labrys,
études féministes/ estudos feministas
La prostitution féminine au Burkina Faso : entre condamnation et impuissance Lydia Rouamba Résumé Exercée autrefois par des femmes de nationalité étrangère, la prostitution est, à présent, largement pratiquée par des femmes burkinabè de tous les âges et de toutes les catégories sociales. Le phénomène prostitutionnel a pris, en effet, ces dernières années, une ampleur insoupçonnée au Burkina Faso. S’adaptant à la demande, le commerce du sexe y devient de plus en plus jeune et mobile. Et les autorités, devant des femmes confrontées à de dures conditions de survie et des proxénètes puissants et bien organisés qui les narguent, avouent et affichent leurs limites. Cependant, tout n’est pas perdu. Il faut un engagement politique qui rende les deux faits, louer son corps ou acheter celui d’autrui, moralement et socialement inacceptables. Seul un tel engagement politique et social permettra de préparer un terreau fertile pour d’autres actions, en l’occurrence, l’accompagnement financier et psychologique des péripatéticiennes, la moralisation des clients ainsi que la pénalisation des proxénètes. Mots Clés : pauvreté, dysfonctionnements familiaux, prostitution, proxénétisme Abstract Key words : poverty, family problems, prostitution, procuring
Introduction Exercée autrefois par des femmes de nationalité étrangère, la prostitution est, à présent, largement pratiquée par des femmes burkinabè mobilisant des pouvoirs publics et des structures de lutte contre la propagation du sida. Plusieurs facteurs dont principalement des pesanteurs socioculturelles, la pauvreté et l’éclatement des valeurs traditionnelles sont déterminants dans l’accroissement du phénomène. En outre, la prostitution est alimentée par le proxénétisme tant national que transnational, qui, ces dernières années, a pris un développement insoupçonné au Burkina Faso. En effet, appartenant en majorité à des couches économiquement défavorisées, un grand nombre de femmes prostituées tombent dans le piège des proxénètes qui leur promettent des conditions décentes de vie, voire un eldorado. Cet article sur la prostitution féminine au Burkina Faso présente, d’abord, les différentes positions idéologiques et les principales approches législatives par rapport au phénomène prostitutionnel. Ensuite, il décrit les types de prostitution au Burkina Faso et le profil des femmes prostituées et de leurs clients avant d’analyser les principales causes qui favorisent et alimentent la prostitution dans ce pays. Enfin, des pistes d’actions pour, d’une part, « décriminaliser » et aider les femmes prostituées, et de l’autre, décourager les clients et les proxénètes, voire les pénaliser sont dégagées. Notre analyse s’appuie sur une recherche documentaire sur le phénomène prostitutionnel au Burkina Faso et dans d’autres pays, sur des entrevues et une observation directe sur le terrain. Ainsi, des études, des réactions d’internautes sur le sujet et des documents de police judiciaire ont été exploités. 36 personnes dont dix femmes prostituées (quatre Burkinabè et six de nationalité étrangère), trois présumées proxénètes, deux gérants et un propriétaire de chambres de passe ont été interviewés individuellement de manière formelle et informelle à Ouagadougou, entre juillet 2013 et janvier 2014. Les noms des femmes prostituées et des proxénètes présumées ont été, pour des raisons de confidentialité, changés. Nous avons aussi réalisé un focus groupe informel avec une quinzaine d’hommes, et avons, enfin, visité et observé quatre chambres de passe, deux boîtes de nuit et deux artères de la ville[1] de Ouagadougou très fréquentées par le monde du marché du sexe.
1. La prostitution : un phénomène, deux principaux courants de pensée et quatre approches législatives Communément définie comme le fait de consentir des rapports sexuels contre de l’argent ou d’autres d’avantages, la prostitution donne lieu, dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud, à deux grands courants de pensée antinomiques ainsi qu’à quatre approches législatives (Mathieu, 2003 : 55-56 ; CSF, 2002 : 97-107 et 2012 : 11 ; Sawadogo, 2002 : 103-104). Pour le premier courant de pensée, la prostitution a une utilité sociale. Elle protège les filles et les femmes de viols et brise la solitude des hommes esseulés. Pour les tenant.e.s de cette perspective, c’est un métier comme un autre qu’il faut libéraliser et professionnaliser. Les personnes prostituées sont considérées comme des « travailleuses » du sexe qui devraient bénéficier de toutes les protections garanties dans le monde du travail d’un pays. Les tenant.e.s de cette perspective optent pour une approche dite règlementariste où l’exercice de la prostitution est encadré par l’État, est légal. Il s’agit d’une reconnaissance de la prostitution. C’est la position qu’ont adoptée par exemple les Pays Bas et l’Allemagne qui ont légalisé la prostitution respectivement depuis 2000 et 2002 (CSF, 2002 ; Mathieu, 2002 : 69). Pour le deuxième courant de pensée, la prostitution est la pire forme d’exploitation sexuelle, et particulièrement une violation du corps des femmes et des enfants qu’il faut combattre sans relâche et criminaliser. Pour ce courant de pensée, il s’agit d’une violation de la dignité humaine et des droits universels de la personne. Dans cette deuxième conception de la prostitution, il convient de distinguer les prohibitionnistes des abolitionnistes. L’approche prohibitionniste s’oppose à l’existence de la prostitution en soi qui est considérée comme un délit. C’est une interdiction totale de l’exercice de la prostitution. Pour les prohibitionnistes, la prostitution constitue une atteinte à la dignité humaine et, en conséquence, les personnes prostituées tout comme les personnes proxénètes sont des criminelles. En revanche, l’abolitionnisme (Legardinier, 1996) tolère la prostitution ; il y a une absence d’interdiction de la prostitution. C’est un mouvement né[2] en réaction au règlementarisme auquel on demandait d’abolir les différentes contraintes imposées aux personnes prostituées. Ce régime, explique le Conseil du Statut de la Femme du Québec « [...]tire son appellation, non pas du désir d’abolir la prostitution, mais plutôt du fait que, à l’origine, il visait à abolir toutes les réglementations relatives à la prostitution qui exigeaient, par exemple, que les prostituées soient inscrites auprès de la police des mœurs, qu’elles résident dans des maisons closes enregistrées […] ». (CSF) (2002 : 98) L’abolitionnisme reconnaît donc la liberté de l’individu-e de se prostituer ou non, mais juge la prostitution immorale. Cette approche se situe ainsi à mi-chemin entre l’interdiction totale prônée par le prohibitionnisme et la liberté du réglementarisme ou de la légalisation. La prostitution est tolérée mais tout acte qui la favorise tel le racolage ou le proxénétisme est sévèrement réprimé. Outre les trois approches législatives (réglementarisme, prohibitionnisme et abolitionnisme), un nouveau mouvement abolitionniste a vu le jour à partir des années 1990. Appelé néo-abolitionnisme, ce mouvement que nous avons compté comme une quatrième approche législative, s’intéresse à la situation de la personne prostituée, refuse la banalisation de la prostitution et considère les personnes prostituées comme des victimes du système prostitutionnel. Les néo-abolitionnistes, préconisent, en conséquence, la décriminalisation des personnes prostituées et la pénalisation des clients et des proxénètes. L’originalité de cette approche législative est que la demande d’un service sexuel vénal est non seulement sur le plan moral, mais aussi légal condamné. Le client est un « prostitueur », terme employé notamment par les féministes pour mettre en lumière la responsabilité des hommes dans le maintien du marché de la prostitution (CSF, 2012 : 22). A ce propos, Lilian Mathieu (2003 : 50) fait observer que : « Un des progrès du féminisme aura été de faire perdre à la prostitution beaucoup de ce qui, autrefois, la faisait aller de soi. Désormais du côté de la « demande », recourir aux services de prostituées n’est plus une activité anodine, une composante ordinaire et banale de la sexualité masculine, mais une véritable déviance. […] Du côté de l’ « offre », c’est-à-dire des personnes qui exercent la prostitution, le regard a également évolué : la condamnation morale qui affectait les « femmes de mauvaise vie » s’est effacée au profit d’une vision davantage empreinte de commisération ». La Suède a été le premier pays à adopter un régime néo-abolitionniste le 1er janvier 1999 suivie de la Norvège (1er janvier 2009) et de l’Islande (Avril 2009) (Shifman et Franzblau, 2001 : 16 ; CSF, 2002 : 106 et 2012 : 90 et 97). Dans ces pays, demander ou encourager un service sexuel vénal (clients et proxénètes) est susceptible de poursuites et de sanctions judiciaires. En revanche, les péripatéticiennes n’encourent aucune sanction pour l’exercice de la prostitution. Notons que lorsque ces lois ont été votées, le parlement était composé de plus de 40% de femmes, soit 43% pour la Suède (Legardinier 2010). En France, un texte de loi visant à punir d’une amande les clients de prostituées a été porté par deux femmes députées socialistes, Maud Olivier et Catherine Coutelle et voté par l’Assemblée Nationale le 04 décembre 2013. De même, le parlement européen a adopté le 26 février 2014 une résolution recommandant de pénaliser l’achat d’un acte sexuel et non les personnes prostituées elles-mêmes. Mais quelle est la situation de la prostitution au Burkina Faso ?
2. La prostitution au Burkina Faso : dispositions pénales, types et profil des péripatéticiennes et des clients
2.1 Dispositions pénales Selon les recherches menées jusque là, l’apparition de la prostitution au Burkina Faso serait relativement récente. Albert Dé Millogo (2006 : 256), affirme que « [l]’émergence de la prostitution en Afrique [et donc au Burkina Faso] remonte à la période coloniale, en même temps que l’apparition des garnisons militaires ». L’enquête menée par Ramata Soré (2009), elle, révèle que la prostitution a débuté vers 1935 au Burkina Faso. Les clients étaient en grande majorité des militaires si bien que les premières péripatéticiennes au Burkina Faso (essentiellement de nationalité étrangère) se sont installées autour de la garnison militaire du quartier Bilbambili, sur le site de l’actuel cité AN III. Vers les années 1940, un autre quartier, Kiedpalogo[3], habité en majorité par des femmes prostituées (y compris des nationales°) vit le jour en raison d’une forte demande de services sexuels vénaux (Soré, 2009). Le phénomène prostitutionnel prendra ensuite de l’ampleur avec l’urbanisation rapide et l’exode rural, et plus tard avec les migrations nationales et internationales ainsi qu’avec le phénomène de tourisme sexuel (Millogo, 2006 ; Bardem, 1994a et b ; CSF, 2002). Aujourd’hui, la prostitution a gagné beaucoup de terrain. C’est, comme le dit Daouda Emile Ouédraogo (2011), le « sexe contre vents et marées » alors que des autorités politiques affichent des sentiments d’impuissance. Le fait prostitutionnel reste socialement et moralement condamné mais, n’est pas en soi considéré comme un délit par le législateur burkinabè qui le définit comme « le fait pour une personne de l’un ou l’autre sexe de se livrer habituellement à des actes sexuels avec autrui moyennant rémunération » (Code pénal, 1996, article 423). Le Burkina Faso, peut être qualifié d’Etat abolitionniste. Aucune action pénale ne peut être intentée contre une personne adulte parce qu’elle se prostitue. Seuls les actes de proxénétisme, de racolage et d’incitation de mineur·e·s à la débauche sont réprimés. Le racolage par exemple, est puni d’un emprisonnement de 15 jours à 2 mois et d’une amende de 76,21 à 152,43[4] euros ou de l’une de ces deux peines. De fait, les racoleuses reçoivent une contravention de 9,14 euros pour des questions de sécurité, de tranquillité et de salubrité publiques et 18,29 euros quand s’ajoute un défaut de documents d’identité. Mais sous quelles formes se manifeste la prostitution, qui sont les personnes prostituées et leurs clients ?
2.2 Les types de prostitution. Plusieurs types de prostitution sont dénombrés au Burkina Faso. Dans leur étude, Michel Cartoux et al (1999), identifiaient en 1997-1998, après avoir interviewé près de 200 femmes prostituées, six types de prostitution au Burkina Faso : les femmes dites « sur tabouret » qui attendent leurs clients sur des tabourets, les « trotteuses et filles de boîtes » qui attendent ou cherchent leurs clients le long des trottoirs, « les serveuses de bar », les « femmes de cabaret » qui vendent dans des bars à bière locale, les « vendeuses de fruits » et les « élèves ». Selon ces chercheurs, les femmes dites « sur tabouret » et les « trotteuses et filles de boîtes » constituent les vraies « professionnelles », les quatre autres catégories étant constituées de femmes qui s’adonnent à la prostitution de façon occasionnelle ou clandestine. Aujourd’hui, quinze ans après, il convient d’accoler les étudiantes aux élèves et d’ajouter un septième type les « amazones » appelées encore « les filles de la brigade mobile ». La brigade mobile est une nouvelle forme de racolage que les jeunes filles prostituées ont développé ces dernières années pour répondre aux goûts de la nouvelle génération de jeunes qui n’aiment pas se rendre sur les sites des prostituées, avoir des clients de catégories sociales élevées et se mettre à l’abri du délit de racolage. Dalia explique : « Ce qui me plaît le plus dans la « brigade mobile » c’est que les policiers qui patrouillent dans la ville ne peuvent rien contre nous. Plus de rafle ! S’ils nous voient sur nos motos en tenue affriolantes, on leur dit qu’on va en boîte ou qu’en en revient et le tour est joué. Ils se doutent qu’on fait du racolage mais comment le prouver »(BOA, 2008). Les femmes dites sur tabouret sont en voie de disparition. Elles sont surtout de nationalité étrangère et c’est le fait de femmes âgées. On les retrouve encore dans quelques quartiers périphériques des grandes villes (Ouagadougou, Bobo-Dioulasso) et dans les petites villes.
2.3 Le Profil des femmes prostituées Exercée autrefois par des femmes de nationalité étrangère, la prostitution devient au fil des années à dominance nationale. Ainsi, en 2005, le Projet Sida 3 a mené une étude où sur 306 femmes prostituées, 17% étaient burkinabè. Cinq ans après, en 2010, le Secrétariat Permanent du Comité National de Lutte contre le Sida et les maladies sexuellement transmissibles, en collaboration avec la Banque Mondiale, a commandité une étude où sur 1019 femmes prostituées enquêtées, 64, 10 % étaient burkinabè (CNLS-IST/BASP’96 2011 : 17 et 26). Les péripatéticiennes burkinabè, issues de toutes les ethnies (Berthe 2008), de toutes les religions, et de familles tant monogames que polygames (Compaoré/Kambou, 2003 et 2004) exercent la prostitution, surtout, de manière occasionnelle ou clandestine. En revanche, les péripatéticiennes de nationalité étrangère viennent principalement du Ghana, du Nigéria, du Togo et du Libéria et sont en majorité « professionnelles » (CNLS/IST 2011 ; Berthe, 2008 : 166 ; Tamini/Nikyèma et al, 2004, Cartoux et al, 1999). Ces dernières années, avec la crise[5] en Côte-d’Ivoire, il y a un afflux d’Ivoiriennes. L’étrangeté de ces femmes au milieu leur permet d’afficher leur pratique de la prostitution. Qu’elles soient étrangères ou Burkinabè, les études se rejoignent sur le fait que les femmes prostituées ont, en majorité, un faible niveau de scolarisation et sont issues de familles économiquement défavorisées (Berthé, 2008 : 166 ; Tamini/Nikyèma et al 2004 ; Compaoré/Kambou, 2004 : 6). Elles sont âgées de 15 à 49 ans et même plus avec une proportion importante des jeunes entre 15 et 24 ans (Compaoré/Kambou 2004 : 5 ; CNLS/IST, 2011 : 28). Constituées de femmes de toute situation matrimoniale (célibataires, mariées/en union, divorcées/séparées, veuves°) avec un pic de célibataires, nombre sont des mères. A titre d’exemple, dans la’ recherche du CNLS/IST (2011 : 31), sur 1019 prostituées, 674 (66%) étaient mères avec en moyenne deux enfants et trois personnes à charge. Le profil des femmes prostituées connu, il reste à décrypter celui de leurs clients ainsi que leurs motivations.
2.4 Le profil des clients ou « prostitueurs » et leurs motivations Au Burkina Faso, les clients ou « prostitueurs » se rencontrent dans toutes les classes sociales, toutes les professions (Sore, 2009), toutes les ethnies et les religions : du charretier au député (législateur)[6] en passant par l’instituteur, l’infirmier le journaliste, le médecin, l’enseignant-chercheur, etc., (Sore, 2009), du simple fidèle à l’iman. Une des anecdotes racontées à Ouagadougou est le cas d’un maître coranique qui, un jour, pénétra dans une chambre de passe et vit son élève. Il feignit alors de ne pas savoir qu’il s’agissait d’une chambre de passe et s’exclama : « Comment ça, je me suis trompé ! Je pensais qu’il s’agissait d’un restaurant ! » Même les pauvres arrivent à s’acheter des femmes.« Madame, si tu as 5000F, tu vis une sexualité de 5 000F, si tu as 100 000F, une sexualité de 100 000F, 600 000F, une sexualité de 6 000 000F et ainsi de suite » nous fait remarquer Sibiri Tapsoba (entrevue, 16 décembre 2013). Les clients aussi sont plus souvent mariés que célibataires. Dans Soré (2009), sur 34 clients de femmes prostituées enquêtés, 16, soit 47,05% étaient mariés ou avaient une partenaire attitrée. Concernant leurs motivations pour la consommation de la sexualité vénale, les principales raisons avancées par les personnes que nous avons interviewées sont : curiosité, désir de satisfaire des fantasmes, d’expérimenter des actes sexuels refusés par les épouses et partenaires attitrées, c’est-à-dire, insatisfaction de la vie sexuelle de couple, désir de changer sans s’engager dans une relation sentimentale, envie de se défouler, besoin de vengeance vis-à-vis des femmes qui les rejettent. Ces différentes raisons permettent de saisir que : «La relation prostitutionnelle « n’est nullement comparable à un « travail » ni à un « commerce » comme un autre, encore moins à un rapport sexuel comme un autre. Il s’agit avant tout d’un rapport de domination, exercé par des hommes ayant le moyen de payer pour avoir accès au corps des femmes, sans s’encombrer de la réciprocité qu’exige habituellement une relation sexuelle non tarifée » (CSF, 2012 : 34). A titre illustratif, lors d’une discussion avec trois collègues hommes sur le viol au mois de janvier 2014, l’un deux déclara : « je condamne énergiquement le viol. Je peux comprendre qu’un homme viole une prostituée, fasse tout ce qu’il veut avec une prostituée, mais violer une femme ou une fille [respectable], c’est inacceptable ! » Mais pourquoi des femmes « louent » leurs corps à des hommes qui leur dénient un minimum de droits en tant que personnes? 3 La sexualité vénale : causes et conditions de « travail » Ce sont plusieurs facteurs liés qui poussent des femmes dans la prostitution au Burkina Faso.
3.1 Les causes Le prérequis clé : l’existence d’une demande Sans prendre position pour ou contre la prostitution, il convient de faire remarquer que sans client, il n’y a pas de prostitution (Legardinier, 1996 : 10), c’est-à-dire que « bien avant les intérêts économiques des proxénètes et des trafiquants ou la pauvreté des femmes, la principale raison à la source de toute prostitution est, évidemment, l’existence d’une demande. […]. Sans hommes à la recherche de plaisirs sexuels, la prostitution ne pourrait exister » (CSF, 2002 :35). Alice, une péripatéticienne burkinabè, elle, dit : « c’est parce que quand nous sortons nous avons des clients [prêts à payer de fortes sommes] que nous continuons de sortir ». La seule ville de Ouagadougou comptait, selon des responsables communaux, plus d’une centaine de chambres de passe et maisons closes en 2004 illustrant la forte demande de la sexualité vénale. Mais une fois la demande présente, qu’est-ce qui pousse des femmes à la satisfaire? Pour l’analyse, nous retiendrons que la prostitution est une relation commerciale étant donné que les femmes prostituées n’accepteraient pas de se prostituer si elles devaient le faire gratuitement (CSF, 2OO2 : 105).
La pauvreté, un facteur surdéterminant Selon les recherches menées sur la prostitution au Burkina Faso ainsi que les récits de vie des dix péripatéticiennes rencontrées, la pauvreté est le facteur surdéterminant qui conduit des femmes vers la prostitution. C’est le cas de Bintou, une Burkinabè de 25 ans non scolarisée. A 16 ans, elle décide de quitter son village pour chercher du travail à Ouagadougou. Elle est accueillie par sa grand-mère, mais la cohabitation avec cette dernière ne se passe pas bien, elle déménage chez une copine. Elle tombe enceinte et se met en couple avec le père de son enfant qui la répudie après quelques mois de vie commune à Ouagadougou. Elle retourne chez les siens, rejoint ensuite les parents du père de son enfant restés au village. Accusée de vol et rejetée, elle est obligée de squatter une maison vide de la cour. La situation est intenable (elle verse des larmes avant de poursuivre son récit). Elle retourne à Ouagadougou pour cohabiter avec des copines. Là, elle ramasse du sable, où en trois jours, elle peut réunir trois tas en raison de 1,52 euros le tas. Ce revenu est modique et il y a des jours où elle est obligée de fouiller des poubelles à la recherche de morceaux de plastique pour chauffer l’eau de bain de son enfant. Entre temps, elle arrive à trouver du travail dans un kiosque où elle est payée à 45, 73 euros le mois. Pendant cette période, elle déménage avec une copine dans une cour où y habite également un couple. Elle sera initiée à la prostitution par l’épouse. Aujourd’hui, Bintou qui n’accepte pas une passe à moins de 4,57 euros affirme gagner 15,24 à 68,59 euros par jour de prestation. Elle vit dans une maison assez confortable louée 53,27 euros par mois et bien meublée (beau canapé, frigo, télévision, etc.). Elle a une des motos les plus en vue à Ouagadougou, la « 135 » qu’elle a achetée à 1981,70 euros Elle dit qu’elle arrive à bien gagner sa vie par l’exercice de la prostitution, mais souligne que nombre de ses « collègues » sont des sans domiciles fixes, ne peuvent pas se loger correctement, et sont, par conséquent, victimes de vols récurrents (entrevue, 15 novembre 2013). Le récit de Bintou montre que les personnes prostituées ne sont pas toutes victimes de duperie, de manipulation ou de coercition. Elle savait que le « travail » consisterait à avoir des rapports sexuels avec des hommes contre de l’argent. Toutefois, une analyse approfondie des trajectoires de vie des 10 péripatéticiennes interviewées permet de conclure que l’entrée en prostitution reste une forme de contrainte (Mathieu 2002 : 59). En effet, les 10 récits se rejoignent sur un fait : confrontées à la pauvreté à des degrés divers, ces dix jeunes femmes veulent en sortir ! Elles espèrent tirer des gains substantiels de la prostitution, c’est à dire acquérir un certain pouvoir économique qui leur permette de satisfaire leurs besoins, soutenir leurs familles, de réaliser des projets, et d’être, par conséquent, des personnes bien en vue en société (besoin de valorisation, de reconnaissance sociale). En ne s’affichant pas dans leur environnement immédiat, elles veulent « voler de leurs propres ailes » tout en évitant la stigmatisation sociale liée à la prostitution. Comme le note Lilian Mathieu (2002 : 62), la prostitution est « l'une des rares voies d'atteinte ou de maintien d'un niveau de vie auquel la situation présente, et notamment une origine sociale modeste ou un faible niveau de compétence professionnelle, ne permet pas d'accéder ». La pauvreté n’explique cependant pas tout. Le manque d’argent n’est jamais toutefois la cause unique et suffisante qui pousse des personnes, principalement des femmes et des jeunes filles dans la prostitution (Legardinier, 1996 : 33 ; Tamini/Nikyèma et al, 2004 ; Bédard, 2005 : 11 ; Berthe, 2008 : 166). Celui-ci est conforté par des dysfonctionnements familiaux et sociaux. Les dysfonctionnements familiaux et sociaux Le récit de Bintou décrit une situation marquée par des ruptures (avec sa grand-mère, son conjoint de fait et la famille de celui-ci), le manque, la détresse (manque d’un local sécuritaire pour s’abriter avec son enfant) et la violence (psychologique). Ainsi, un contexte familial dysfonctionnel et violent constitue un incitatif important à l’engagement dans la prostitution. C’est le cas aussi des mineures, des filles chassées pour cause de grossesse et rejetées par les auteurs des grossesses, des filles ayant fui des mariages forcés. En plus des causes personnelles, s’ajoutent des causes plus structurelles liées aux transformations sociales. Il y a, en effet, aujourd’hui au Burkina Faso, un délitement des valeurs positives traditionnelles où l’humain et non l’argent était au centre des rapports sociaux d’une manière générale et des rapports sociaux de sexe en particulier. La dérive matérialiste a atteint un tel sommet que les évêques du Burkina Faso ont jugé nécessaire de tirer sur la sonnette d’alarme pour dénoncer le fait que « l’argent est aujourd’hui un véritable maître, une divinité idolâtrée par une jeunesse largement assoiffée de biens matériels et prête à tout pour s’en procurer » (Evêques du Burkina Faso, 2013 : 10). Tous ces éléments mettent en lumière le fait que la personne prostituée n’est pas la seule responsable de sa situation. Plusieurs acteurs y interviennent et le paroxysme de la responsabilité des autres est atteint dans le proxénétisme. Le proxénétisme, facteur invisible mais amplificateur du système prostitutionnel Le proxénétisme est prévu par l’article 424 du code pénal et puni d’un emprisonnement de un à trois ans et d’une amende de 457,31 à 1371,95 euros. Sont qualifiées de proxénètes, les personnes qui aident, assistent et vivent des subsides de personnes prostituées ou qui recrutent des personnes, même avec leur consentement, pour les livrer à la prostitution. Au Burkina Faso, on a un proxénétisme transfrontalier et un proxénétisme national. Le proxénétisme transnational touche essentiellement des personnes de nationalité étrangère et a comme filières principales : Nigéria-Burkina, Nigéria- Burkina - Mali et Nigéria-Bénin-Burkina-Mali. C’est le fait de femmes et d’hommes qui recrutent des jeunes filles et jeunes femmes (de gré ou par ruse) et même des mineures pour les livrer à la prostitution au Burkina Faso et au Mali. Pour décourager et éviter une éventuelle fugue des victimes, les proxénètes posent des actes d’intimidation. Ils confisquent leurs papiers d’identification, prélèvent des échantillons de leurs phanères (cheveux, poils pubiens, aisselles) et de leurs sous-vêtements (soutien gorge et slip), et leur font croire qu’en cas de fuite ou de non paiement des subsides, elles risquent la mort car un féticheur produira un « wack » (mauvais sort) avec les produits prélevés. Claudia et Rosalie, deux cousines germaines Nigérianes âgées de 21 ans font partie des milliers de victimes des proxénètes. Coiffeuses, elles acceptent de suivre Nadège au Burkina Faso qui dit être venue chercher des filles pour son Salon de coiffure basé à Ouagadougou. Nadège promet de les engager en raison de 228, 31 euros par mois. Par un simple coup de téléphone, les parents des deux jeunes femmes marquent leur accord et Claudia et Rosalie effectuent le voyage sur le Burkina Faso en compagnie de Nadège. Une fois à destination, elles réaliseront que Nadège est, en réalité, une prostituée, une proxénète. En effet, une semaine après leur arrivée, Nadège et son acolyte Cynthia, les obligent à se prostituer. Devant leur refus, elles sont battues et séquestrées. La cour où elles habitent est tout le temps fermé à clé. Elles ne peuvent en sortir que le soir pour aller « travailler » dans les chambres de passe Ouaga camping ou Ali-Baba, sous la supervision de leurs proxénètes. Elles sont contraintes d’aller avec au moins 10 clients par jour et de reverser, à leur retour de « travail », la totalité des recettes de la journée à Nadège qui, est la seule à détenir une situation des versements. Après une dizaine de jours de « travail », Claudia et Rosalie parviennent à alerter un voisin à travers la fenêtre. Celui-ci, un pasteur saisit la police qui intervient (entrevue du 25 juillet 2013). Le proxénétisme national, lui, concerne surtout le proxénétisme hôtelier et celui immobilier. C’est le fait des propriétaires et des gérants de chambres de passe, de maisons closes, de bars dancing avec chambres de passe, etc. La grande majorité des péripatéticiennes burkinabè « travaillent » de façon indépendante et ne sont pas sous la coupe de souteneurs proxénètes auxquels, elles doivent verser leurs revenus. Leur mode d’entrée principal dans le commerce du sexe est la cooptation par les paires (sœurs, cousines, copines, etc.). De fait, les propriétaires de lupanars, même s’ils ont quelquefois des cas de conscience, ne se sentent pas proxénètes, étant donné disent-ils, qu’ils n’y invitent pas les filles de force. C’est le cas de Gaston qui explique : «J’ai ouvert cette chambre de passe […]. quand j’ai eu des problèmes au travail [perdu mon travail]. Je n’avais pas de revenus et je ne savais pas comment faire. J’ai donc transformé ma maison que je louais à 68,59 euros par mois en chambres de passe […]. Il y a des moments quand je vois ce qui se passe ici et que je pense à mes filles, je me dis que si je gagne suffisamment d’argent, je dois trouver autre chose à faire » (entrevue, 17 septembre 2013). Les proxénètes au niveau national sont aussi le fait de femmes qui gardent les enfants en bas âge des péripatéticiennes ou de jeunes hommes - quelquefois, leurs amis intimes - qui leur cherchent des clients. Il y a même des proxénètes mineures ou moins âgées que leurs victimes. Mais que les proxénètes soient de nationalité étrangère ou burkinabè, ils/elles recrutent leurs victimes sous le couvert d’activités non réprimées ou même valorisées : campagnes d’évangélisation, prestations dans des troupes théâtrales et de danses et emploi comme serveuses dans des bars. En outre, les proxénètes entretiennent des relations ambigües avec leurs victimes mêlant affection, amitié, amour, manipulation et exploitation. Ainsi, Cynthia, première victime de Nadège à qui elle a reversé la somme de 1067,07 euros pour s’affranchir est devenue son alliée et ne trouve pas qu’elle a été exploitée. Elle justifie: « c’est normal que je paie car c’est Nadège qui m’habillait, me nourrissait et qui m’a appris les rouages du « métier » ». Mais, de quelle protection et aide s’agit-il? Vieillissement précoce, précarité financière, violence psychologique, etc. Cynthia, en effet, fait plus que son âge et est dans une situation financière difficile qui l’a poussée à devenir, à son tour, proxénète. C’est souvent cette voie que les anciennes prostituées empruntent pour s’enrichir, accéder au pouvoir économique tant rêvé ! Le proxénétisme promet de meilleures conditions de vie à ses victimes, mais produit, en réalité, de nouvelles difficultés, de nouvelles souffrances et violences.
3. 2 Les conditions effroyables de « travail » des femmes prostituées Les péripatéticiennes au Burkina Faso offrent « leurs services » principalement dans des maisons closes, des chambres de passe et dans des hôtels et auberges. Certaines suivent les clients à domicile ou acceptent des passes dans leurs véhicules ou encore dans des espaces vides tels l’espace vide du théâtre populaire de Ouagadougou. Les maisons closes sont en général des maisons de fortune, quelquefois sans fenêtre. Monsieur Emmanuel Nikièma, adjoint administratif à la commune de Ouagadougou distingue les maisons closes des chambres de passe en ces termes : « les clients rejoignent les femmes dans les maisons closes alors que pour les chambres de passe, clients et femmes se rencontrent et s’y rendent ». Les chambres de passe sont souvent matérialisées par une ampoule rouge ou verte. Les établissements de prostitution ont des heures d’ouverture et de fermeture, mais le marché du sexe, lui, est alimenté 24h sur 24h. La grande majorité des femmes prostituées « travaille » le soir à partir de 18h jusqu’ à 3-5 h du matin, mais d’autres « travaillent » dans la journée. A ce propos, monsieur Achille Ouléné témoigne que les enquêtes menées par le service de l’Action sociale de Ouagadougou révèlent que des péripatéticiennes ont des horaires de « travail » à l’image de ceux des fonctionnaires, soit de 7h à 18h. Certaines leur ont confié que des hommes passent les voir, soit le matin avant de rejoindre leur lieu de travail, soit aux heures de pauses (autour de 10h et de 12h30 à 15h) ou en fin de journée avant de rentrer à la maison. D’autres prétextent une course pendant les heures de travail pour leur rendre visite. Ces « fonctionnaires du sexe » affirment gagner entre 45, 73 et 76,21 euros par jour de « travail » (entrevue, 27 août 2013). Ainsi, le marché du sexe est alimenté de façon permanente : des péripatéticiennes « travaillent » tous les jours de la semaine (surtout celles sous domination de proxénètes) sans égard à leur cycle menstruel ou à leur état physiologique (enceinte ou non). Le nombre moyen de clients par jour et par péripatéticienne est, selon nos enquêtes, de cinq. Rappelons que Claudia et Rosalie, elles, étaient contraintes par leurs proxénètes, d’aller avec au moins 10 clients par jour soit 300 rencontres tarifées par mois. La passe se négocie à partir de 1,52 euro - 4, 57 euros. Le tarif de départ dans plusieurs chambres de passe de standing moyen est de 3,04 euros (1,52 euros pour la péripatéticienne et 1,52 euros versés au gérant de la chambre de passe, soit 50%). Ce tarif donne droit au seul coït qui dure 5 à 10 minutes. Pour d’autres actes, il faut payer plus. Les femmes prostituées acceptent 1,52 euros ou moins quand la rencontre tarifée ne se déroule pas dans un lieu payant. Il faut dire que la concurrence est rude. Une sortie le soir dans un bar-dancing avec chambres de passe comme Ouaga Camping donne froid au dos. Pendant qu’un certain nombre de péripatéticiennes sont en activité dans les chambres, vous avez, à vue d’œil, une centaine (avec des pics les fins de semaine) de jeunes femmes aux décolletés et minijupes consternants sur la piste de danse. Ce « bétail » de filles, et le mot n’est pas trop fort, s’arrache les hommes qui s’y aventurent. Et celles de « haut standing », de la « haute classe » préfèrent se faire amener dans des auberges ou des hôtels où les chambres coûtent plus cher, généralement à partir de 7,62 euros pour des chambres ventilées et 15,24 euros pour celles climatisées, cela pour quelques minutes ou heures. Outre la concurrence avec les paires, les femmes prostituées font les frais de la concurrence entre les établissements de prostitution : celles qui font défection de certaines chambres de passe sont violemment frappées, permanemment agressées par leurs anciens « protecteurs » (personnes chargées de la sécurité). Les femmes prostituées, rappelons-le, sont contraintes de verser aux gérants de passe, la somme de 1,52 euros par passe. En plus, chacune doit verser une commission, initialement de moins d’un euro et passée à 1,52 euros en 2013, aux « protecteurs » par jour de prestation. Autrement dit, les femmes prostituées, en plus de reverser 50% de leurs recettes minimales, assurent le salaire d’une partie du personnel des chambres de passe. Les propriétaires des lupanars engrangent donc des millions, une richesse colossale sur le dos de filles et de femmes en situation difficile. Par exemple, avec une moyenne journalière de cinq clients par femme prostituée, le propriétaire d’une chambre de passe fréquentée par 20 péripatéticiennes, empoche au bas mot 152,43 euros par jour, soit au moins 4573,17 euros par mois. Exploitées, violentées et droguées, les péripatéticiennes sont, quelques fois, violées et tuées et, en plus, elles « travaillent » dans un cadre très insalubre. Dans l’enquête de Bassératou Kindo (2013), Claire âgée de 15 ans confie qu’elle a été plusieurs fois victime de viols collectifs, mais n’a jamais eu le courage de porter plainte. Dans la même enquête, Aïcha, elle, confie qu’une de leurs paires a été tuée au secteur 23 de Bobo-Dioulasso. De plus, les péripatéticiennes constituent le groupe cible où la prévalence générale au VIH est très élevée, soit 16, 5% (CNLST-IST et BASP’96, 2011 : 14). En résumé, qu’elles soient Burkinabè ou de nationalité étrangère, les femmes prostituées « travaillent » dans des conditions de violence et d’insalubrité effroyable.
5 Que faire? Lors des entrevues, deux hommes, Marc Seynou et Issa Diallo nous ont tenu respectivement les propos suivants : « Vous savez madame, [en matière de prostitution] même si vous écrivez en condamnant les hommes, les gens ne vous diront rien, ils diront de vous laisser vous exciter! […]. C’est un contrat entre deux personnes consentantes! »; « Vous voyez madame, même un Hollande [Président de la République Française] va la nuit en rembo [marque d’une motocyclette au Burkina Faso] rejoindre son amante, c’est vous dire que le sexe…, nul n’est à l’abri des turpitudes liés au sexe. Même les religions ont démissionné dans ce domaine. A l’Église, les mini-jupes sont tolérées et le prêtre même lorgne une des filles présentes » (entrevues respectives du 16 décembre 2013 et du 05 janvier 2014). Ces propos mettent en lumière le fait qu’un grand nombre de personnes ne croit pas qu’on puisse mener une action contre la prostitution. Ils révèlent aussi, que le comportement de l’élite dirigeante, qu’elle soit politique, économique ou religieuse a un impact sur la perception et le comportement de l’ensemble de la population en matière de sexualité. Il faut donc agir même si la lutte butte sur des difficultés!
5. 1 Des difficultés réelles dans la lutte contre la prostitution En matière de lutte contre la prostitution, les autorités burkinabè affichent leurs limites. Pour comprendre le phénomène, la commune de Ouagadougou a mené, en 2004, une étude sur les racoleuses sexuelles de nationalité burkinabè de la commune de Ouagadougou qui a, entre autres faits, mis en relief le grand impact des lupanars sur le développement vertigineux du phénomène prostitutionnel (Compaoré/Kambou, 2004). C’est ainsi que la commune a procédé au recensement des chambres de passe en 2004 dont le nombre était estimé à plus d’une centaine. Ensuite, en 2008, le maire Simon Compaoré (resté à la tête de la commune de 1995 à 2012) et son conseil, ont décidé, pour contenir le phénomène prostitutionnel, la fermeture des lupanars. Après des concertations avec les propriétaires de ces établissements de prostitution, un moratoire d’un an à partir de mars 2008 leur avait été donné pour trouver des activités de substitution. Les propriétaires des lupanars avaient donné leur accord de principe, mais, en réalité, c’était pour mieux s’organiser et défendre leurs intérêts. Ils s’organisèrent en association, se dotèrent d’un conseil juridique et revendiquèrent leur métier qui, selon eux avaient des avantages pour la société burkinabè : emploi pour des personnes qui ont à charge plusieurs autres personnes ; possibilité d’accès au sexe pour toutes les couches sociales, diminution des rencontres tarifées à l’air libre, protection des femmes prostituées des éventuelles violences de clients, protection des autres femmes de viol, etc. Les personnes qu’ils/qu’elles emploient se sont aussi fait l’écho de ces revendications. Elles adressèrent, à travers la plume de leur délégué Zakaria Drabo, une lettre ouverte au Président du Faso dans le journal l’Observateur Paalga du 29 juillet 2009. On peut y lire : «Excellence monsieur le Président, Ouagadougou compte, de nos jours, plus d’une centaine de chambres de passe, et chaque chambre emploie à peu près une quinzaine de personnes qui ont des femmes et des enfants à nourrir, à scolariser. Voyez-vous combien de personnes vous allez priver de leur emploi en les envoyant grossir la rue par la fermeture de ces chambres ? »(Drabo, 2009). Ainsi, selon les tenancier.e.s d’établissement de prostitution et leurs employé.e.s, il faudrait légaliser la prostitution afin de mieux l’encadrer. Dans les faits, les résultats positifs qu’a donnés le bras de fer entre l’autorité communale de Ouagadougou et les propriétaires de lupanars a été un assainissement de ces lieux : nombre d’entre eux ont réfectionné leurs locaux, en carrelant, remplaçant les simples traverses en tissus par des murs, incorporant des douches internes, etc. Seules quelques chambres de passe ont pu être fermées pour cause d’insalubrité sur plus de la centaine qu’en comptait la ville de Ouagadougou. Même aujourd’hui, les tenanciers d’établissement de prostitution défient autorités et populations. Par exemple, le 23 septembre 2013, des riverains du quartier karparla à Ouagadougou se sont insurgés contre l’ouverture d’une chambre de passe qu’ils ont menacé de saccager, mais deux semaines après, le propriétaire a rouvert sa chambre de passe (Sidwaya, 2013 a et b). Parallèlement aux concertations avec les tenanciers de lupanars, des échanges ont également eu lieu en 2004 entre les autorités communales de Ouagadougou assistées du Projet Sida 3 et les péripatéticiennes de nationalité burkinabè pour, d’un côté, connaître leurs difficultés et de l’autre, examiner des stratégies de sortie de la prostitution. Selon nos enquêtes, ces péripatéticiennes ont formulé des besoins irréalistes et irréalisables : elles ont demandé, pour abandonner la prostitution, des montants allant de 762,19 à 6097,56 euros pour mener des activités génératrices de revenus. Ne disposant pas d’un tel budget, aucune action d’envergure de reconversion des péripatéticiennes adultes n’a pu être réalisée par les autorités communales de Ouagadougou (entrevue avec des agents communaux, 22 août 2013). Toutefois, la commune a poursuivi son investigation dans le domaine en s’intéressant aux mineures. La responsable de la Direction du Développement Social de la commune d’alors, madame Marie Paule Compaoré/Kambou a, ainsi, réalisé une étude sur les péripatéticiennes mineures de 14 à 17 ans dans le cadre de son Diplôme Supérieur en Travail Social International en 2007. Suite à cela, la commune a obtenu de l’UNICEF le financement d’un projet de formation et de réinsertion sociale de 20 mineures. C’est en effet pour les personnes mineures qu’un dispositif d’assistance existe en matière de prostitution. Ainsi, en cas d’interception ou d’accueil de victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle par la brigade régionale de la protection de l’enfance de Ouagadougou (BRPE) par exemple, ces personnes sont référées au service de l’action sociale qui les héberge et assure leur prise en charge alimentaire, psychologique et sanitaire. Pour les victimes de nationalité burkinabè, le service de l’action sociale travaille à leur réinsertion familiale et socioéconomique et pour celles de nationalité étrangère, il se charge de leur rapatriement dans leur pays en collaboration avec la représentation diplomatique au Burkina Faso. Pour les personnes majeures, les autorités rencontrent de difficultés réelles, en l’occurrence un manque de ressources financières, qui annihilent la lutte contre la traite des filles à des fins de prostitution. Le Chef de la BRPE de Ouagadougou, le commissaire Ouintaré Ouédraogo, a interpellé les autorités compétentes sur le sujet, mais aucune solution n’a, pour le moment, été trouvée. Ainsi, dans le cas, de Claudia et de Rosalie, la BRPE a dû recourir à Nadège, présumée proxénète pour payer leurs frais de rapatriement qui s’élevaient à 304,87 euros. En contrepartie, ce dossier n’a pas été transmis au parquet. De fait, les actions de grande envergure en faveur des péripatéticiennes adultes sont développées surtout sur le plan sanitaire. Plusieurs projets et ONG travaillent à prévenir et à prendre en charge le Sida et les infections sexuellement transmissibles au sein des péripatéticiennes, mais il n’y a pas d’actions de grande envergure pour leur insertion/réinsertion sur le marché du travail. Ces différents constats permettent de conclure que le Burkina Faso n’a pas de dispositif d'assistance aux personnes prostituées adultes qui souhaitent sortir de la prostitution.
5.2 Mais des pistes de sortie existent Comme l’a souligné, une des personnes interviewées, Sibiri Tapsoba, « il y a 40, 50 ans, on ne pouvait pas imaginer que l’on puisse abandonner la pratique du don de femmes au Burkina Faso, mais aujourd’hui, ce phénomène est en recul. Un jour viendra aussi où la prostitution disparaîtra ». Pour contrer le système prostitutionnel au Burkina Faso, il faut un engagement politique et social des différentes composantes de la société. Changer les mentalités pour rendre l’achat de sexe socialement inacceptable Dans le phénomène prostitutionnel, les femmes sont souvent tenues pour seules responsables de leurs comportements, de leurs situations. C’est le fait surtout de vendre son corps qui est socialement et moralement condamné. Mais il faudrait que le fait d’acheter le corps d’autrui le soit aussi. Il faut au Burkina Faso, une volonté politique qui travaille à rendre l’achat de sexe socialement inacceptable. A ce propos, le Président Thomas Sankara précisait la position du gouvernement révolutionnaire: «Notre point de vue est que la prostitution n’est qu’une des injustices sociales et de la philosophie d’exploitation qui conduisent des sociétés à la dégénérescence. C’est pourquoi au Burkina Faso, nous combattons la prostitution –mais notre stratégie pose clairement l’obligation pour nous de tuer le mal sans tuer le malade – c’est-à-dire éliminer la prostitution tout en protégeant la prostituée (Sankara, 1986). La proscription de l’achat de sexe est un moyen de lutter contre la prostitution, les personnes « prostitueuses » et non contre les personnes prostituées. Pour ce faire, plusieurs acteurs, notamment ceux coutumiers et religieux devraient s’y investir. Ainsi, au lieu que les prêches dans nos mosquées, églises et temples soient surtout centrées sur la nécessaire soumission de l’épouse à l’époux, ou sur la gravité de l’infidélité de l’épouse (c’est peut-être choquant, mais il faut oser s’attaquer au tabou pour des transformations structurelles dans les rapports de genre), les leaders religieux devraient aussi condamner publiquement le fait d’acheter du sexe et de tâter les seins et les fesses des jeunes filles et des femmes dans les rues contre leur gré. Les messages passés dans les lieux de culte ont un impact fort sur le comportement des fidèles, car considérés comme des paroles divines. C’est toute la culture pornographique qui doit être refusée. Les parent´s´es aussi doivent jouer leur partition en luttant contre l’hyper sexualisation de leurs filles qui s’habillent comme des objets sexuels destinés à la consommation des hommes. Avec une telle posture, l’éventualité d’une légalisation de la prostitution au Burkina Faso est à exclure. Les personnes favorables à la légalisation se disent pragmatiques et donnent, entre autres arguments, que cela améliorera les conditions de pratique, en protégeant les péripatéticiennes de la violence des clients, des proxénètes et des abus des forces de l’ordre. De tels arguments sont vite battus en brèche au Burkina Faso. Même légalisée, la grande majorité des péripatéticiennes nationales continuera de pratiquer la prostitution de façon occasionnelle et clandestine. Au contraire, la légalisation de la prostitution aura un impact catastrophique sur l’image des femmes. Une fois légalisée, la prostitution devient normale, banale, « un divertissement légitime », (CSF, 2012 : 111). Toutes les femmes deviennent « prostituables » et n’importe quel homme, sans état d’âme, pourrait proposer à toute femme (sans qu’elle ait une voie de recours légitime pour se plaindre) de consommer son sexe contre de l’argent comme cet homme (blanc) qui, un jour de 2000 a, à Genève, en Suisse, lancé à notre copine ivoirienne (noire) alors qu’elle se rendait à l’université : « c’est combien, 100F CH, ça peut suffire ? » La légalisation produirait ainsi des effets négatifs sur les relations de couples et les relations entre les femmes et les hommes au travail ; ce qui met en lumière le fait que le choix des femmes prostituées affecte les autres femmes. De plus, les établissements de prostitution seront des nids légaux de bandits et de vente de drogue. Il nous faut inculquer un fonds de valeurs morales non négociables à nos enfants.
Éducation des enfants sur le respect de la dignité et de l’intégrité de chaque être humain C’est connu que l’école est le lieu d’inculcation de valeurs universelles qui transcendent les valeurs spécifiques propres aux familles et aux communautés. Ainsi, pour que nos enfants fassent du principe du respect de leurs propres corps et de celui d’autrui, leur credo, il faut le leur inculquer très tôt, dès leur jeune âge. Ainsi, nous préconisons que l’on puisse instaurer un cours sur la lutte contre le proxénétisme et la prostitution, dès la classe de sixième, au Burkina Faso. Ce cours/thème pourrait être introduit dans celui plus global de santé sexuelle et de la reproduction déjà dispensé. Ce cours aura l’avantage d’ouvrir un débat public sur la prostitution qui reste un sujet tabou au Burkina Faso. Il permettra aussi d’outiller les jeunes filles pour résister à la pression que leur imposent certains modèles féminins réducteurs qui les amènent à s’habiller comme des objets sexuels destinés à aiguiser l’appétit sexuel des hommes. Un tel programme favorisera donc le refus des images réductrices des femmes par toute la société burkinabè. Il contribuera à l’instauration de rapports sociaux et sexuels plus respectueux entre les femmes et les hommes. Par ailleurs, on pourrait, dans différents cadres de sensibilisation sur les méfaits de la prostitution, inviter des anciennes prostituées, notamment celles identifiées par la commune de Ouagadougou en 2003-2004, à venir témoigner de leurs expériences. Elles seront des animatrices dans les actions et activités de lutte contre la prostitution. Assister et soutenir, plutôt que réprimer Que ce soit les péripatéticiennes rencontrées par la mairie de Ouagadougou ou celles que nous avons interviewées, la quasi-totalité souhaite s’extraire du marché du sexe et gagner autrement sa vie.Il faudrait donc que l’Etat puisse, dans ce sens, leur venir en aide. Ainsi, les autorités compétentes devraient mettre en place d’autres stratégies de lutte contre la prostitution et ses conséquences (insécurité et désordre publics) que la répression des péripatéticiennes qui aggrave leur situation de détresse. Les équipes chargées des opérations de rafles, devraient, pour être efficaces, être, comme le suggère Achille Ouléné, composées d’agente·s de plusieurs corps et disciplines (gendarmes, policiers, éducateurs sociaux et éducatrices sociales, psychologues, etc.). De telles équipes composites auront l’avantage de réduire et d’éviter les actes de brutalité, de violence, de harcèlement sexuel et de corruption de policiers et de militaires envers les péripatéticiennes. On sensibilisera - et même verbalisera- les clients sur leur rôle dans le maintien du marché de la prostitution. Les prostituées, elles, seront prises en charge, par la suite, par les services du ministère de l’action sociale et le ministère de la promotion de la femme et du genre qui chercheront à comprendre leurs trajectoires et les aideront à s’extraire de l’industrie du sexe et à exercer leur pleine agentivité. Pour aider les services de l’action sociale et le ministère de la promotion de la femme et du genre dans leur travail, un fonds de soutien aux personnes vulnérables, à l’exemple du Fonds d’Appui aux Activités Rémunératrices des Femmes (FAARF) sera mis en place pour aider les péripatéticiennes à exercer des activités génératrices de revenus. Notre analyse a, en effet révélé, que l’absence ou la modicité de revenus des femmes constituent de fait, l’un des facteurs surdéterminants qui pousse certaines d’entre elles sur le marché de la prostitution. Le fonds contrera un tel handicap. Ce fonds devrait, cependant, avoir un niveau de financement adéquat. Si nous considérons la somme de 762,19 euros que les péripatéticiennes ont donnée comme étant le minimum qu’elles voudraient pour mener des activités génératrices de revenus, cette somme correspond à 10 fois le montant d’un premier crédit accordé par le FAARF, soit 76,21 euros. Les montants de crédit (à intérêt réduit) octroyés par individu-e, devraient donc, dans le cadre de ce fonds, être plus importants. Cela permettra aux personnes, y compris les femmes prostituées, qui n’ont pas de salaires réguliers à fournir comme garantie, de bénéficier de crédits. Un tel fonds ne devrait pas, en effet, cibler uniquement les péripatéticiennes, car nombre d’entre elles pourraient refuser cette aide de peur d’être stigmatisées. Ce fonds pourrait être alimenté par l’organisation d’évènements ayant pour objectifs de lever des fonds tels que les kermesses. Fermer les débits de boisson qui ont dévié de leur mission L’analyse a mis en lumière les moyens limités du Burkina Faso en matière de lutte contre le trafic des filles et des femmes à des fins d’exploitation sexuelle. Si le manque de moyens est réel, il y a également un certain manque de volonté politique en ce qui concerne la répression contre le proxénétisme. Nos enquêtes auprès des services des impôts, de deux gérants et d’un propriétaire de chambre de passe ont révélé que les autorités compétentes (les mairies) ne reçoivent jamais de demande pour ouverture d’une chambre de passe ou d’une maison close. Les personnes tenancières de ces établissements ont officiellement fait des demandes soit d’ouverture de débits de boissons, d’entreprises de restauration ou de centre d’hébergements (auberges) et ont obtenu des licences dans ce seul but. Ainsi, si l’autorité politique a une réelle volonté de lutte contre le phénomène prostitutionnel, elle peut fermer les débits de boisson qui, de fait, sont des chambres de passe ainsi que les auberges qui ne répondent pas aux normes de ce type d’établissement (gîtes et couverts offerts). Des sanctions devraient aussi être envisagées contre les personnes qui, sans autorisation aucune, ont transformé leur maison d’habitation en chambres de passe ou maison close. On pourrait dans un premier temps les sommer de fermer de tels établissements de prostitution et s’ils/elles récidivent, retirer dans un deuxième temps la parcelle qu’ils/elles ont acquise pour y habiter et non pour s’y livrer à des activités de débauche, de prostitution. L’autorité communale devrait aussi ordonner la fermeture des boîtes de nuit qui offrent des spectacles de striptease (érotiques)[7]. Surtaxer les revenus des tenancier.e.s d’établissements de prostitution Etant donné que les chambres de passe existent légalement comme débits de boisson ou comme centres d’hébergement et de restauration, la grande majorité de ces établissements relève, sur le plan fiscal, du régime de la contribution du secteur boissons (CSB) ou de celui de la contribution du secteur informel (CSI). Pour ce faire, les propriétaires de chambres de passe s’acquittent, généralement, essentiellement de deux impôts/taxes principaux : selon le cas, la CSB ou la CSI retenue à la source et les impôts uniques sur les traitements et salaires (IUTS) des salarié·e·s. Pour contenir la floraison des chambres de passe qui alimentent le marché du sexe, il faudrait répertorier tous les établissements qui sont, en réalité, des établissements de prostitution et leur appliquer des impôts et taxes spécifiques. Nous retenons le fait que quand on augmente des taxes et impôts, les fournisseurs et propriétaires d’entreprises les font supporter par les personnes clientes en augmentant les prix de leurs produits et les tarifs de leurs services. Il y a donc un risque qu’une surtaxe des activités des tenancier.e.s des établissements de prostitution se répercute de façon négative sur les conditions de « travail » imposées aux péripatéticiennes. Toutefois, cet impact négatif peut être évité si la surtaxe est imposée sur le revenu réel (final) des personnes tenancières des établissements de prostitution. Plus, ils taxent les péripatéticiennes et gagnent, plus ils paient ; moins ils gagnent et les taxent, moins ils payent. Au Burkina Faso, l’imposition fiscale est basée sur les déclarations du ou de la contribuable. Et pour vérifier la sincérité de ces déclarations, l’administration fiscale réalise un certain nombre de contrôles, notamment des pièces et de la comptabilité. En ce qui concerne les chambres de passe et les maisons closes, la proportion importante des revenus à savoir les sommes versées par les péripatéticiennes n’est pas matérialisée et échappe, en conséquence, à l’imposition. Or, ces revenus, nous l’avons vu, sont colossaux et cela transparaît dans la lettre ouverte du délégué des « travailleurs » des chambres de passe au Président du Faso quand il dit : Excellence monsieur le président, si vous taxez chaque propriétaire de chambre de passe de payer au moins deux cent cinquante mille (250 000) F CFA [381,09 euros] par mois - et je suis persuadé qu’ils peuvent payer -, cela fera pour le Trésor public une recette mensuelle de vingt-cinq millions (25 000 000) de F CFA [38109,75 euros] (Drabo, 2009). Les taxes et impôts spécifiques que nous proposons devront être imposés sur le revenu qui devrait être évalué sur la base d’au moins deux éléments : une observation directe sur le terrain pour connaître le nombre moyen de péripatéticiennes que l’établissement accueille par jour ainsi que le nombre moyen de clients par péripatéticienne par jour ; des entrevues avec les péripatéticiennes pour connaître les conditions de « travail » qui leur sont imposées. Seule une telle évaluation permettra de taxer les personnes tenancières de chambres de passe et maisons closes à hauteur des revenus réels qu’ils engrangent. Si leurs gains devenaient moins importants en raison d’obligations fiscales, il y aurait moins d’émules. Telles sont les principales actions que nous proposons pour faire reculer ou contenir le phénomène prostitutionnel au Burkina Faso. Que pouvons-nous retenir comme conclusion au terme de cette analyse? Conclusion La prostitution est un phénomène à plusieurs dimensions : économique, social, culturel et juridique. Devenue, comme dans nombre de pays, plus jeune, plus mobile ; le phénomène prostitutionnel a pris une ampleur insoupçonnée au Burkina Faso où elle touche toutes les catégories sociales, tous les âges, toutes les ethnies. Pour le faire reculer, il conviendrait que la société burkinabè arrête de considérer les seules personnes prostituées comme des criminelles. La recherche de solutions au fléau de la prostitution requiert l’engagement de la société toute entière dans ses différentes composantes et les pouvoirs publics y ont une grande responsabilité. Jusque là, au Burkina Faso, ce sont surtout les questions de protection de l’ordre et de la santé publique qui ont été prises en charge par les pouvoirs publics, or, il faudrait s’intéresser à la situation des péripatéticiennes en tant personnes. L’assainissement des chambres de passe par exemple, améliore les conditions de pratique de la prostitution mais n’ont aucun impact sur le recul du fléau en lui-même. Pour une société respectueuse des droits humains et qui voudrait assurer une égalité entre les hommes et les femmes, il faut bannir l’exploitation sauvage des corps des autres et principalement des filles et des femmes. Il faudrait donc une volonté politique qui engage aussi des actions contre les proxénètes que sont les tenanciers de lupanars. A défaut de pouvoir les réprimer, il faut que ces personnes paient - par le biais de taxes d’impôts importantes, condition d’ouverture et de maintien de leurs commerces - à hauteur des torts qu’ils causent à notre société. Si leurs activités devenaient moins lucratives, plus astreignantes, cela fera moins d’émules. Et en plus, les recettes contribueront à créer des activités génératrices de revenus substantiels pour les péripatéticiennes qui abandonneront la prostitution et recouvriront ainsi, leur dignité. On peut vivre sans prostitution. On a le droit de vivre sans prostitution. Bibliographie BARDEM, Isabelle .1994 a. « La guerre des sexes et l’argent roi à Ouagadougou : entre hommes et femmes, chacun pour soi » In Groupe d’Etude sur la Modernité dans les Villes Africaines, Institut d’Etudes du Développement Economique et Social, Université de Paris I Processus d’individualisation dans les villes ouest-africaines, (pp.151-179) -Panthéon-Sorbonne. BARDEM, Isabelle .1994 b. Précarités juvéniles et individualisme à Ouagadougou. Etude des pratiques et des représentations des jeunes adultes en situation de précarité. Thèse de doctorat, Université de paris I Sorbonne. BARDEM, Isabelle et Isabelle GOBATTO .1994. Vingt quatre prostituées face au risque du sida à Ouagadougou, Ouagadougou : ANRS/ORSTOM. BÉDARD, Emmanuelle .2005. Rapports de genre, sexualité et comportements à risques des clients et autres partenaires sexuels des travailleuses du sexe de Ouagadougou. Thèse de doctorat, Université de Laval, Québec. BERTHE, Abdramane .2008. « Comprendre et atteindre les jeunes travailleuses du sexe clandestines du Burkina Faso pour une meilleure riposte au VIH ». Cahiers de Santé, 18 (3), 163-173. BURKINA FASO .2013. Codes des impôts 2013. Paris : Droit Afrique. BUBKINA FASO .1996. Code pénal. Loi No 043/96/ADP du 13/11/1996, Ouagadougou : Publications du Journal Officiel. BOA. .2013. 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des jeunes filles : une recherche opérationnelle pour une intervention
auprès des groupes cibles. Rapport final. Ouagadougou, CCISD. Notice biographique
Lydia Rouamba est titulaire d’un doctorat en sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Elle commence sa carrière de sociologue en 1991. Après avoir travaillé sur différents projets de coopération, respectivement, entre le Burkina Faso et l’Allemagne, le Burkina et les Pays-Bas ainsi que le Burkina et le Canada, elle devient consultante, puis chercheure, d’abord au laboratoire citoyennetés et ensuite à l’Institut des Sciences des Sociétés du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique du Burkina Faso (INSS/CNRST). Ses recherches portent principalement sur la participation des femmes à la politique et au développement, de même que sur des questions relatives à l’éducation et à la famille.
[1] La rue Zomkom dans le prolongement de la chambre de passe Ali Baba, l’avenue 56 et l’avenue Dimdolsom au quartier Dapoya. [2] Selon Judith Walkowitz (1991 : 398) cité par CSF (2002 : 98), ce mouvement a été initié par Joséphine Butler en Grande-Bretagne en 1869 pour réclamer l’abolition du décret qui contraignait les péripatéticiennes à des contrôles sanitaires et policiers. [3] Kiedpalogo signifie en moore, langue des Moose, récemment arrivés ou installés. [4] Les conversions tout au long du texte sont faites sur la base de 1 euro = 656 FCFA (655,957FCFA). [5] De 2002 à 2007, la Côte-d’Ivoire était divisée en deux zones géographiques distinctes : le sud tenu par les Forces armées de Côte d'Ivoire (FANCI) et le nord tenu par les Forces armées des Forces nouvelles (FAFN). [6] Dans Soré (2009), Zina, une péripatéticienne affirme qu’un député lui a demandé un jour de lécher son anus. [7] C’est le cas du Havana Club sur l’avenue Dimdolsom au quartier dapoya qui offre des spectacles de striptease dans son salon VIP (Very Important Person). labrys,
études féministes/ estudos feministas |