labrys,
études féministes/ estudos feministas Vivre avec les Himbas: Soleen Bardet ( interview tania navarro swain)
Soleen Bardet, 1998, Pieds nus sur la terre rouge : Paris, Laffont
http://www.association-kovahimba.net/articles/namibie/
tns. Votre livre est très réaliste, on a l´impression d´ y être et de partager vos péripéties. Il est très sincère, vos impressions sont racontées sans ambages. Vous êtes donc partie à 18 ans de France, sans beaucoup d´argent, pour la Namibie, sans connaître personne, ni la langue, ni les us et coutumes des populations. Une aventure, donc. tns . Qu´est-ce que l´aventure pour vous ? SB . Le mot voyage me parle plus. (sans doute parce que j’ai souvent été invitée dans des festivals d’aventure et que très souvent l’aventure y est associée à une notion d’exploit, ou au moins d’objectif, notions qui me sont assez étrangères). Le voyage, pour moi, c’est le fait de tout laisser derrière soi, et d’être totalement disponible à ce qui peut arriver, y compris au fait de ne pas revenir. C’est la légèreté absolue : un voyageur a, autant que possible, mis de coté sa culture, ses références, pour se laisser imbiber et porter au maximum par ce qui l’entoure. C’est une feuille, une éponge. tns. Question classique ! qu´est-ce qui vous a poussée à entreprendre ce voyage au bout du monde ? Pourquoi la Namibie ? SB. Très jeune, dès 5 ou 6 ans, je voulais partir toute seule en Afrique. Pourquoi l’Afrique ? parce que le mot sonnait bien, et que je pensais qu’il y faisait chaud. Aussi parce que j’avais vu au cinéma le dessin animé Le Livre de la Jungle, et je voulais avoir la même vie que Mowgli. Bon, je sais que Le Livre de la Jungle se passe en Inde et pas en Afrique, mais à 5 ans je mélangeais pas mal de choses. Et puis ensuite, au fil de mes lectures (Karen Blixen, Isabelle Eberhardt, Laurence d’Arabie, René Caillié), mon désir d’Afrique s’est affirmé. A 16 ans, je pensais à René Caillié qui au même âge avait déjà quitté la maison familiale pour entamer son grand voyage – René Caillié a été le premier européen à entrer dans Tombouctou, à 28 ans – et je me lamentais sur mon immobilité. Conclusion : à 16 ans et demi, je quitte le domicile familial, à 18 ans, je prends un billet d‘avion pour l’Afrique. Mon arrivée en Afrique australe est un peu un hasard : il y avait un billet pas cher Luxembourg-Johannesburg, valable un an. Une fois sur place, de bus en rencontres en autostop, je me suis retrouvée en Namibie. J’avais la vague idée d’aller rendre visite aux bushmen. Mais une fois dans la capitale namibienne, j’ai rencontré plusieurs associations qui toutes se disputaient leurs bushmen. Ça m’a pris la tête. Et puis j’ai rencontré quelqu’un qui m’a parlé des Himbas. Il m’a montré la photo d’une femme, qui souriait. Je me suis dit « allons y ! ». tns. Qui sont les Himbas ? Comment les avez- vous rencontrés ? Combien de temps avez-vous vécu parmi ce peuple ? SB. J’ai eu la chance d’arriver chez les Himbas juste au moment où leur région s’ouvrait : auparavant, ni les Himbas ni leur bétail n’avaient le droit de quitter leur région, et il fallait un permis pour y entrer –mesure mise en place par le gouvernement sud-africain pour préserver l’économie des fermiers blancs, mais aussi pour respecter le principe de développement séparé des races (la Namibie n’est indépendante que depuis 1990 !). J’ai appris plus tard que j’avais été la première blanche à vivre avec les Himbas depuis les années 1920. Bien sur, il y avait des blancs dans la région : des fonctionnaires sud-africains sillonnaient la région pour surveiller la faune et la flore (et les populations !), mais ils ne se mêlaient pas à eux, ils restaient très distants. Si bien que quand je suis arrivée, j’ai rencontré des vieux qui parlaient couramment portugais et avaient voyagé en Angola, et des enfants de douze ans qui n’avaient jamais vus de blancs ! Quand je suis arrivée chez les Himbas, je ne savais absolument rien sur eux. Je ne savais pas qu’ils étaient éleveurs, je ne savais pas qu’ils étaient semi-nomades, je ne savais même pas dire oui ou non. J’avais prévu de rester un mois. Finalement je suis restée six mois. Puis l’année suivante, je suis revenue à nouveau six mois. Comme cela pendant quatre ans. J’ai passé ensuite quelques années à voyager ailleurs, mais même si j’ai fait de très beaux voyages, je n’ai jamais retrouvé ailleurs l’amour que j’avais eu pour les Himbas et leur région. Donc je suis revenue. Et cela fait maintenant plus de vingt ans … tns. En ce qui concerne le quotidien : l´hygiène, la nourriture, aller aux toilettes, laver son linge, etc. Comment avez-vous résolu ces « problèmes » puisque vous étiez dans le désert? SB .La question me semble bizarre. J’ai fait comme eux, simplement. Le désert n’est pas sale, au contraire, on peut paraître sale, être couvert de poussière, mais la poussière en elle-même n’est pas sale. Comme le milieu est très sec, les microbes et bactéries se développent peu. On ne transpire pas. J’ai fait comme eux, et je n’ai jamais été malade. Parfois une petite fièvre de quelques heures, qui passait avec une bonne sieste, et c’est tout. J’étais tellement heureuse d’être là-bas, tellement satisfaite et tellement avide de vivre et de découvrir, je pense que mon état psychologique ne laissait pas de place à la maladie. tns. Comment s´organise la société Himba ? Qu´est-ce que le matriclan et le patriclan? Importance respective. SB. Les Himbas vivent et pensent d’abord pour accroître leurs troupeaux. Les Himbas disposent d’ailleurs de plus de trois cents mots pour désigner une vache, une génisse ou un bœuf, en fonction de la couleur de sa robe, du lustré de ses poils, de la forme de ses cornes… C’est d’ailleurs pour être aussi belles et aussi fortes que les vaches rousses, réputées être les plus résistantes, que les femmes Himbas se couvrent quotidiennement le corps d’ocre (otjize) et de graisse (omaze). Aujourd’hui encore, les Himbas tirent l’essentiel de leur subsistance de leurs troupeaux. Ils se nourrissent principalement de lait caillé (omaire) et de viande. Avec le cuir des animaux, ils se confectionnent des ceintures, des besaces, des parures. Les jupettes des femmes sont faites de peaux de mouton ou de chèvre. Mélangée à de la terre, la bouse de vache sert à construire des cases qui restent chaudes en hiver et fraîches en été. Le troupeau a aussi une valeur commerciale puisqu’il sert de monnaie d’échange pour obtenir des céréales et des couvertures. L’ensemble du troupeau en tant que richesse économique se transmet par les femmes, selon le principe d’appartenance au matriclan, exception faite d’une partie du bétail qui appartient aux ancêtres et est considérée comme sacrée. La part sacrée du troupeau est gérée par les hommes. Ce système permet aux hommes d’établir un contre-pouvoir économique à la richesse des femmes et aux jeux d’alliances qui en découlent. Un double lignage matrilinéaire et patrilinéaire. Les Himbas sont les seuls pasteurs d’Afrique à posséder un double système de lignage, à la fois matrilinéaire et patrilinéaire. Ce système spécifique d’organisation permet aux Himbas d’assurer la cohésion d’un groupe même si ses membres sont géographiquement dispersés. Chaque Himba, par sa mère, appartient à l’un des sept matriclans (eanda) d’une ancêtre génitrice. Détentrices du troupeau, les femmes transmettent à la fois la richesse en bétail, les liens du sang et la cohésion du clan fondateur. Le père apporte le clan religieux (oruzo) qui décide de l’appartenance à un feu sacré et à sa lignée d’ancêtres. Les Himbas distinguent treize patriclans, qui ont chacun un fondateur léguant un nom et un ensemble de tabous magico-religieux, mais à la différence des clans matrilinéaires il n’y a pas d’ancêtre commun. L’appartenance à un même patriclan s’exprime par l’observance d’interdits communs ayant trait aux animaux. Cette double organisation interdit toute concentration du pouvoir et n’autorise aucun centralisme politique. Le système n’admet pas de hiérarchie et personne ne peut acquérir de prédominance sur les autres membres du clan. Les individus sont par contre regroupés en classes d’âge dont l’évolution est marquée par des rites collectifs. La représentation sociale de chaque tranche d’âge est lisible par divers attributs, tels l’évolution des coiffures, qui marquent le statut de chaque individu. Quand elle se marie, une femme quitte le patriclan de son père pour prendre le patriclan de son mari. Elle appartient désormais, ainsi que tous les enfants qu’elle mettra au monde –quel qu’en soit le géniteur-, à la lignée d’ancêtres de son mari. La vie des Himbas s’organise également autour du culte des ancêtres. Les Himbas croient en un être suprême, désigné sous les termes Ndjambe et Karunga, créateur du monde mais qui intervient très peu dans les affaires terrestres. Les hommes ne peuvent lui parler directement. Leurs paroles doivent passer par l’intermédiaire des ancêtres pour l’atteindre. En conséquence, un Himba ne peut pas vivre sans la bénédiction des ancêtres. Réciproquement, les pensées des vivants donnent aux ancêtres l’énergie de rejoindre Ndjambe-Karunga. Un homme sans descendant pour honorer sa mémoire est donc condamné à errer pour l’éternité. Le « voyage » de l’ancêtre vers le créateur dure le temps de trois générations. Après quoi les vivants oublient généralement l’ancêtre décédé. Les ancêtres sont consultés et associés à tous les évènements et toutes les décisions, même mineurs, du campement. Les liens avec les ancêtres se font quotidiennement à travers le feu sacré (okuruwo), situé entre la case du chef de lignée, l’omuni wehi, et l’enclos du bétail. Le feu sacré ne doit en théorie jamais s’éteindre. Certains grands ancêtres, ceux qui ont eu un rôle historique important ou qui ont représenté par leur grandeur d’âme les valeurs himbas, appartiennent à la mémoire collective et échappent au temps. Tout le monde peut aller se recueillir sur leur tombe et implorer leur protection. Une fois l’an, au cours d’une cérémonie appelée Okuyambara, les Himbas se rendent sur les tombes de leurs ancêtres. Ils y chantent les qualités des défunts et déposent sur les pierres tombales des feuilles de mopane qu’ils ramènent ensuite autour du feu sacré. Les Himbas se rendent aussi sur les tombes de leurs ancêtres en cas de maladie ou d’évènement grave. Lorsqu’il s’agit d’ancêtres importants, les cérémonies d’Okuyambara peuvent regrouper plusieurs centaines de Himbas. tns. Les anthropologues ne s´intéressent toujours qu´aux activités et aux rites des hommes, car dans leurs préjugés, les femmes sont secondaires et dominées dans toutes les sociétés. Vous avez vécu avec les femmes Himbas, participé à leurs rites. Que pouvez-vous dire sur l´importance des femmes dans leur société ? Je ne suis pas vraiment d’accord avec cette analyse. Que les anthropologues hommes s’intéressent essentiellement aux activités et rites des hommes peut aussi être expliqué par le fait qu’ils n’ont pas accès aux rites féminins. Comment parler de quelque chose auquel vous n’avez pas accès ? Il est vrai cependant que chez les Himbas, en théorie, c’est l’homme qui décide. Mais la pratique est totalement différente. Les femmes himbas ont de grandes bouches, et les hommes savent que s’ils veulent avoir la paix dans leur campement, ils ne peuvent pas ignorer les positions de leurs femmes. tns. Katjambia Tjambiru a été élue chef de territoire, récemment. Il n´y a donc pas d´exclusion des femmes pour les positions de commandement et de décision?SB. La société himba est divisée à ce sujet. Certains ne voient pas de problèmes à ce qu’une femme soit chef, d’autres pensent que c’est un problème, et contraire à la tradition. Mais Katjambia reste invitée dans toutes les cérémonies et meetings en tant que chef, et tous les Himbas la respectent pour la ténacité de son combat pour la reconnaissance des droits des Himbas par le gouvernement. tms. Les femmes sont-elles libres de leurs mouvements, de leurs choix, de leur sexualité ? Ont-elles des rites et des symboles qui leur sont propres, et importants pour la communauté ? SB. Une femme appartient d’abord à son père, puis à son mari. En théorie, une bonne épouse doit obéir à son mari. Mais en général, les hommes n’abusent pas de cette position. Les femmes himbas ont en général un caractère bien trempé et ne se laissent pas faire. Et puis les femmes ont bien souvent les moyens de leur indépendance : il est fréquent qu’une femme passe plusieurs mois d’affilés loin de son mari, par exemple parce qu’elle est partie mener une partie du troupeau dans tel endroit tandis que lui a mené une autre partie du troupeau dans tel autre endroit. De plus, la jalousie est très mal perçue, qu’elle soit féminine ou masculine. La société himba est plutôt permissive, à partir du moment où l’on respecte un certain nombre de règles. Et si vraiment une femme n’arrive pas à vivre avec son homme, rien ne l’empêche de divorcer. Chez les Himbas, les individus sont regroupés en classes d’âge dont l’évolution est marquée par des rites collectifs. La représentation sociale de chaque tranche d’âge est lisible par divers attributs, tels l’évolution des coiffures, qui marquent le statut de chaque individu. Ainsi, les fillettes portent deux grosses nattes qui leur tombent sur le front jusqu’à l’âge de sept ans environ. Puis les nattes sont divisées en petites tresses qui tombent devant les yeux. Cette coiffure oblige les filles, pour voir devant elles, à se tenir très droites, ce qui leur donne une grande élégance. A la puberté, les nattes sont ramenées sur l’arrière de la tête. Pour les filles, une cérémonie est organisée au moment où elles ont leurs premières règles. Mais la cérémonie la plus importante pour une femme est celle du mariage. Les femmes himbas sont également réputées pour l’ocre dont elles s’enduisent le corps. Le nom de « peuple rouge » qui désigne parfois les Himbas vient de là. L’otjize est fabriqué à partir d’une pierre rouge, l’hématite, réduite en poudre et mélangée à de la graisse animale. Ce fard de beauté représente un lien permanent avec la terre des ancêtres. Pour ne pas rompre ce lien, les femmes ne se lavent qu’exceptionnellement. La plupart des objets usuels tels bijoux, coiffes et jupes en peaux sont enduits de ce mélange, ce qui leur permet de rester souples en dépit du climat très sec. Symbole de purification, l’otjize est utilisé en abondance pour protéger le corps des bébés, mais aussi lors de la plupart des cérémonies. Il n’existe qu’une seule carrière d’hématite dans tout le Kaokoland (et deux en Angola) et plusieurs heures, voire plusieurs jours de marche sont nécessaires pour se rendre sur place. tns. Est-ce que les femmes Himbas subissent des mutilations sexuelles ? SB. Non tns0. Á votre avis, la sexualité est-elle un axe majeur de leur vie, je veux dire, tout tourne-t-il autour de la sexualité comme dans notre société ? SB. C’est une question très subjective … tns1. La fête et le rire sont présents à tout moment. Avez vous eu l´occasion d´y participer? Bien sûr. J’ai été adoptée par les Himbas, j’ai moi aussi un patriclan et un matriclan, pour les Himbas je suis considérée comme une Himba et je participe à tout. tns. Etiez-vous considérée en premier lieu comme une femme ou comme une blanche ? SB. Ça dépend par qui. tns. Une femme vous a demandée en mariage. Avez vous remarqué des relations homosexuelles parmi les Himbas ? C’était un jeu. J’imagine que lorsque deux jeunes hommes ou deux jeunes femmes passent des mois ensembles avec un troupeau de chèvres au sommet d’une montagne éloignée, isolés de tout contact humain, il peut se passer des choses entre eux/elles, mais je n’ai jamais rien vu de tel. Tout comme je n’ai jamais vu de relations hétérosexuelles. Les Himbas sont extrêmement discrets en ce qui concerne leurs relations, et montrer des sentiments amoureux est considéré comme une honte. Ça ne les empêche pas d’avoir des sentiments, mais rien ne transparait jamais. tns. Il y avait un projet de barrage à l´époque où vous étiez parmi eux, qui allait inonder complètement leurs terres et les déplacer pour un no man´s land. Qu´en est-il de nos jours ? SB. Les Himbas ont gagné la bataille contre le barrage d’Epupa, mais le gouvernement a lancé il y a quelques années un nouveau projet de barrage, le barrage de Okaparue, 30 Km en aval d’Epupa, qui sera financé par des fonds privés (dont brésiliens parait-il), et cette fois-ci c’est bien mal parti pour les Himbas
(sur les Himbas, voir les vidéos ci-dessous)… http://www.youtube.com/watch?v=jgA4H08SDBs |