labrys,études féministes

numéro 3, janvier / juillet 2003

 

 

Féminisation de la pauvreté au Sénégal et évolution

des rapports sociaux de sexe dans les familles : le cas de la banlieue ouvrière de Dakar [1]

 

 

Codou Bop

Résumé

Depuis l’adoption de politiques d’ajustement structurel en 1981, les populations sénégalaises connaissent une détérioration continue de leurs conditions de vie. Les femmes, qu’elles vivent en zone urbaine ou en milieu rural, sont reconnues comme constituant un groupe important parmi les pauvres du fait des discriminations dont elles continuent de faire l’objet. Or bien que certaines initiatives en leur faveur aient été prises par le gouvernement, les bailleurs de fonds et les ONG elles n’ont pas encore atteint les résultats escomptés. L’insuffisance de la prise de conscience des rapports inégalitaires entre les sexes pourrait expliquer la maigreur des résultats obtenus.. Pour lutter contre leur marginalisation, les femmes s’organisent individuellement ou collectivement en s’investissant dans des activités génératrices de revenus. Leurs actions, mais aussi leurs tentatives d’élargir leur pouvoir de négociation dans la communauté et la famille commencent à porter des fruits, notamment dans les zones périphériques de la capitale. Les données qui ont été utilisées pour rédiger cette communication proviennent d’une étude sur “ Les stratégies de développées par les femmes pour lutter contre la pauvreté au Sénégal” que j’ai menée en 2000 comme consultante recrutée par le Ministère des Finances et du Plan, la Banque mondiale et le Ministère de la Famille, de l’Action sociale et de la Solidarité nationale dans le cadre des études que le gouvernement sénégalais entreprend pour élaborer ou mettre à jour ses programmes (nationaux ou sectoriels) d’allégement de la pauvreté. Les données ont été collectées dans les quartiers populaires de la banlieue de Dakar (quartiers de Yeumbeul, Diamagueune, Thiaroye, et dans les Nyayes à Sangalkam et Sébikhotane). 

1 Le contexte

        Au niveau national

Au Sénégal, c’est l’Enquête sur les Priorités, réalisée en 1993 dans le cadre des dimensions sociales de l'ajustement (DSA) qui fournit des données sur les conditions de vie des populations, sur leurs revenus et sur l'incidence de la pauvreté sur les ménages. Elle estime que 30% des ménages sénégalais vivent en dessous du seuil de pauvreté. Dans les villes, 17 % des ménages sont concernés. Dakar, la capitale, regroupe 50% des ménages pauvres.

Mais si les ravages de la pauvreté sont reconnus par les autorités, elle est plutôt appréhendée comme un “ phénomène transitoire qui semble réversible à plus ou moins brève échéance”.

L’enquête indique également que la majorité des femmes sont pauvres. Ce qui s’explique par leur importance numérique (52% de la population), la faiblesse de leur accès aux facteurs de production et le poids de leurs responsabilités familiales, alourdies par l’exode des hommes. Dans le cadre des programmes de lutte contre la pauvreté, il faut noter que si les femmes sont considérées, c’est surtout en fonction de leur rôle de reproductrices et non comme des productrices. En effet l’un d’eux, le Projet de Nutrition Communautaire, cible principalement les femmes enceintes et allaitantes et les enfants de moins de 36 mois, dans le but d’améliorer leur nutrition.

·        Au niveau des sites de l’étude

La banlieue de Dakar a abrité dans les années 60, la plupart des usines de transformation qui se sont développées dans les localités péri-urbaines. Très propice au maraîchage et à l’aviculture, la zone des Niayes, située à une cinquantaine de kilomètres de la capitale, a aussi enregistré la création de fermes agro-industrielles.

Les possibilités offertes en matière d'emploi dans ces zones ont attiré une grande masse de ruraux, en majorité dépourvus de qualification professionnelle, mais aussi de populations "déguerpies" de certains quartiers centraux de Dakar.

Aujourd’hui, la conjoncture a dramatiquement changé avec la fermeture de la plupart des usines, et les licenciements opérés par les industries, dans le cadre des politiques d’ajustement structurel. Ces zones connaissent un taux de chômage très important qui concerne particulièrement les jeunes et les femmes. Une telle situation a conduit à une expansion considérable du secteur informel, devenu l'unique débouché pour les demandeurs d'emploi, en particulier les  femmes.

II – La féminisation de la pauvreté au Sénégal et l’augmentation des responsabilités des femmes dans le maintien des familles

A- Les causes

Les femmes enquêtées dans le cadre de cette étude, ont identifié trois phénomènes essentiels, qui, selon elles, expliquent la féminisation de la pauvreté  Il s'agit dans le premier cas des politiques sociales menées par le gouvernement, dans le deuxième, de leur position sociale qui les prive de pouvoir dans la famille et dans la communauté, et dans le troisième des stratégies déployées par les hommes pour se soustraire à leurs responsabilités familiales.

    Les politiques sociales

Les  femmes ont mis en évidence l’impact des politiques sociales sur les secteurs dont elles ont traditionnellement la charge (alimentation, eau / assainissement, santé etc.) et leur rôle dans la génération et la perpétuation de la pauvreté.

Utilisant un des indicateurs retenus pour mesurer la pauvreté au niveau des ménages et des individus : le niveau de revenu, elles ont estimé qu’il est non seulement très faible, mais qu’il est dans certains cas,  inexistant.

Un autre indicateur de mesure de la pauvreté relevé par les populations interrogées, est le nombre de repas que la famille peut offrir à ses membres. Selon elles, beaucoup de ménages vivant dans leur quartier ne peuvent prétendre qu’à un unique repas quotidien. Elles soulignent par ailleurs que le meilleur indicateur de cette situation est le port misérable des enfants et l’état physique très déplorable des adultes. Cette situation de pauvreté est aggravée par l’absence de tout élan de solidarité.

Concernant la santé, l'insuffisance des ressources et des infrastructures en permettant une prise en charge adéquate et la privatisation des soins de santé ont des conséquences sérieuses sur le maintien des femmes, des jeunes filles et des enfants en bonne santé. Celles qui sont dans leur période reproductive peuvent courir des risques importants. En effet même en zone péri-urbaine, les maternités peuvent être très éloignées de certains quartiers, avec comme résultat, des accouchements dans des conditions très précaires et à la limite dangereuses. A ce titre, l'exemple d'une femme interrogée à Sebi Gare qui, prise de douleurs et se rendant au centre de santé, a accouché toute seule, au bord de la route, par une nuit pluvieuse. Il semble que de tels cas ne soient pas rares. Dans l'ensemble des sites de l’enquête, les femmes, dans leur grande majorité, continuent d'accoucher à domicile avec l’assistance d'une matrone.

Concernant les enfants, les femmes ont donné l'exemple du Programme Elargi de Vaccination dont certains parents extrêmement démunis ne peuvent pas bénéficier, parce qu'ils ne disposent même pas des 150F (environ 25 cents US) requis pour la vaccination d'un enfant. En conséquence, dans plusieurs familles les enfants ne reçoivent pas l'ensemble des vaccins nécessaires à leur protection.

D’autre part, les femmes estiment que la situation sanitaire des populations est rendue encore plus précaire par la hausse constante et non contrôlée des prix des denrées alimentaires. Dans ce contexte, la plupart des familles ne peuvent assurer à leurs membres des repas suffisants en quantité et en qualité, d'où l'existence d'une malnutrition larvée.

Ensuite, en ce qui concerne l’école, les femmes rencontrées soulignent qu'aujourd'hui, avec la diminution de l’apport de l’Etat (cessation de la politique de fourniture de livres et de cahiers, arrêt de l'octroi de bourses scolaires et la fermeture des internats), une grande partie des frais de scolarité est supportée par la famille. Or, estiment-elles, la faiblesse des moyens des familles ne permet pas d’assurer un accès à l’école au plus grand nombre d'enfants et une qualité de l’éducation reçue. De leur point de vue, la diminution du niveau et de la qualité de l'enseignement pénalise les zones péri-urbaines et en dernier ressort fait baisser les taux de scolarisation surtout chez les filles. Dans cette situation, elles ne voient pas comment le cycle de la pauvreté peut être brisé, si leurs enfants ne peuvent pas accéder à l’éducation et plus tard à un emploi rémunérateur.

·        Le statut social féminin

Au niveau social, l’inégalité des rapports entre les sexes a été retenue par les femmes interrogées comme un rouage principal dans les mécanismes de perpétuation de la pauvreté féminine. Selon elles, leur exclusion des instances de décision, et des centres de contrôle et de distribution des ressources joue un rôle important dans le maintien de la pauvreté.

De ce point de vue, les difficultés d’accès à la terre dans la zone péri-urbaines qui offrent d'importantes possibilités dans le domaine du maraîchage et de l'embouche ovine, résultant en partie de leur absence du Conseil rural chargé de l'affectation des terres, en constituent une illustration. Les femmes ont noté que des jeunes hommes récemment mariés peuvent se voir allouer des terres, mais pas elles, quel que soit leur statut ou leur âge. Selon elles, cette situation devient un frein à leur capacité d'entreprendre des activités génératrices de revenus.

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·        Les stratégies déployées par les hommes pour se soustraire à leurs responsabilités familiales.

Non-cohabitationn

Deux pratiques traditionnelles favorisent la non-cohabitation : maintien de l’épouse dans sa propre famille après le mariage, et les résidences séparées du fait de la polygamie

Dans le premier cas, bien que le Code de la famille dispose que le mari est tenu de procurer un domicile à son épouse qui, est tenue d’y habiter, la tradition accepte que si l’époux ne se trouve pas encore en mesure de fournir cette résidence, dans l’attente, sa femme peut vivre chez ses parents. Cette situation peut durer plusieurs années pendant lesquelles des enfants naissent. L’époux contribue à l’entretien de sa famille, mais pour l’essentiel les charges sont supportées par les parents de sa femme

Le cas des ménages polygames :

Selon l’Enquête Démographique et de Santé (EDS, 1997),  45,5 % des femmes mariées sont dans des ménages polygames, c’est dire l’importance du phénomène dans les familles sénégalaises. L’époux peut décider que toutes ses épouses et enfants vivront dans la même maison. Mais souvent, pour éviter les tensions, les femmes préfèrent avoir chacune sa résidence dans laquelle, elles sont visitées à tour de rôle par leur époux, qui doit les entretenir. Mais quand il ne respect pas cette règle, les femmes se trouve obligées de subvenir en totalité ou en partie aux besoins du ménage.

Dans les sites de l’enquête, avec le licenciement ou la mise à la retraite anticipée des pères de famille, la polygamie largement répandue, l’insuffisance des revenus procurés par les activités agricoles et le chômage des jeunes, ce sont les femmes qui se retrouvent de facto chef des ménages dont elles assurent en grande partie l'entretien. Les femmes interrogées ont révélé qu’en dans la réalité, entre 7 à 8 ménages sur 10 sont pris en charge par des femmes. Mais c’est dans les familles dirigées par des veuves ou des divorcées que la pauvreté la plus grande a été constatée. Ces femmes sont non seulement confrontées aux même difficultés économiques que les hommes pauvres, mais elles assument également en totalité la gestion du ménage et les activités de production avec très peu d'appui.

D’autres phénomènes comme la répudiation, qui bien qu’interdite par la loi est couramment pratiquée par les hommes et les migrations masculines contribuent aussi à la création de ménages dirigés par des femmes. Selon l’Enquête sénégalaise auprès des Ménages [2],  aujourd’hui, 24 % des ménages urbains sont dirigés par des femmes.

Les femmes chef de ménage interrogées sur l’affectation de leurs revenus ont révélé que  50 % de leurs ressources sont destinées aux dépenses alimentaires, 15% aux dépenses de santé, 15% sont consacrés à l’éducation des enfants (les garçons surtout), 10% à l’habitat et 10% aux dépenses vestimentaires (habillement et parure). 

III Initiatives des femmes pour sortir de la pauvreté.

Au Sénégal, les politiques de promotion des femmes initiées par l’Etat ont été dirigées, en priorité, vers les femmes du monde rural, dans le cadre de leurs activités agricoles, d’élevage, et de pèche. En milieu urbain, à partir de leurs associations traditionnelles, les femmes se sont regroupées autour d’activités économiques telles que le maraîchage, la teinture, le séchage de poisson ou le petit commerce. Pour financer leurs activités, elles ont eu recours à l’épargne rotative (tontine) et ont cherché à renforcer leurs compétences grâce à des cours d’alphabétisation fonctionnelle. Mais de tels groupements limités par leur petite taille, le manque d’accès au crédit, à la terre ou à des marchés importants, ne permettent pas aux femmes d’améliorer leurs conditions de vie.

L’étude effectuée dans la banlieue de Dakar montre que les femmes ont commencé à mettre en œuvre d’autres stratégies qui d’une part leur offrent de meilleures opportunités économiques et d’autre part les constituent en tant qu’actrices politiques.

Les deux organisations qui sont présentées ici en exemple, ont été créées par des femmes qu’au départ, rien ne distinguait des autres femmes de leur communauté. Comme la majorité des femmes qui sont organisées dans les groupements féminins, en démarrant leur projet elles se fixaient comme objectif le règlement d’un problème pratique tel que l’accès à l’eau dans un cas (Groupement de Diamegueune), et au crédit dans l’autre (Groupement de Thiaroye). Les quartiers dans lesquels les groupes sont localises connaissent les mêmes problèmes de chômage, de faiblesse de revenus, d’insalubrité et de d’absence d’accès à l’eau potable.

·        A- Le Groupement Japoo Liggey Taîf de Diamagueune

La commune de Diamagueune est située dans la zone industrielle de Dakar. La densité du tissu industriel avait favorisé l'installation d'une importante population. Ce mouvement n'a pas été réduit par la fermeture de nombreuses usines. En conséquence, le chômage, surtout celui des jeunes y est très important. Les hommes sont généralement commerçants, alors que les femmes sont occupées comme vendeuses, ouvrières, teinturières ou couturières.

Bien que située à proximité de la capitale où se trouvent les services chargés de la fourniture d'eau, d’électricité et de l'assainissement, Diamegueune manque cruellement de ces commodités. Le quartier est pourvu d'une dizaine de bornes fontaines seulement, et la majorité des familles continue de s’éclairer à la bougie. L'eau de boisson achetée à la borne fontaine et les bougies reviennent à environ 20 000 FCFA (24 US$) par mois.

De sérieux problèmes d'assainissement se posent dans la commune, surtout pendant la saison des pluies. Il n'existe pas de système d’évacuation des eaux de pluie, qui peuvent stagner pendant une longue période. Les moustiques et les mouches abondent causant de nombreuses maladies, dont le paludisme qui, y est endémique.

Les écoles primaires, localisées à environ 2 kilomètres  du quartier ne suffisent pas à assurer la scolarisation de l'ensemble des enfants. Ceux qui vont au CEG ou au lycée, sont inscrits à des lycées distants d’environ 20 kilomètres à Guédiawaye ou à Rufisque. L’éloignement de ces structures entraîne des dépenses de transport et de repas que beaucoup de parents n'ont pas les moyens de prendre en charge. D'où l’arrêt de la fréquentation par beaucoup d’élèves de ces lycées et CEG. Les filles sont plus affectées par cette situation que les garçons.

Le groupement Japoo Liguey Taîf Diamagueune est composé de 95 membres. En 1985, face à un problème crucial d'accès à l'eau potable, les femmes du quartier s’étaient associées pour trouver une solution commune. En ce temps là, le budget requis pour l'adduction d'eau dans un quartier aussi éloigné que Diamegueune était de 6 850 000 CFA (environ 9,800 $US), ce qui était largement en deçà des possibilités financières des habitants du quartier.

Les premières initiatives ont consisté en la création d'une tontine avec une cotisation mensuelle de 200 F CFA (environ 30 cents US) par membre. Chaque gagnante recevait un canari muni d'un robinet, qui offrait de meilleures conditions d’hygiène pour le stockage de l'eau de boisson.

En 1991, suivant les conseils d'une de leurs membres salariée d'une ONG, les femmes prennent contact avec une fondation caritative qui, un mois plus tard accède à leur demande en installant une borne fontaine. Cet unique point d'eau devait servir au ravitaillement de l'ensemble des familles du quartier.

Continuant leurs initiatives, les femmes ont soumis en 1993 à un autre bailleurs de fonds au niveau local une demande de financement de branchements sociaux dans les rues et dans les maisons. Celui ci accepte de financer le raccordement de leur quartier au réseau urbain de distribution d'eau, permettant les branchements sociaux et la mise en place de bornes fontaines et les branchements individuels. Le domicile de chaque femme ayant pu cotiser la somme de 7 000F (environ 10 US$), a été doté d'un robinet. Des bornes fontaines ont également été installées dans les rues, et la bassine d'eau vendue à 20F (environ 2 cents US).

Fort de ce premier succès, le groupement  a continué pendant plusieurs années sa dynamique d’intégration de groupements localisés dans la commune, de manière à se constituer en groupe de pression important au niveau communautaire. Finalement, l'ensemble des groupements vont se fédérer.

Une action prioritaire qu'elles mènent présentement vise à l’intégration de leur quartier considéré jusque là comme "flottant". Bien qu'elles aient conjugué leurs démarches, avec celles des habitants d'autres quartiers considérés aussi comme "flottants", elles n'ont pas encore obtenu le succès escompté. N’étant pas encore régularisé, leur  quartier ne peut toujours pas accéder aux avantages reconnus aux quartiers urbains (viabilisation, accès à l'eau et à l’électricité etc.)

Elles ont reçu des financements de bailleurs de fonds nationaux et internationaux. Avec ces ressources, la Fédération met en œuvre cinq grandes stratégies de promotion de ses membres et de lutte contre  la pauvreté.

L'établissement d'une Mutuelle d’Epargne et de Crédit

EN 1991, le groupement a reçu un financement d’un de ses bailleurs de fonds, qui l’encourage à créer la Caisse d’Epargne et de Crédit. Selon les possibilités et les capacités de remboursements de la cliente, la Caisse octroie un crédit minimum de 1000F CFA (environ 1.50 $US). Le plafond de prêt est de 100000 CFA (environ 150$US). Le prêt acquis, l'emprunteur est tenu de signer une reconnaissance de dette. Un comité de surveillance est institué pour veiller au paiement. Des prêts en denrées alimentaires (riz, huile, sucre) sont possibles.

L'assainissement 

La construction de puisards a été financée par le PPGE (Projet Prioritaire de Génération d'Emploi), à travers un financement octroyé par l'Union Européenne et géré par le Ministère des Finances et du Plan.

Un service de ramassage des ordures vient compléter le dispositif visant à assurer l'assainissement du quartier. Grâce à un financement canadien, le groupement a pu acquérir une dizaine de charrettes qui collectent les ordures ménagères. Chaque famille du quartier contribue à raison de  25FCFA (environ 3 cents US) par jour. Les sommes recueillies servent à assurer le salaire des charretiers et les éventuelles réparations des charrettes. Les ordures ramassées sont réutilisées pour la fabrication de compost.

Soutien aux enfants des écoles primaires

Les écoles primaires du quartier connaissent de sérieux problèmes d'insalubrité, marqués en particulier par la vétusté et la saleté des toilettes. Les membres du groupement ont institué une cotisation mensuelle de 150 FCFA par famille, dont les gains servent à l'achat de produits d'entretien destinés au nettoyage des écoles.

En 1998, elles ont initié un projet de maraîchage et d'aviculture dont les revenus sont destinés à la prise en charge de certains besoins des élèves. Cela s’ajoute aux fournitures scolaires octroyées par leur partenaire Aide et Action en faveur des enfants de ces écoles primaires.

La santé

Les membres du groupement pratiquent ce qu'elles appellent le "le marraînage" qui consiste à la sponsorisation d'enfants issus de familles particulièrement démunies, pour l'achat des tickets qui donnent droit aux vaccins dans le cadre du Programme Elargi de  Vaccination.

Par ailleurs, étant donné la cherté de l’accès aux services de santé, les membres du groupement envisagent dans un futur proche de mettre en place une mutuelle de santé destinée à la prise en charge des frais médicaux de leurs membres et de leurs familles. Elles prévoient également l'achat d'une ambulance pour convoyer dans des délais rapides, les cas urgents vers les grands hôpitaux de Dakar.

Le développement communautaire

Le groupement se sent particulièrement concerné par cette question. Il a élaboré un plan de développement local et cherche des partenaires pour le financement des activités prévues.

 

Les contraintes rencontrées

Elles en ont listé trois, qu'elles considèrent comme principales :

1.      l'absence de soutien de la part des hommes et leur "mesquinerie" ;

2.      les difficultés de trouver des financements pour leurs activités, ce qui inhibe leurs initiatives ;

3.      l’insolvabilité de certaines femmes extrêmement pauvres qui tendent à utiliser le crédit obtenu de la Mutuelle pour assurer la dépense quotidienne.

 

·         B-Le Programme des Femmes en Milieu Urbain (PROFEMU) Thiaroye

Le PROFEMU est une Union de groupements féminins de taille variable, qui comptent entre 15 et 130 membres. Il a reçu dans la période 1993-1996 un financement d’un montant de 100 000 000 CFA (14, 300 US$) de l’ONG OXFAM Grande Bretagne. A son démarrage en 1993, le Programme regroupait 49 associations rassemblant environ 2.000 femmes.

Elle est formée par plusieurs groupements de femmes intervenant dans les zones peri-urbaines de Dakar et de Thiès. Le groupement de Thiaroye a été plus spécifiquement ciblé dans le cadre de ce travail. Les groupements membres de l’Union pratiquent des activités aussi diversifiées que la restauration, le petit commerce, la teinture, la couture, la coiffure, le tissage, l’élevage, l’aviculture, etc.

Fonds de crédit

Au démarrage du projet en mars 1993, un fonds de crédit destiné à l’octroi de prêts tournants aux groupes avait été mis en place par OXFAM GB. D’un montant de 72 000 000 FCFA, (environ 10,300 $US)sous forme de subvention non remboursable, le fonds a servi au financement de petites activités gérées par les femmes telles que : la restauration, la couture, la teinture, le petit commerce, la coiffure, etc.

Les prêts sont attribués au groupement même, à charge pour lui d’en assurer la répartition entre ses membres et de collecter les remboursements. Les intérêts sont de 10%. Après remboursement, l’intérêt du prêt et l’apport du groupe sont répartis comme suit 60% de la somme revient au groupe, 25% au Réseau, et 15% au Conseil d’Administration de l’Union. Ces ristournes servent à assurer le fonctionnement des différents organes de l’Union.

Le taux de remboursement des prêts est de 89%. En décembre 1996, grâce à ces prêts, 1877 femmes ont reçu un crédit pour le financement de leurs activités. les groupements ont épargné 13 000 000 F CFA (environ 18 575 $US ;   un dépôt à terme de 60 000 000 (85,715 $US)  FCFA était constitué dans différentes banques de la place. En plus du Fonds de Crédit tournant, les groupements et les réseaux lèvent des cotisations destinées à financer leur fonctionnement.

La formation - sensibilisation

La plupart des membres du PROFEMU étant analphabètes, la stratégie de formation mise en place consiste à combiner le développement des capacités de lecture et d’écriture dans les langues nationales d’une part, et l’acquisition des connaissances dans les domaines du droit, de la santé, de la nutrition, de la planification familiale et de l’environnement d’autre part.

La Mutuelle d’Epargne et de Crédit (MEC)

Cette Mutuelle regroupe des membres du PROFEMU et des non membres qui propose les services suivants à ses membres : un compte courant et un compte d’épargne bloqué offrant un intérêt annuel de 2%. La Mutuelle offre à ses membres deux types de prêts :

- des prêts d’un montant relativement faible de 25 000 CFA (environ 35 $US) destinés aux personnes physiques à très faible revenu et ne disposant pas de moyens nécessaires à l’ouverture d’un compte. Il est remboursable en 6 mois avec un mois de différé et un intérêt mensuel de 5%.

- des prêts d’un montant relativement substantiel, de 500 000 CFA soit 750 $US. Ces prêts sont remboursables sur une durée de 1 à 2 ans avec un taux intérêt mensuel de 1% par mois.,

La Coopérative d’Habitat

Elle a pour but de faciliter l’accès des femmes à l’habitat afin de contribuer à la sécurisation de la famille. La Coopérative est soutenue par le Bureau d’Appui à l’Habitat Social (BAHSO) du Ministère de l’Equipement. Elle propose à ses adhérentes des parcelles de 100m2 au prix subventionné de 450 000F CFA soit 645 $US.

La Mutuelle de Santé

Ce projet vise à faciliter l’accès aux soins de santé pour les adhérentes par un système de prévoyance basé sur la solidarité. Elle permet la prise en charge partielle ou totale des soins de santé des adhérentes et de leurs familles ; la prise en charge des frais d’hospitalisation, la prise en charge des médicaments (médicaments essentiels).

L’Unité industrielle

Grâce aux fonds dégagés par ses diverses activités le Profemu a crée à Thiaroye une petite unité industrielle de transformation des céréales et fruits locaux. Elle est complètement gérée par les membres qui s’occupent de l’achat de la matière première, de sa transformation et de la vente. Elles produisent différentes variétés de brisures de mil et de mais, du couscous, de la farine de haricot et des fruits séchés.

Les produits sont conditionnés selon les techniques modernes qui en préservent l’hygiène et le goût. La formation des femmes a été assurée par l’Institut de Technologie Alimentaire. Chaque employée gagne un salaire minimum de 30 000 FCFA par mois, soit environ 45 $US.

D’autres associations a l’image de celles qui viennent d’être présentées existent dans d’autres quartiers de Dakar et de sa banlieue, et commencent aussi à se développer dans les capitales régionales et en milieu rural. Elles montrent que les stratégies féminines sont de plus en orientées vers le renforcement institutionnel, la correction des déséquilibres relatifs à l’accès et au contrôle des ressources (Habitat, industrie, etc.), la mise en œuvre de projets durables et autonomes d’une part et d’autre part vers la création d’un leadership féminin à la base, et vers l’action politique à l’échelle locale avec l’élaboration du plan local de développement.

IV Evolution des rapports de pouvoir dans la famille et dans la communauté

Au niveau familial :

Reconnaissant avoir de sérieux problèmes avec son mari, l’une des femmes interviewées à Diamegueune a déclaré : « oui j’ai des problèmes parce que mon mari croit que je suis toujours la femme qu’il a épousée, il y a douze ans » Une telle déclaration donne la mesure du changement qualitatif que les femmes ont connu grâce à un plus grand accès aux ressources et au savoir.

Au niveau familial, les femmes ont reconnu à l’unanimité qu'aujourd'hui, un des obstacles principaux au développement de leurs initiatives en vue de briser le cercle de la pauvreté, est constitué par leur mari. En effet, comme il a déjà été dit, les hommes, au chômage ou à la retraite ne peuvent plus subvenir en totalité aux charges de la famille, comme le leur prescrit la société. Ce sont donc les femmes qui non seulement maintiennent la famille, mais souvent habillent leur époux et lui procurent l'argent de poche.

Il se produit de ce fait un changement subtil dans les rôles sociaux, que les hommes qui, veulent toujours exercer l'ensemble des prérogatives reconnues au pater familias, alors qu'ils n'en accomplissent pas les devoirs, vivent difficilement.

Les femmes de leur côté, veulent jouir des droits attachés à leur nouveau rôle. Elles aspirent à l’émancipation de la tutelle maritale, à une plus grande autonomie, et à un pouvoir de décision accru au sein de la famille.

Ces aspirations, en contradiction avec les perceptions sociales des statuts respectifs des hommes et des femmes, ne manquent pas de se traduire par des conflits plus ou moins sérieux dans le ménage. Grâce aux mécanismes traditionnels de règlement des conflits entre époux (négociation, intermédiation des parents ou des voisins), un grand nombre d'entre eux sont résolus. Mais certains ne le sont pas, qui entraînent la dissolution des mariages.

Il faut signaler qu'au cours de l’enquête, de nombreuses femmes ont avoué avoir opté pour le divorce plutôt que la vie avec un mari omnipotent. Parmi celles qui n'ont pas franchi ces limites, beaucoup se plaignent de ce que leur mari, incapable de supporter le changement des rôles dans la famille, consécutivement au renforcement du pouvoir économique de leur femme, ont préféré prendre une autre épouse, souvent plus jeune, qui ne remet pas en cause leur supériorité de chef.

Avec l’arrivée d'autres enfants, ces nouveaux mariages ont pour résultat l'augmentation de la taille de la famille. Ils contribuent à la perpétuation de la pauvreté, dans la mesure où les revenus du père vieillissant n'augmentent pas proportionnellement au nombre de bouches à nourrir.

Au niveau collectif

Dans les zones étudiées, les femmes constituent les principales actrices du développement dans leur communauté. C’est grâce à elles, et non aux hommes, qui sont les interlocuteurs habituels et privilégiés des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds, que des améliorations ont été obtenues dans la communauté. A Diamegueune, elles ont contribué à l’élection d’une femme comme maire, ce qui est une première dans la commune. Au niveau collectif aussi, les hommes qui, sont bien conscient du leadership des femmes vivent relativement mal ce phénomène.

Dans leur majorité et dès le départ, beaucoup se sont opposés à l’action des femmes. Ainsi à Diamgueune, les hommes (époux, fils ou responsables locaux et religieux) bien qu'ils soient propriétaires des maisons, ont très peu soutenu les femmes dans leurs initiatives pour améliorer les conditions de vie dans le quartier ou pour assurer sa reconnaissance officielle.

Au contraire, pendant de nombreuses années, elles ont dû déployer une énergie considérable à vaincre leur résistance. Aujourd'hui grâce aux succès remportés, certains hommes commencent à soutenir leurs efforts, mais un grand nombre continue de s’opposer à la participation de leur femme au groupement.

Conclusion

Les résultats de la présente étude montrent que le phénomène de la pauvreté est une réalité durement vécue par les femmes et les filles. Elle s’appuie sur des mécanismes de reproduction au plan macro-économique et est renforcée par le bas statut social des femmes.

Les politiques nationales de lutte contre la pauvreté mises en œuvre jusqu’ici n’ont pas obtenu les résultats escomptes et ce sont les communautés de base et plus particulièrement les femmes qui tentent d’apporter des solutions face à la crise mais leurs efforts sont souvent limités par l’insuffisance voire l’absence d’appuis. Les succès remportés par les organisations présentées montrent que les femmes peuvent sortir de la précarité à condition qu’elles acquièrent un pouvoir économique et social. Au niveau économique elles devraient accéder à des crédits importants, qui permettent de faire des investissements. La politique baptisée à juste titre “ micro-crédit ” les condamne à mener des activités économiques de faible portée, qui au mieux ne permettent que la survie, et non la sortie du cycle de pauvreté

L’étude a montré que les femmes sont parfaitement capables de créer et de gérer des unités de production industrielles à condition que la concurrence soit supportable.

Il est enfin important de prêter attention aux rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes, et des actions de sensibilisation doivent être menées auprès des populations (hommes et femmes) pour "déconstruire" l'idée qu'elles ont de la masculinité et de la féminité, donc des rôles et statut de chaque sexe.

Références

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Ministère de l’Économie , des Finances et du Plan, Direction de la Prévision et de la Statistique, 1993. Enquêtes sur les priorités. Dakar, 120p.

Ministère de l’Économie et des Finances et du Plan, Direction de la Prévision et de la Statistique, 1997. Enquêtes sénégalaises auprès des ménages, Rapport de synthèse. Dakar, 177p.

Ministère de l’Économie et des Finances et du Plan, Direction de la Prévision et de la Statistique, 1997. Enquêtes démographiques et de santé enquêtes au Sénégal EDS III,  Dakar, 1997, 177p.

Projet de Nutrition Communautaire (PNC-crédit 2723), revue à mi-parcours, 21 septembre au 10 octobre 1998. Aide mémoire .7p.

Sow F., 1991. Les initiatives féminines au Sénégal, une réponse à la crise? Communication au Colloque sur État et Société au Sénégal : crises et Dynamiques Sociales. Dakar : Centre d'Études de l'Afrique Noire Institut Fondamental d'Afrique Noire-Cheikh Anta Diop, 21-26 octobre , 37p.

notice biographique

J’ai reçu une formation de journaliste, mais dans la pratique je travaille comme sociologue. Je vis au Sénégal ou je travaille comme  consultante free lance. Je suis la coordonnatrice d’une association féminine dénommée  : «  Groupe de Recherche sur les Femmes et Lois au Sénégal » qui rassemble des chercheures et des activistes pour la promotion des droits des femmes au Sénégal. Je travaille et publie sur les questions de santé et droits de la reproduction et de la sexualité, des femmes dans la transformation des conflits, des femmes chef de famille, e l’Islam et des droits humains des femmes. J’ai edite l’ouvrage « Notre Corps, Notre Santé », qui est un livre sur la santé et la sexualité des femmes en Afrique en Afrique francophone.Je travaille avec des associations de femmes a la base pour partager les connaissances dans le cadre de formations en genre et en leadership féminin



[1] Communication présentée au COLLOQUE INTERNATIONAL DE LA RECHERCHE FEMINISTE FRANCOPHONE RUPTURES, RESISTANCES ET UTOPIES TOULOUSE (France), 17-22 SEPTEMBRE 2002

[2] Ministère de l’Economie des Finances et du Plan. Direction de la Prévision et de la Statistique. Enquête Sénégalaise auprès des Ménages, 1997

 

 

labrys,études féministes

numéro 3, janvier / juillet 2003