labrys, études féministes

numéro 1-2, juillet/décembre 2002

On scie les vieilles femmes (*)(**)

Suely Gomes Costa

traduction: Françoise Dominique Valéry

révision : Marie-France Dépêche

Résumé

De quelle façon, les tensions et les conflits entre les générations ont-ils eu des répercutions sur le processus de changement, dans les rapports sociaux de genre? On en sait encore très peu, au sujet de leurs effets éventuellement stimulants, sur la transformation des comportements masculins et féminins à chaque époque. Il existe pourtant de nombreuse pistes, qui n´attendent qu´une chose : qu´on se penche sur elles (Costa, 1996). Et c´est ce que ce texte prétend faire.

Mots-clefs:

générations, rapports sociaux de genre, vieilles femmes

 

Au XIXe siècle, aux alentours des années 20, le Père Lopes Gama, trouvait que la conduite des nouvelles générations au Brésil, était devenue étrange et méconnaissable. Il note de profonds changements, particulièrement, dans les comportements traditionnels féminins. Les jeunes femmes sortaient alors beaucoup, dédaignant les taches domestiques jusqu´alors sacrées (Freyre, 1990 : 111). Des années plus tard, Joaquim Nabuco définissait la notion de néocratie comme " (...)l´adication des parents face aux enfants, abdication de l´âge mûr face à l´adolescence (...)" , un mouvement propre aux élites du pays de l´époque, par le biais duquel les changements dans les relations familiales faisaient monter le "nouveau" au pouvoir (Freyre, 1990 : 87-88). Quels processus sociaux ont fragilisé l´autorité des vieux et transféré leur pouvoir aux jeunes?

L´étude de Natalie Zenon Davis sur les "Confréries de Pagaille" (Abadias de Desgoverno), montre bien comme les rites des fêtes, tels les "charivaris" - démonstrations bruyantes de ""(...)gens masqués pour humilier certaines personnes indésirables de la communauté (...)" - ou les carnavals - organisés par les jeunes, caricaturaient les vieilles générations. Ils se maniferstaient dans toutes les rue de l´Europe rurale, en Suisse, en France, en Allemagne, en Italie, en Hongrie, en Roumanie, et probablement en Angleterre, en Écosse et en Espagne (Davis, 1990 : 87 a 106). Ils prenaient ainsi à contre-pied l´ordre social et, propageant des concepts différents sur la vie domestique et la morale communautaire, ils bousculaient certainement, les rapports traditionnels entre les générations et les sexes (Davis, 1990 : 94 à 96).

Selon cette auteure, les Confréries, groupes organisés de jeunes pubères nommés varlets, varlets à marier ou compagnons à marier, étaient présents, bien avant le XIIe siècle, dans les diverses fêtes et manifestations du calendrier religieux et domestique français. Elle fait remarquer notamment qu´au : "(...) gouvernement des jeunes sur les autres générations et peut-être l´existence d´une confrérie parmi eux (...)" s´ajoutait "(...) l´énorme capacité de débauche et de ridicule (Davis, 1990 : 91).

Les jeunes organisaient des défilés, montaient leurs chars allégoriques, se déguisaient, se masquaient, faisaient des collectes et des distributions d´argent et de bonbons, récitaient des poésies, chantaient et dansaient, organisaient des jeux de hasard et des démonstrations d´athlétisme, allumaient des feux, acclamaient et étaient acclamés par le public. Ces manifestations ont été, jusqu´à nos jours, peu étudiées au Brésil et et leurs significations sociales sont encore méconnues.

Il semble que les folies portugaises du "Sciage des Vieilles", non abordées par Davis, aient suivi la même tradition. Elles nous donnent des informations sur les tensions intimes entre les générations, qui se trouvaient exposées publiquement, comme ce fut le cas dans les exemples cités par cette même auteure. On retrouve les traces de relations de folies au Brésil, au cours du XVIIIe siècle, puis elles semblent disparaître entre les années 60 et 70 du siècle suivant. (Cascudo, 1962 : 696 et 697). Elles critiquaient le personnage de la grand-mère, qui usait de méthodes disciplinaires violentes envers les petites-filles et leurs déclarations d´amour .

Lorsqu´il décrit les folies d´une année prise au hasard, à Rio de Janeiro au XVIIIe siècle, Luiz Edmundo, montre la contrainte imposée aux femmes âgées. Ce jour-là, elles restaient chez elles dans leurs chambres, et se refusant de sortir dans les rues, elles se cachaient  jusqu´à ce que les fétards soient passés (Edmundo, 1951). Luiz Edmundo n´a pas su dire quand avaient commencé ces folies au Brésil ; il s´est limité à noter leur présence à Rio de Janeiro au XVIIIe siècle, tout en remarquant que les chroniques de l´époque en parlaient “avec enthousiasme, même si elles n´étaient pas très fréquentes” (Edmundo, 1951: 171 à 174).

Câmara Cascudo (1962 : 696 et 697) en trouve la trace dans les manifestations populaires du Nordeste, à la fin du XIXe siècle, et soulingne que ces folies, étaient connues au Brésil depuis le XVIIIe siècle. Dans son récit, un groupe de fétards :

“(...)sciait une planche, au milieu des cris stridents et des pleurs interminables, en feignant de scier une vieille qui, représentéeeou non par l´un des participants du groupe, se plaignait et criait haut et fort”.

Il cite également les manifestations contraires à la "folie", qui émanaient de personnes qui se sentaient menacées par ce genre de "festivité". Il montre de quelle façon, en 1887, le Code des Bonnes-moeurs de Papari (ville portant aujourd´hui le nom de Nísia Floresta, dans l´État du Rio Grande du Nord), a condamné la plaisanterie qu´on appelait le “sciage des vieux”.

La raillerie de certaines pratiques sociales et leur fort pouvoir de contrainte et de violence sur les comportements ont été peu abordés dans l´historiographie brésilienne. Il est possible que de telles restrictions, soient semblables à celles observées à partir des années 1820, qui elles, étaient destinées à censurer les pièces de théâtre à Rio de Janeiro ; ce sont ces mêmes limitations qui, dans les années 1840, sévissaient sur la convenance des spectacles mis en scène lors du Carême, moment de l´année exigeant le respect et la dévotion (Magalhães Junior, 1972: 100 a 112).

On sait que la folie du "sciage des vieilles" est encore présente aujourd´hui dans la ville de Cajari, dans l´État du Maranhão (information fournie par l´historienne Maria da Gloria Guimarães Correia da UFMA, lors du Séminaire Régional d´Histoire de l´ANPUH à Niteroi, en octobre 2000).

Les folies du "Sciage des Vieilles", dont parle L. Edmundo, étaient réalisées les mercredis de la troisième semaine du Carême, jour habituel de repos au milieu du jeûne. Elles faisaient partie du calendrier religieux du Carême, même si l´on sait qu´elles ont été parfois réalisées hors de cette période,

“(...)avec l´intention politique, de montrer son désaccord, à la porte d´un chef politique tombé en disgrâce ou ayant perdu les élections” (Cascudo: 1962 : 697).

Il se peut qu´en choisissant cette date, les jeunes cherchaient à se venger du contrôle des listes de pénitence des jours saints, contrôle toujours exercé par des femmes âgées, mères, tantes, grand-mères, ou marraines, qui étaient chargées de la sauve-garde des traditions du jeûne. Natalie Davis souligne combien,

“(...)la réalisation de fêtes peut, d´un coté, perpétuer certaines valeurs communautaires (et même garantir leur survie) et de l´autre,, servir de point de départ à la critique sociale” (p.87).

La critique quant à la restriction alimentaire propre au Carême, était clairement suggérée lors de la procession des “Pas, traduction moqueuse de l´ancien symbole romain SPQR - “Senatum Populus Que Romanus” (Coaracy, 1988 : 265).

Ce symbole, qui rappelle la souffrance du Christ, était fixé sur les étendards hissés à la sortie de la chapelle de la Passion, annexée au Couvent des Carmes, sur le chemin de l´Église de la Miséricorde. Lors de cette marche du Christ en direction du Calvaire, l´emblème romain SPQR se transformait en prière, sous la formule religieuse: “Salva Populum Quem Redimisti”, mais aussi en phrase triviale, en portugais, sous la forme de:"Salada, Pão, Queijo,Rapadura" ("Salade, Pain, Fromage, Sucre de canne"), formule de débauche envers le jeûne traditionnel du Couvent.

Durant le "sciage des vieilles", il y avait rupture du jeûne. Selon la description de L. Edmundo, les familles préparaient

“(...)de plantureux repas où figuraient les mets les plus chers et savoureux, des dîners fabuleux (...) toujours arrosés des meilleurs vins”.

Les domestiques s´occupaient depuis l´aube des préparatifs “(..)installant les meubles et s´activant aux cuisines”, délaissées pendant les longs jours de pénitence, alors que dans les rues on se préparait aux folies(...) ¨ Cette orgie alimentaire rompait l´austérité propre au jeûne de la Semaine Sainte.

Luiz Edmundo retrace le mouvement dans les rues, dès quatre heures de l´après-midi, "(...)au son des musiques connues et chantées par tous(...)". Le cortège grossissait en chemin. Dans la rue de la Miséricorde, lieu de la plus grande concentration, on voyait se mélanger les coquins,“les mulâtres, les tziganes, les mendiants, les soldats des milices des Ordres Auxiliaires, les gens saouls de joie”, au milieu d´un bruit infernal, on entendait scander ::

"Allons scier les vieilles, Force aux scies, allons scier les vieilles, Force aux Barils"

Tout se passait autour d´un tonneau, que l´on tirait en accompagnant les traces laissées par les instruments, et qui reposait sur une “table grossière, qu´on traîne près du sol et qui roule grâce à quatre roues courtes mais fortes”. Dans le tonneau, selon les dires de la populace, se cachait une vieille  déjà condamnée au supplice du sciage.

“Cette vieille est maligne, cette vieille va mourir; Venez voir scier la vieille, braves gens, venez voir”.

Les scènes caricaturales étaient menaçantes, mais selon Luiz Edmundo, cette initiative ne partait pas des jeunes. L´homme à la scie s´arrêtait à la porte des maisons, dansait, levant celle-ci en l´air et l´agitant dans le ventre du tonneau déjà coupé ; il chantait d´une voix de fausset: “Scie la vieille, dans le tonneau...”

Les couplets étaient répétés sur des tons stridents, rappelant les motifs du supplice et de la mort et la répression faite aux déclarations d´amour que les jeunes-filles proclamaient. Ils dénonçaient le pouvoir exercé par les femmes plus âgées, sur les plus jeunes :

“Scie, scie, scie la vieille. Scie, scie donc! Montre la scie, scieur, que cette vieille a donné à sa petite-fille pour parler d´amour. Scie, scie donc! Scie la vieille. Vas-y, vas-y, scieur. Scie la vieille afin que vive la petite-fille qui a parlé d´amour”"

 La répugnance envers la violence de la grand-mère et l´acte de tuer, la condamnation et le châtiment de la vieille, annonçait la rupture vis-à-vis des traditions. La Confrérie de la Pagaille, dans sa conception originale, selon N. Davis, était formée par un groupe de jeunes dont les attributions et les responsabilités étaient surprenantes. On y rencontrait des jeunes de différentes paroisses, des villageois d´ages proches et des filles à marier. Les hommes entraient en compétition entre eux à cause des jeunes femmes, suggérant des conflits dans la sphère de la reproduction (Davis, 1990 : 92).

Entre les XVe et XVIIe siècles, les jeunes villageois se mariaient généralement entre l´âge de 20 et 25 ans: “"leur jeunesse durait longtemps, et le nombre de célibataires au village était très élevé, par rapport à celui des hommes mûrs".

Ils critiquaient principalement les jeunes-femmes à marier "au comportement douteux " et les gens mariés – qui n´arrivaient pas à avoir d´enfant, les maris dominés par leurs épouses adultères, et les veufs et veuves marié-es en secondes noces, avec une personne beaucoup plus jeune.

Même si on ne dispose pas d´information quant à l´âge des manifestants, les folies de Rio de Janeiro, vestiges hérités des charivaris portugais, exprimaient l´initiative masculine et le désir des jeunes de modifier les comportements des jeunes-femmes, lors des rencontres contrôlées par les femmes âgées. Les vers exaltaient l´image de celles qui parlaient d´amour et rejetaient celle du responsable qui les empêchaient de se manifester. Ils revendiquaient une plus grande liberté d´expression pour les jeunes. La récitation, longue et monotone, opposait l´ancienne femme à la nouvelle, les notions de mal et de beau, selon les différentes générations de femmes :

“Scie donc le tonneau dur, Scie car la vieille est méchante – Scie car la jeunette est belle- Scie, scie donc . Méchante fille, méchante femme, méchante belle-mère,  méchante grand-mère, c´est pour ça que vous êtes dans le tonneau, où vous attend votre destin”.

Ils avaient l´appui de la foule. Le scieur demandait parfois, avec une voix fatiguée: “quel châtiment mérite-t-elle, dîtes-moi mes seigneurs?” et la foule répondait en choeur, dans les rues et dans les maisons, comme à un jugement public: “Scie la vieille. Vas-y. Scie la vieille dans son tonneau!”. A la fin, le scieur levait le couvercle du tonneau et en retirait des tas de bonnes choses, qu´il distribuait sous les applaudissements, à la foule agglutinée qui dansait sans arrêt: on ne parlait plus de scier la vieille. L´acte final quant à lui montrait clairement l´inversion sexuelle: un homme barbu en chemise de nuit et perruque, aux façons efféminées, entrait dans le tonneau et, avec force gestes de tristesse et de désolation, se montrait vaincu par les désirs de liberté et le rejet de la violence des femmes âgées contre les jeunes.

Le sciage des vieilles commémorait l´élimination de cette ancienne figure et exaltait l´apparition d´une femme plus libertaire. Des rites de sciage, moins notoires, de vieilles femmes ou non, méritent d´être étudiés.

Certains répètent le message du sciage des vieilles, de façon cachée, dans un langage gestuel, naturalisé en pratiques habituelles de discipline des rapports de sexe dans la vie domestique. D´autres, au contraire, rendent hommage à l´image de la femme âgée comme femme d´esprit, gardienne des traditions et complice dans les rapprochements entre jeunes dans les affaires d´amour, dans les fêtes domestiques décrites dans les romans qui eurent tant de succès au XIXe siècle.

Ces romans situent les fêtes domestiques du Rio de Janeiro, soit en zone urbaine (A Morerinha , Macedo, 1986), soit en zone rurale (O Tronco do Ipê”,( Alencar, 1965) ; quand ils décrivent les images de vielles femmes, ils expriment une certaine ambivalence, soit en les condamnant, soit en les exhortant. On peut noter que les tensions entre les générations au niveau des expériences intimes de ces romans, sont analogues à celles que l´on retrouve dans les rues,

Il existe aussi des complicités, entre plus jeunes et plus vieux, qui presque toujours, parlent “d´un passé que l´on étudie les nerfs à fleur de peau” (Freyre, 1987 : LXXV). Les folies portugaises du sciage des vieilles, à Rio de Janeiro et les images des vieilles, dans ces romans mettent en évidence, dans ces rites de rues et de salons, les ruptures et les continuités d´états de conscience dépassés, comme dirait E.P.Thompson ;  matériaux invisibles à partir desquels se tissent les rapports entre générations, ainsi qu´entre les sexes. (Thompson, 1989 : 63 a 86).

Dans ces romans, on perçoit des images de répulsion qu´inspirent les vieilles femmes, pour avoir démontré de l´ indifférence envers les obligations et les traditions domestiques, utilisé la violence envers les esclaves et également par leur présence dans le monde des affaires. Il y a des situations où les grand-mères apparaissent comme gardiennes des traditions, loin des pratiques habituelles de traitement disciplinaire des esclaves, mais tellement violentes, qu´elles en étaient condamnées. (Burlamaque, 1988 : 101)

C´est ainsi qu´on s´attache à monter en épingle la conduite charitable des jeunes dames envers leurs esclaves ou leurs domestiques, la sollicitude des esclaves envers leurs maîtresses, et de cette façon tenter de surmonter l´association d´images féminines, à la violence pratiquée contre la main-d´oeuvre domestique au temps de l´esclavage, que les européens avaient tellement critiquée, en arrivant au Brésil au XIXe siècle. (Costa, 2000) Dans ses Mémoires , le Baron  de Paty do Alferes, admet que les règles d´administration des propriétés rurales, exigent des changements dans leurs  pratiques, et les condamne. (Werneck, 1862). (Les femmes étaient fréquemment considérées plus violentes que les hommes, dans leur façon de traiter les esclaves).

Certains idéaux de bon comportement féminin, sont rigoureusement décrits par José de Alencar (1829-1871). Lors des fêtes de Noël en famille, “O Tronco do Ipê”-, montre des images féminines qui se rapprochent des traditions rurales, et qu´il oppose aux futilités de la Cour : le personnage d´Adèle,  la courtisane, est sévèrement critiqué et ridiculisée par l´auteur. De plus, Alencar (p. 137) attribue aux esclaves toutes les qualités domestiques acquises par Alice, en fonction de “l´indifférence maternelle, qui lui a permis dès l´enfance, d´exercer ses dons” d´administration de la maison. Cette “indifférence maternelle” est elle aussi, une critique des femmes des classes moyennes et aisées de la société, et du modèle d´organisation sociale qui faisait que les soins des enfants et du ménage revenaient aux employés. Malgré cette “indifférence”,

Alice est devenue cette...

“"(...)fille brésilienne, élevée au sein de la famille, habituée très tôt à la vie domestique et préparée pour être une parfaite maîtresse de maison. Rien de tout cela n´a dépendu de sa mère”(...)"

Le collectif féminin des esclaves, avait donc joué son rôle civilisateur. La représentation de Mère au sens plein n´a pas été attribuée aux mères et aux grand-mères:

“La baronnesse (la mère) ne s´est pas occupée de l´éducation de sa fille, mais par la force des choses, la jeune-fille a trouvé dans les traditions et les habitudes de la maison, le moule où forger son comportement”.

En projetant l´image de femmes jeunes, proches des traditions rurales, Macedo et Alencar ont scié la présence des mères et des grand-mères, absentes dans le processus de transmission des coutumes et des tâches domestiques. En contrepartie, ils ont exalté le rôle des esclaves. Macedo a construit le personnage de la “Moreninha” comme orpheline, qui trouve dans sa grand-mère un fort appui pour les affaires d´amour, mais qui reconnaît dans le personnage de l´esclave Paula, l´image de la mère (p. 68). Pourtant, en ce qui concerne la différence entre les conduites masculines et féminines, Alencar ne cache pas son désir de voir les femmes âgées exercer à nouveau le rôle social de gardiennes des traditions, tout en critiquant l´isolement de certains hommes âgés:

“Alors que les vieux se retirent dans leur carapace d´égoisme, on voit les vieilles (...) racontant des histoires de leur jeunesse à leurs petites-filles, qui, devenues jeunes-filles, les amènent plus tard dans leur nouvelle famille, sanctuaire des légendes et tdes raditions des Anciens”.

Les grand-mères d´Alice, coupées de leur rôle, ne parviennent pas à transmettre des informations sur les anciennes fêtes de Noël, qu´Alice tente de reconstituer. Peut-on distinguer, dans le personnage de cette vieille femme, le désir masculin de fixation d´un modèle de maternité, face au projet bourgeois de famille? D´un autre côté, l´image de la nouvelle femme était dessiné dans un cadre bien précis.

Des restrictions, limitent la pratique de la liberté, dans l´espace féminin du roman de Macedo. Le personnage de Dona Violente, n´est traité par Macedo, ni comme une maîtresse d´esclaves, ni comme une femme d´affaires, mais de façon moqueuse, comme une vieille femme dans le monde des affaires. Le portrait sans pitié qu´il en fait, décrit son énorme laideur et son comportement ridicule, en l´opposent au doux portrait de la grande-mère de la Moreninha (p. 29 a 31). On peut y déceler son sentiment d´horreur pour la femme d´affaires. Dans ces temps de transition, les femmes s´occupaient évidemment des affaires, ce qui réduisait le temps précieux qu´elles auraient pu dédier à leur famille, en menaçant ainsi l´espace social de domination des hommes, et les éloignant des traditions civilisées... C´est aussi pour cela, que les femmes d´affaires méritaient d´être sciées.

Pourtant, dans ces représentations, les vieilles dames ne menacent pas toujours la cohésion familiale tant désirée, puisqu´on les voit parfois même aider les jeunes dans les affaires d´amour. Dans la Moreninha, oeuvre publiée dans les années 40, Macedo (1820-1882) alors âgé de vingt ans, raconte la fête d´anniversaire de Dona Ana, grand-mère de son héroïne, et la présente comme s´il s´agissait d´une sainte grand-mère.

C´était le Jour de Sainte-Anne, jour de fête et d´anniversaire. La fête n´avait rien de religieux. Très célébrée dans toute la Province de Rio de Janeiro, le personnage de Sainte-Anne, comme celui de sa mère Sainte Emerenciana , préservait l´image de la Grande Mère (Almeida, 1993: 83-111). Le culte de cette dernière, introduit à Rio de Janeiro par l´Ordre du Carmel, n´a jamais vraiment menacé celui de Sainte-Anne, déjà bien établi comme symbole religieux des grand-mères. Pour L. Pestre de Almeida, certaines divinités paiennes européennes des champs et de la fertilité, auraient été christianisées en elle, d´où son rôle central dans la Sainte Famille.

Dans le roman, les nombreux attributs de la grand-mère, excessivement dévouée à Filipe et à Moreninha, orphelins laissés à ses soins, sont mis en évidence par Macedo, qui parle d´elle comme d´une femme “d´esprit et d´un peu d´instruction”. Dans cette histoire d´amour, il souligne son rôle  lorsqu´elle approuve les contacts entre les jeunes amoureux. Il montre les attitudes semblables d´autres femmes présentes à la fête, en soulignant que les jeunes gens présents :

“"(...)comme d´habitude, ont fêté, salué et applaudi les vieilles dames qui se trouvaient dans la salle, principalement celles qui étaient accompagnées de jeunes-filles”(...)" (Macedo, 1986 : 84).

Nous voyons ici la même image: celle d´une vieille femme qui aide les rencontres entre jeunes gens lors des fêtes, qui pratique certains rituels de rapprochement entre hommes et femmes, c´es-à-dire une autre version de la "marieuse". On remarque que les rapports sont complémentaires, et non d´opposition, entre jeunes hommes et vieilles dames, ce qui permet d´élaborer des stratégies de rapprochement avec les jeunes-filles de leur époque... Si l´on en croit l´expérience décrite par Helena Morley, à Diamantina, à la fin du XIXe siècle, sa grand-mère lui aurait servi d´exemple et d´inspiration, en la stimulant dans ses aventures intellectuelles. Dans ce cas, la responsabilité des tâches domestiques, qu´elle appréciait peu, revenait à sa mère, alors qu´elle occupait tout son temps libre, aux études et aux loisirs, comme bon lui semblait. (Costa, 1993)

C´est ainsi que, les vieilles dames devenues complices des jeunes, dans leurs aventures amoureuses ou dans leurs projets de vie, ne seront jamais sciées...  

(*) Ce terme remet à une plaisanterie du XVIIIe siècle , généralement faite pendant la Semaine Sainte au Brésil, par des jeunes qui sciaient, entre cris et lamentations, une planche comme si c´était une vieille femme ou une personne dont ils voulaient se moquer (Note de traduction).

**Article publié dans Gênero em Pesquisa – Programme de Post Graduation (Études avancées) en Histoire. N. 17. Edição especial, ano 9, Uberlândia, 2001, p. 40-43.

 

Références

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notice biographique

Sueli Gomes Costa est professeure. Titulaire  du Départament de Service Social de l´ Université Fédérale Fluminense-UFF. Docteure en Histoire (UFF). Chercheure du CNPq.