self and others at an earlier age than do women [...] This gender difference may increase the risk for suicide in gay male adolescents as they are more likely to feel isolated at an earlier age than their lesbian counterparts (Morrison et L’Heureux, 2001 : 42).

Or la divulgation tardive des lesbiennes signale leur invisibilité, sinon leur intention de ne pas se rendre délibérément visibles, c’est-à-dire qu’il peut s’agir d’une stratégie visant à répondre aux pressions à se conformer à la féminité normative, le sexisme persistant de façon importante en milieu scolaire, et à échapper à la stigmatisation de la part de leurs pairs (Logan et Buchanan, 2008). Le sentiment d’être isolé-e peut découler du rejet effectif par les pairs qui accompagne la visibilité, mais également de l’impossibilité où se trouvent les jeunes homosexuelles de vivre des expériences amoureuses et sexuelles à l’instar de leurs pairs, en raison de leur invisibilité. Il est curieux de faire l’hypothèse que l’invisibilité en tant qu’homosexuelle ne conduit pas également au sentiment d’isolement et aux idéations suicidaires comme le font les auteurs Morrison et L’heureux (2001), alors que cela a été démontré notamment par Mooney-Somers et Ussher (2000).

L’étude de Logan et Buchanan (2008) apporte également un démenti significatif à cette hypothèse. Toutes les participantes qu’elles ont interrogées rapportent avoir pris des décisions de manière à cacher leur orientation sexuelle à leurs pairs dans le but d'éviter la stigmatisation et le rejet. Résultant de cette stratégie de silence, les répondantes rapportent des sentiments de frustration, de solitude, d'isolement, de dépression, d'idéations suicidaires, et enfin de confusion. Pour ces auteures, il ressort des entrevues que le poids psychologique du silence se traduit par des conséquences négatives sur la sexualité et sur le bien-être général des jeunes lesbiennes (Logan et Buchanan, 2008).

Logan et Buchanan (2008) ont dégagé cinq thèmes principaux des propos de leurs répondantes : les impacts de l’environnement sexiste et hétérosexiste sur les adolescentes; la répression et le déni des désirs homosexuels à l’adolescence; le désir sexuel insatisfait; le secret et le fait de taire à soi-même (self-silencing) ses désirs et ses besoins; enfin parvenir à l’acceptation de soi. Pour leur part, Ussher et Mooney-Somers (2000) ont identifié quatre thèmes. Le premier concerne le désir sexuel, et rend compte de la difficulté, plus ou moins grande, à catégoriser comme sexuelles les premières expériences de désir envers une femme. Le second thème examine les discours des répondantes sur le désir qui semble conduire à une prise de conscience spontanée de leur orientation sexuelle et à l’auto-identification en tant que lesbienne, ou au contraire, à la répression de ce désir et au refus de se considérer lesbienne. Le troisième thème rend compte des représentations négatives de la sexualité lesbienne, et des expériences négatives subies par les répondantes à cet égard (en termes de discriminations, mais également de représentation de soi et de ses désirs). Enfin le quatrième thème porte sur les principales stratégies adoptées par les répondantes en réponse aux expériences négatives rapportées dans le thème précédent.

Ces résultats inspirent le guide d’entretien élaboré dans le cadre de notre recherche doctorale. Une démarche qualitative offre la possibilité aux répondantes de raconter leur propre histoire, tout en assurant que les enjeux reliés au contexte social et culturel soient informés au cours des entrevues. Nous souhaitons en particulier découvrir les diverses stratégies identitaires adoptées par les adolescentes lesbiennes pour faire face à un contexte social sexiste et hétérosexiste, ainsi que les ressources qu’elles mobilisent en ce qui concerne leur développement sexuel et affectif. Comment les jeunes lesbiennes parviennent-elles à reconnaitre leurs désirs sexuels, comment les vivent-elles ? Quelles sont les expériences qui ont contribué à ce qu’elles se reconnaissent en tant qu’homosexuelles, dans un environnement hostile à ce qu’elles construisent une représentation d’elles-mêmes positive ? Les concepts de résistance et d’agentivité (ou puissance d’agir) peuvent contribuer à rendre compte des possibilités d’action et de réalisation de leurs désirs amoureux et sexuels. L’existence lesbienne est en effet la preuve que la contrainte à l’hétérosexualité connaît (heureusement) des ratés. En ce sens, elle est porteuse d’un potentiel d’émancipation pour l’ensemble des femmes.

- Trajectoires sexuelles et amoureuses des lesbiennes : résistance, agentivité et empowerment

Bien que l’hétérosexisme et le sexisme imprègnent le milieu scolaire et les représentations médiatiques du lesbianisme, il n’en demeure pas moins que les jeunes lesbiennes ne sont pas totalement démunies face à ces logiques de domination. Elles peuvent non seulement y résister, mais également faire preuve d’agentivité (au sens de puissance d’agir[5], voir Butler, 1990) et trouver des espaces d’empowerment, au sens de développement de la puissance d’agir. Si nous sommes en accord avec Harstock ([1983] 2004) lorsqu’elle soutient qu’un positionnement féministe implique de conduire une analyse critique du vécu des femmes, nous souhaitons cependant rendre compte de la créativité et des ressources que les jeunes femmes développent. Notre démarche de recherche s’inscrit en effet dans une perspective théorique critique de l’hétérosexualité, à partir de l’expérience des jeunes lesbiennes, perspective qui présente le risque d’instrumentaliser le vécu des lesbiennes, dans le sens où leurs difficultés, leurs stratégies et les modes de résistance qu’elles adoptent peuvent n’être envisagés qu’en réaction aux contraintes hétéronormatives :

Pour développer une pratique et une identité distinctive, il ne suffit pas que les lesbiennes échappent au contrôle. Elles doivent pouvoir se doter d'espaces sociaux propres qui leur permettent de vivre en dehors de l'appropriation privée du mariage, de développer une pratique sexuelle autonome et de socialiser cette pratique, de se penser autrement que comme femme, d'élaborer une conscience et une identité, personnelles et collectives, distinctes. Ces espaces, habituellement désignés sous le terme de sous-culture, peuvent prendre la forme de réseaux interpersonnels, de lieux publics et privés de sociabilisation, d'espaces mentaux et imaginaires, de regroupements. Dans quelles conditions et comment de tels espaces peuvent-ils être construits ? (Chamberland, 1989 : 141)

Les théories féministes matérialistes, dont les théories de l’hétérosexualité que nous avons retenues peuvent se revendiquer, permettent de saisir de façon rigoureuse les déterminismes sociaux sur le plan des structures sociales. Cependant, elles n’offrent pas toujours la possibilité de les saisir avec toutes les nuances nécessaires sur le plan individuel. Les trajectoires individuelles des jeunes lesbiennes doivent selon nous être appréhendées simultanément des points de vue structurel et individuel, ce qu’autorise la théorie de la socialisation différentielle des sexes dans la perspective de la contrainte à l’hétérosexualité, dans la mesure où cette approche offre un espace aux pratiques identitaires. Nous voyons en effet un intérêt majeur à cette approche, qui met en œuvre à la fois les normes et les pratiques normatives (soit le social, ou le rapport à l’autre), et la représentation de soi des individus socialisés, c’est-à-dire leur identité ainsi que les pratiques qu’elles et ils utilisent pour affirmer leur identité en interaction avec autrui et les normes sociales :

Toute théorisation du lesbianisme renvoie à un sujet lesbien qui est à la fois libre et contraint, qui agit en ne se conformant pas aux normes, en échappant aux contrôles, mais dont la pratique même est délimitée et déterminée par ce refus de certaines des contraintes s'appliquant à l'ensemble des femmes. Comment les lesbiennes déjouent-elles individuellement ces contrôles ? Quel est leur rapport particulier aux institutions patriarcales qui exercent ce contrôle ? Quels sont leurs stratégies et les points d'appui de ces stratégies ? Quels sont les effets de répression subis en retour ? (Chamberland, 1989 : 141)

Les concepts de résistance, d’agentivité et d’empowerment pourraient être utiles pour établir des distinctions entre les diverses pratiques et stratégies identitaires qui nous seront rapportées par les jeunes lesbiennes. Un de nos objectifs de recherche secondaire est de contribuer au développement théorique de ces trois concepts, à partir des propos des jeunes lesbiennes elles-mêmes. À cette étape, nous avons examiné les écrits qui, sans toujours recourir à l’une ou l’autre de ces notions de façon explicite, s’intéressent aux stratégies adoptées par les jeunes lesbiennes pour faire face au sexisme et à l’hétérosexisme quotidiens. Des chercheures ont ainsi tenté d’identifier les espaces symboliques et matériels susceptibles de permettre aux jeunes filles d’échapper, partiellement ou momentanément, aux injonctions hétérosexistes, et ont parfois examiné leur rôle dans le développement identitaire et sexuel des jeunes lesbiennes.

Ainsi, les équipes sportives féminines étant soupçonnées d'être composées de lesbiennes, les jeunes filles et femmes peuvent les considérer comme de rares lieux où elles pourront rencontrer d’autres lesbiennes (Fusco, 1998). Paradoxalement, la stigmatisation qui marque les filles et les femmes impliquées dans certains sports comme « lesbiennes » peut donc permettre aux adolescentes d’identifier ces milieux en tant que lieux possibles de construction d’une identité sexuelle autre qu’hétérosexuelle. Autre bénéfice secondaire non négligeable, la pratique sportive permet à ces filles et femmes de développer des qualités physiques telles que la force et la puissance qui peuvent constituer des sources d’agentivité et d’empowerment leur permettant de s’émanciper des exigences normatives imposées aux femmes.

Sur le plan sexuel, si les jeunes lesbiennes sont souvent dans l'impossibilité d'exprimer leur désir sexuel directement dans le cadre de rencontres ou de relations sexuelles avec d'autres filles, elles peuvent cependant trouver d'autres façons d’explorer leur sexualité, notamment au cours de jeux « sensuels entre filles » (Logan et Buchanan, 2008). La culture lesbienne figure également parmi les espaces de référence évoqués par certaines participantes de l’étude de Logan et Buchanan (2008) pour explorer leur sexualité. Quelques travaux examinent le rapport que les jeunes lesbiennes entretiennent avec la culture populaire, et les produits culturels grand public qui offrent une visibilité aux lesbiennes.

La série télévisée L-Word a offert une visibilité lesbienne inédite au cours des dernières années. La présence et le dynamisme des références aux personnages de cette série dans les médias alternatifs sur Internet attestent de ce succès, comme les sites qui leur sont consacrés ou encore les nombreuses discussions que les personnages suscitent dans les forums lesbiens. Plusieurs discussions académiques ont porté sur l'authenticité de l'émission télévisée, se demandant  si l’on doit considérer qu'elle représente de façon réaliste les vies des femmes lesbiennes (Aslinger, 2009), si cette visibilité évite les clichés négatifs à l’endroit du lesbianisme et si elle constitue une représentation positive des lesbiennes (voir Wolfe et Roripaugh, 2006; Akas et McCabe, 2006).

Pour plusieurs auteures, la consommation de culture populaire peut se révéler un lieu à la fois de résistance et d’agentivité. Par exemple, Driver (2007) et Isaksson (2009) montrent comment certaines jeunes lesbiennes s'enthousiasment autour de la série « Buffy et les vampires », notamment autour de la relation amoureuse entre les personnages féminins Willow et Tara, élaborant des fan fictions plus conformes à leurs souhaits (Isaksson, 2009). Les jeunes lesbiennes expriment leurs besoins et leurs désirs de manière explicite, alors que les scénarios de romance hétérosexuelle euphémisent fréquemment la sexualité. La sexualité n'est pas reléguée en seconde place derrière l'amour, mais occupe une place au moins équivalente à celui-ci pour les jeunes lesbiennes (Driver, 2007). Internet offre ainsi aux adolescentes un espace inédit qui permet aux jeunes filles d'expérimenter des identités de sexe/genre et des identités sexuelles variées, de se libérer momentanément des contraintes sociales et d'expérimenter librement ces identités (Driver 2007; Isaksson, 2009). À cet égard, Internet apparaît également comme un espace de résistance, d’agentivité et potentiellement d’empowerment individuel et collectif.

[…] young women who identify as lesbian necessarily negotiate sexual subjectivity and desire in a cultural context where fears and fantasies associated with the lesbian ‘other’ are rife, and where on an everyday level they can be subjected to rejection, threat and abuse. Lesbian sexuality is invariably invisible, or staged for titillation – the Madonna/Britney kiss at the 2003 MTV awards being one recent example. But it isn’t a totally bleak picture. Young lesbians’ experience of desire can sometimes be positive and powerful, freed from the constraints of the heterosexual matrix. (Ussher, 2005 : 27)

Conclusion

Depuis les travaux de Khayatt (1997), et en dépit de ses conclusions, le champ des études sur les jeunes filles lesbiennes n’a pas été investi par les chercheures. Elle montrait pourtant qu’échouer à performer correctement la féminité normative dans le milieu scolaire est sanctionné au moyen des insultes verbales, en particulier de l’étiquetage « lesbienne » et de l’ostracisation de celles qui résistent Khayatt, 1997). Dans la lignée des travaux de Khayatt, notre recherche doctorale est centrée sur les trajectoires individuelles des lesbiennes par rapport au développement de leur sexualité et de leurs intérêts amoureux à l’adolescence. La pertinence sociale et sociologique de cette recherche repose principalement sur trois points.

En premier lieu, les études lesbiennes en général et les études sociologiques qualitatives sur les lesbiennes plus particulièrement, a fortiori les adolescentes lesbiennes, sont peu nombreuses. En second lieu, notre démarche s’inscrit dans le champ des études sur les sexualités, dans une perspective féministe critique de l’hétérosexualité. L’étude de la sexualité des adolescentes est rarement conduite dans une telle perspective, qui, comme nous l’avons montré, se révèle pourtant très productive. En troisième lieu, le contexte social dans lequel les jeunes lesbiennes doivent mener à bien l’exploration de leur sexualité et de leurs intérêts amoureux se révèle hostile à ce qu’elles y parviennent. Les exigences normatives de la féminité, et spécifiquement l’hétérosexualité normative, constituent des obstacles au développement sexuel et affectif des adolescentes lesbiennes et ont des impacts négatifs sur leur santé physique et mentale. Ces constats n’ont cependant pas conduit au développement significatif de recherches sur le développement sexuel et affectif des lesbiennes à l’adolescence.

Nous mènerons des entretiens semi-directifs auprès de jeunes femmes qui ont achevé ce développement, âgées dans la jeune vingtaine. Étant donné l’originalité sociologique de cette recherche, nous avons opté pour l’approche qualitative de la théorisation ancrée (Paillé, 1994) qui « consiste à construire inductivement une interprétation, empiriquement fondée, d'un fait social peu étudié » (Quéniart et Jacques, 2001 : 46). Il est en effet possible, et même fort probable, que nous ayons sous-estimé ou au contraire sur-estimé certaines expériences, en nous basant sur les recherches disponibles. L’analyse par théorisation ancrée nous offre l’opportunité de réorienter les questions, si besoin est, de découvrir ou d’approfondir des aspects importants de l’expérience des jeunes lesbiennes, comme par exemple l’appartenance à une communauté ethno-culturelle ou à une classe sociale spécifique. L’analyse par théorisation ancrée implique d’offrir beaucoup de liberté aux répondantes quant à la manière dont elles veulent aborder leur sexualité et leurs intérêts amoureux, et beaucoup de latitude également à la chercheure quant au rythme de l’entretien, à l’opportunité ou pas de creuser certains aspects spécifiques.

Nous avons bâti une perspective théorique propre à établir la valeur herméneutique de points de vue sur la sexualité normative et la construction sociale de l’identité féminine ancrés dans l’expérience de jeunes lesbiennes. Notre recherche doctorale permettra de rendre compte, à partir du discours de jeunes femmes lesbiennes, des façons dont elles ont négocié le développement de leur sexualité et de leurs intérêts amoureux à l’adolescence, et de quelle manière leur environnement social et culturel a facilité ou complexifié leur cheminement. Sur le plan théorique, nous souhaitons contribuer au développement des concepts de résistance, d’agentivité et d’empowerment, afin de renouveller les théories critiques de l’hétérosexualité et de rendre compte des possibilités et des stratégies individuelles et collectives de transformation sociale des rapports sociaux et des logiques de domination.  

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Notes

[1] Cet article est inspiré du projet de thèse de Christelle Lebreton, dirigé par Anne Quéniart et Line Chamberland.

[2] Au même titre que Lefebvre (1968) utilise le concept de quotidienneté comme un analyseur social, comme fil conducteur, pour expliquer la société.

[3] Plusieurs auteures ont en effet contribué à alimenter les critiques de l’hétérosexualité, comme Butler (1990), De Lauretis (1990, 1987), Sedgwick (1990) et Rubin ([1975], 1998).

[4] La traduction de ce concept en français pose des difficultés, aussi nous lui préférons le terme original.

[5] Vidal (2006) propose cette traduction du concept d’agency, tel qu’utilisé par Butler (1990).

Note biographique

Line Chamberland est professeure au département de sexologie à l’UQAM et mène des recherches sur les différentes formes d’exclusion sociale des minorités sexuelles et, plus particulièrement, des lesbiennes. Elle s’intéresse notamment aux discriminations en milieu scolaire et en milieu de travail, ainsi que dans l’accès aux services sociaux et de santé.

Christelle Lebreton est doctorante au département de sociologie à l’UQAM. Ses recherches portent sur les liens entre socialisation et formation de l’identité sexuelle et de l’identité de sexe-genre chez les jeunes lesbiennes québécoises. Elle s’intéresse notamment aux stratégies identitaires mises en œuvre dans le contexte des discriminations sexistes et hétérosexistes.

labrys, études féministes/ estudos feministas
janvier /juin 2011 -jameiro /junho 2011