Labrys Promenade avec ma pudeurRésumé Nombreux sont les regards qui me transforment
en prostituée quand je me promène dans la rue où s’affirme le pouvoir
pornographique. La fragilisation de ma pudeur se fait d’abord par
l’insulte, à laquelle fait écho l’affiche publicitaire, celle-ci donnant
à voir l’objet-femme. Cette objectivation, victoire de l’envie mortifiante
sur le désir joyeux, me fait expérimenter les scissions privé/public
et sujet/objet. Contre ce processus de fragmentation de l’être, le
geste du recroquevillement
est nécessaire à beaucoup de femmes. Pourtant, à l’obscénité et la
pudibonderie qui me sont imposées, je réplique par l’impudeur féministe,
c’est-à-dire la prise de conscience de l’état du monde, et par la
création, où je peux enfin assumer mon corps. Mots-clefs : pudeur, corps,
féministe, pornographie Avant-propos
Face aux discours portant plus ou moins explicitement
sur la sexualité, l’opinion commune pose une double correspondance :
la parole libérée et joyeuse serait détenue par les hommes et les
femmes machistes, tandis que les femmes féministes seraient coincées
dans une pudibonderie moralisatrice et castratrice. Il s’agira ici
d’examiner le discours tenu par l’opinion commune que je reprendrai
sous le « on » heideggerrien, « on » signifiant la personne telle qu’elle
est figée dans la banalité et le bavardage. En effet, pour en La parole ordurière et le bavardage du « on » sont
effectivement discours pleins de sens. Comprendre ce qui est vécu
au quotidien et non dit, le La problématique de cette étude se centre autour de la violence
vécue au quotidien par les femmes, non pas la violence physique, évidente (quoi
que celle-ci ne soit pas complètement reconnue), mais celle qui est
presque imperceptible, indicible, irrecevable : comment cette
violence-là se réalise-t-elle ? Par la fragilisation de la pudeur.
L’étude de ce champ nécessite l’emploi du « je » ,
un « je » qui comprend la perception propre de l’auteure
et ce qu’elle croit avoir perçu de commun dans l’expérience de nombreuses
femmes. Il y a bien une correspondance entre le « je » ,
le « nous » et le « elles » : la scission
entre le sujet et l’objet n’a pas lieu d’être, ici moins qu’ailleurs.
Quand
je marche dans la rue, je remarque souvent la même chose :les
femmes avancent d’une manière plutôt refermée, les hommes de façon
ouverte et assez tendue. Les gestes et les démarches des femmes sont
bien distincts de ceux des hommes. Ceci ne serait qu’une simple histoire
de différence de morphologie, une différence de corps ? Probablement.
Pourtant le regard lui-même diffère selon le sexe de la personne.
Je les observe. La plupart des hommes que je croise n’ont de cesse
de m’observer franchement, parfois longuement, alors que les femmes
hésitent souvent, détournent voire baissent les yeux. Et quand elles
me regardent, toujours une distance se pose et…me repose. J’aime marcher dehors. J’aime regarder
le ciel, les arbres, les bâtiments. Je regarde les êtres humains.
Soudain le regard de certains hommes me transperce : brutal ou
mielleux, il déborde de ce qui s’apparente au désir, et m’éclabousse.
Il s’accroche à moi et ne me lâche pas. Parfois les mots, toujours
les mêmes, fusent : t’es belle, t’es bonne, vous êtes harmante
mademoiselle, tu suces, je te baise. Souvent l’homme ne prononce aucun
mot sensé, il gémit, grogne ou siffle, il chuchote quelque chose d’incompréhensible
quand il passe tout près de moi, frôlant mon corps. A
plusieurs, ils éclatent , ils crient et me jettent au visage leur
envie. Dans leurs bouches, par leurs yeux, le désir masculin est devenu
insulte, et m’est agression. Cette agression à la régularité quasi
quotidienne est rendue peu audible par le silence qui l’entoure :
elle est tue par celles qui la subissent. Je marche, avançant dans la ville, et
ils me montrent qu’ils ont le droit de m’insulter. Ils ont le droit
de m’insulter parce que, femme dans l’espace public, cela signifie
que je suis sortie du foyer, or seul cet endroit est reconnu comme
espace privé pour les femmes; je suis donc littéralement femme publique,
telle une prostituée. La prostituée est une femme mise en public (du
latin prostituere) avant même d’être un corps
que les hommes peuvent louer. Alors, moi qui suis en public, serai-je
aussi une prostituée, une femme qui, puisqu’elle se montre,
se déshonore? Le but de cette étude n’est pas de rejeter les prostituées,
mais d’envisager les implications réelles de l’expression « femme
publique ». L’obscénité machiste Il semble que les hommes soient nombreux
à cracher leur désir : ils aiment les mots « pute »
et « salope», ils s’en gargarisent avant de les cracher aux figures
féminines en public, des femmes politiques aux femmes marchant dans
les rues. Les deux insultes machistes m’envoient une image singulière
de mon corps et de ma présence dans le monde. On s’intéressera surtout
à la première car la seconde se résorbe en elle .
L’image qui m’est envoyée quand l’insulte m’est adressée est l’image
du corps d’une pute c’est-à-dire un corps louable et abîmable à l’envi. Ainsi, j ’ai le corps
d’une femme que les hommes considèrent comme disponible en permanence.
Son corps me renvoie à mon corps de femme ; cette image me heurte
parce qu’elle montre, elle rend visible, regardable, évidente, une
image de mon corps nu :
corps qui est à moi, corps qui est moi en ce qu’il me représente dans
une situation de communication avec autrui. Les hommes m’agressent par le fait qu’ils me montrent que,
s’ils en ont envie, ils peuvent voir mon corps, nu. Telle est la violence,
capitale, exercée sur ma pudeur : ils me mettent à nu en me
montrant que symboliquement, ils le voient déjà
nu. Cette mise à nu ne nécessite pas le passage à la parole :
certains regards sont tout aussi violents que l’injure verbale. L’insulte sexiste me dévoile telle que
je ne suis pas. Elle viole le droit des femmes à la dignité de leur
corps, elle viole ma présence autant physique que symbolique. L’insulte
sexiste jette en pâture, à la vue de tout le monde, une image de mon
corps. C’est en cela que ma pudeur est atteinte. La pudeur ne se pose
que dans une situation de communication : dans un environnement
machiste, la communication entre hommes et femmes est souvent imprégnée
d’une séduction traditionnellement mise en oeuvre par les premiers,
laquelle, dans le contexte de l’espace public, se réalise sous la
forme de la drague virile. Or le principe même de la drague
est le non respect de la pudeur, ce qui invalide l’idée selon laquelle
l’homme qui drague n’agit que par volonté de plaire. L’homme qui drague,
interpelle, suit une femme dans l’espace public, le fait en espérant
jouir le plus rapidement possible de son corps comme il pourrait jouir
de celui d’une prostituée. Dès lors mon rapport aux hommes machistes
se fonde sur leur attaque de ma pudeur, la situation de communication
étant centrée sur mon corps de femme. Par leur attaques, regards et
adresses humiliantes, j’ai honte…d’être une femme, en ce que j’ai
honte d’avoir un corps de femme. Le corps est prépondérant, en tant
qu’il est féminin : c’est bien parce qu’ il est féminin que
mon corps révèle, et non pose, un problème relatif à la pudeur. Autrement
dit le féminin n’est pas obscène en soi, il est rendu
obscène : c’est cette complexité qu’il s’agit de démêler ici.
Par ailleurs, nous laissons ouverte la question de la pudeur masculine. Comme
les hommes possèdent de fait l’espace public, des lieux officiellement
politiques aux bars, certains estiment qu’ils sont en droit de posséder
les femmes qui se situent en public. Ils les chassent à l’intérieur
de cet espace, comme du gibier, quand l’envie les prend d’en posséder
une, ou encore ils les dirigent hors de l’espace quand l’une d’elles
se rebelle. Cependant la première modalité est subordonnée
à la deuxième: le but est d’interdire aux femmes la présence prolongée
dans l’espace public et d’en contrôler l’accès, accès dont seuls les
hommes profitent pleinement. Le
véhicule et l’arme de cette chasse à double niveau est l’insulte,
moyen terme entre l’interpellation mielleuse et l’agression physique
ou sexuelle. Cela fonctionne très bien : les femmes fuient en
silence, elles courent plus ou moins vite. C’est qu’on ne leur a pas
appris à répliquer à ces hommes-là. Et puis, que leur dire :
fils de pute, enculé ? Elles semblent perdre leurs moyens, mais
en réalité les moyens leur manquent, car toutes les insultes étant
machistes, elles visent uniquement les femmes. Elles se sauvent pour
sauver leur pudeur. Lorsque sa pudeur est attaquée, le réflexe instinctif
de l’humain-e est de la restaurer pour se maintenir, sinon c’est tout
l’être qui s’effondre. La gravité de l’attentat provient de l’aspect régulier
et systématique de l’agression verbale ou visuelle. Régulièrement
jaugées , draguées, interpellées, elles font comme si elles n’avaient
rien entendu, elles ressentent ou simulent l’indifférence, elles sourient,
elles fuient à reculons. Elles se taisent et font comme si rien
ne s’était passé, mais l’attentat à la pudeur a bien eu lieu, et il
se répétera, s’accomplissant par l’abolition de la parole de celle
qui le subit [1] Elles courent . Nous courons pour que les voix de ceux qui
brutalisent notre pudeur soient couvertes par les bruits de la ville.
Mais nous sommes cernées, car les murs qui soutiennent les bâtiments
sont parsemés d’images qui font écho à ces voix et ces regards. Ce
que nous avons entendu de leurs bouches tordues d’un désir apparenté
à la violence, nous le voyons, de loin, de près, en grand : étalé
sur les affiches publicitaires, le voilà ce corps de femme prostitué.
Le lien est devenu de plus en plus évident depuis
ces dernières années, à tel point qu’aujourd’hui on constate que la
publicité est devenu un des vecteurs de la pornographie, comme en
témoigne la longévité révélatrice du porno
chic , état d’esprit publicitaire qui perdure depuis trois
ans. Au départ, le terme pornographie signifie représentation graphique
de prostituées ; telles des prostituées, en effet, les femmes
offertes au regard public par les publicitaires sont censées exciter
la libido masculine. Autrement dit, le regard public est considéré d’emblée par les
publicitaires comme étant masculin, tout comme l’espace public est
masculin - l’espace public est masculin, autrement dit il est de fait
masculinisé, propre aux hommes, mais cela ne signifie pas que de droit
seuls les hommes peuvent y avoir accès. Ces corps féminins sont objets d’envie seulement et en cela
les femmes représentées ne sont pas femmes-objets,
terme souvent repris avec une pointe d’ironie envers les féministes,
moquerie propre au « second degré » machiste, laquelle est
ridiculisation systématique du statut objectal d’un être humain de
sexe féminin: ces femmes sont objets-femmes
. L’inversement des termes me semble permettre la visibilisation de l’aspect objectivé de l’humanité des
femmes. C’est exactement cela que la campagne pour le parfum Opium
d’Yves Saint Laurent donne à voir : une femme complètement nue,
allongée est « offerte » au regard et à l’envie sexuelle.
On atteint avec cette image un sommet dans la propension publicitaire
à attenter à la pudeur des femmes. Toute femme passant près de cette affiche se sent elle-même
dénudée de force, aussi couverte soit elle en réalité: l’agression
se fait non pas symboliquement mais directement. Nous voyons frontalement
par le pouvoir de l’imagerie publicitaire se perpétuer l’agression
à soi. La scission à double dimension a) La « scission »
espace privé - espace public Car ce corps-là n’est pas vu seulement par les hommes,
mais aussi par les femmes. Et ce corps –là, c’est le mien, parce que
c’est un corps de femme :si je suis « belle », la ressemblance
frôle l’assimilation, si je ne suis pas aussi « belle »,la
comparaison fait de l’objet- femme publicitaire un modèle à suivre,
opposé au corps de l’homme qui le regarde. La différenciation des
sexes est évidente dans la publicité. Mon corps de femme devenu objet
de désir en public :s’accomplit ainsi la résorption de mon espace
privé dans l’espace public. Plus précisément il y a scission dans
un premier temps, puis dans un deuxième temps s’opère une fusion
des deux espaces qui se traduit par leur influence réciproque. L’espace public et l’espace privé des femmes fusionnent
car l’espace privé est formé par la manière dont on m’envisage dans
l’espace public, tout comme la perception masculine des femmes est
influencée par ce qu’on lui donne à voir des femmes, avec cette facilité
à la prétention permise par la distance entre les sexes :ainsi
le « on » masculin s’oppose au « on » féminin.
La publicité signifie d’ailleurs
avant tout le caractère public de quelque chose. La publicité rend
publique une certaine vision, un certain regard porté sur les femmes.
Mes yeux sont formés par le regard proxénète des publicitaires, que
je le veuille ou non, à tel point qu’un jour je me surprends à avoir
envie d’un de ces objets-femmes. Ce sentiment témoigne de toute l’efficacité
publicitaire . b) la scission
sujet – objet Les publicitaires nous donnent l’envie de ces corps
féminins, comme d’une alléchante nourriture presque
à notre portée, plus encore qu’ils ne vantent l’objet à faire vendre,
comme si cette présentation des femmes importait bien plus que le
commerce de cet objet-ci la présence d’êtres humains pose moins
problème que la modalité de cette présence. Si un homme peut effectivement
considérer une femme comme un objet, puisqu’elle est séparée, distincte
de lui, une femme ne peut se considérer elle-même comme objet, étant
irréductiblement sujet, en relation à elle-même. Beauvoir explicite très précisément dans Le
deuxième sexe cette scission sujet-objet qui constitue le déchirement
propre à l’existence féminine: la femme n’est pas objet pour elle-même,
elle se fait objet, elle
doit se faire objet, et la tragédie réside dans la tension entre le
moi - sujet qu’elle est et le moi- objet qu’elle doit être Ainsi
dans « L’initiation sexuelle » (Beauvoir, 1949, t. 2, chapitre
3), la première pénétration vaginale est dramatique car la femme doit
rester passive et Dès lors une confusion s’opère en moi, mêlant mon moi
sujet de désir et mon moi objet d’envie. Cette confusion résulte de
l’ abolition de la distance entre mon être en tant qu’il est sujet
et mon être tel qu’il est considéré par tous en tant qu’objet à consommer,
à vendre et à prendre : un être morcelé. Me voilà aliénée, étrangère à moi-même. Cette abolition
de la distance s’est faite par l’ébranlement de ma pudeur, cette déstructuration
étant réalisée par la violence de la publicité pornographique. La pornographie publicitaire exerce une violence
sur moi ; elle est à proprement parler viol symbolique parce
qu’elle agit sur moi, contre mon désir, contre mon consentement entendu comme pleine volonté
d’adhérer à ce qui m’est proposé, me contraignant à envisager mon
corps d’une certaine manière, une manière objectivante, qui me détruit.
La force
publicitaire Le discours publicitaire est unitaire et cohérent,
homogène en dépit des formes multiples que constituent les campagnes
publicitaires, il se résume à un refrain qui a le caractère de la
litanie, au sens religieux du terme. A ce propos nous pourrions étudier
le machisme dans son aspect religieux, religieux parce qu’il consiste
en un sentiment ou une croyance partagé quant à une infériorité des
femmes, en un dieu masculin, dans laquelle le masculin représente
le bien et le féminin incarne le mal. Plus exactement les femmes incarnent
le mal nécessaire : elles sont le mal parce qu’elles sont nécessaires [2] Ce refrain s’adresse ainsi aux hommes, mais pour les
femmes il possède un niveau supplémentaire d’interprétation en ce
qu’il nous dit : « Femmes, voici ce que vous devez être :
putes et salopes. Vous devez être
belles, c’est ainsi que vous serez enviables. Vous n’êtes que cela. ».
Dans le même temps le discours exprime le «vous devez Litanie, refrain, écho visuel et auditif :
les images publicitaires et les slogans qui les soulignent sont traversés
de voix qui sont toujours les mêmes. La répétition, propre à la publicité
commerciale, a une dimension spatio-temporelle :dans l’espace
les affiches sont placées stratégiquement, à des intervalles spatiaux
réguliers. Elles ont également un rythme temporel particulier :
chaque semaine, le même jour, elles renouvellent leur message. A force de nous montrer
les mêmes images, les mêmes femmes, les publicitaires font comme s’ils
nous démontraient la véracité, la valeur de
vérité générale de leur propos , mettant en œuvre un processus
inductif, allant d’un fait au droit. A force de voir des filles décharnées,
certaines adolescentes veulent arrêter de manger et de vivre pour
que leurs corps ressemblent à ceux des mannequins . A force
de voir des corps féminins enviables en tant qu’ils sont objets-femmes,
beaux, longs et fins, les hommes voudraient avoir
les mêmes, et les femmes voudraient, plus ou moins confusément, être
les mêmes. Les publicitaires savent manier l’art de l’illusion
et de la flatterie, ils nous tendent des images qui ont l’air de miroirs
enchanteurs mais qui sont les pièces d’un puzzle, celui–ci étant position
permanente mais homogène de valeurs. La publicité commerciale, la
télévision, font partie du système médiatique qui est vecteur d’évaluation.
Il nous faut relier cela au fait que le genre féminin et le genre
masculin sont les dépositaires fondamentaux de valeurs. Par la publicité
commerciale, les valeurs s’incarnent en rôles sexués :la femme
représente soit la maternité soit un aspect de la sexualité. C’est la seconde alternative qui est devenue prééminente
dans le discours publicitaire, la première, plus rare, restant la
seule alternative ; on ne voit quasiment pas d’image d’une femme
qui, à défaut d’être réaliste, serait positive pour les femmes :
une femme forte, « active ». Or l’enjeu du discours publicitaire
est énorme, car on sait son influence effective sur les personnes.
Les enquêtes réalisées dans cette perspective sont éloquentes :
les images télévisuelles et notamment publicitaires influencent les
hommes et les femmes dans leur vision du, et leur attitude avec le
sexe opposé[3] Les Ce conflit sujet-objet est sans cesse re-véhiculé par
la presse « masculine » et « féminine » :
d’une part, les femmes en couverture des magazines féminins sont
placées comme modèles c’est-à-dire comme ce à quoi doit ressembler
toute femme pour plaire aux hommes, elles sont femmes-modèles, femmes
à être, à Les deux genres de presses sont les pans d’une seule
et même idéologie. La presse féminine va montrer aux femmes comment
être « belles » c’est-à-dire en langage machiste « bonnes »
tandis que la presse masculine montre comment baiser le plus de femmes…
« bonnes ». Cette dernière possède un caractère évidemment
pornographique, en ce qu’on y trouve constamment une légitimation
de la violence, et particulièrement du viol, à l’égard des femmes
[5] On retrouve dans certains magazines féminins le conflit
sujet-objet propre au conditionnement des femmes, quand dans le même
magazine on peut lire un article sur le machisme à l’école…et un dossier
« laissez-le être un homme(sous-entendu un homme machiste) »
. Cette scission est intenable et entretient le caractère scindé
de l’existence des femmes [6] . D’une part, la femme incarne la différence des sexes,
et ceci nous renvoie au début du dix-neuvième siècle: les médecins
philosophes (Roussel, Virey, Cabanis entre autres)n’envisagent pas
l’homme comme un être sexué, l’homme est envisagé comme l’homme générique
c’est-à-dire que l’homme représente le genre humain. Ils élaborent
l’opposition entre l’homme et le genre humain d’une part et la femme
d’autre part. L’homme n’est pas sexué mais la femme est ce qui est
sexué. Elle est la représentation de la différence des sexes, elles
est le sexe ( Fraisse, 1989 :.130-136).
D’autre part, la femme doit être belle : à l’esprit de l’homme correspond la beauté de la femme :
il a accès à la perfectibilité (de son esprit), elle n’a droit qu’au
perfectionnement de son corps, lequel se réalise par le soin esthétique,
afin d’être belle (. Fraisse, 1989 :136-146) La conséquence de cela est que la beauté est sexuée,
puisqu’elle est féminine, et même elle doit rester féminine :
seules les femmes doivent être belles, et prendre tout particulièrement
soin de leur apparence. De là, et c’est ici que réside le glissement
de la beauté à la sexualité, la beauté est sexualisée : être
belle c’est être attrayante. Par le machisme la beauté est fixée,
figée dans son double aspect sexué et sexualisé, elle perd sa gratuité
et sa grâce. Le sexe est, comme en toute logique, le lieu de la
sexualité. Une femme a le devoir d’être belle, sinon elle n’est pas
femme, elle n’est pas féminine, et par là elle doit accepter d’être
considérée sexuellement par les hommes machistes qui déduisent du
soin qu’elle porte à son apparence une volonté d’être objet de leur
envie sexuelle. A l’extrême, ils déduiront du fait qu’une femme porte
une jupe, une robe, un pantalon moulant, le fantasme d’être agressée,
voire violée. Si une femme est belle, si elle est coquette, ce serait
uniquement pour exciter la libido des hommes…on comprend mieux maintenant
la nécessité pour une femme de se masculiniser pour se donner des
chances d’être moins agressée. Les hommes ne reçoivent aucune contrainte à être beaux, à se
faire beaux c’est-à-dire à travailler, perfectionner leur physique,
à diversifier leur habillement ni même à prendre soin de leur apparence.
On retrouve cette opposition entre hommes et femmes dans la différence
de traitement publicitaire des deux sexes. Cette différence tient
au fait que les hommes n’ont pas à vivre le déchirement sujet-objet
propre à la condition féminine : les hommes n’ont à s’affirmer
que comme sujets, et cela se voit dans leur représentation par la
publicité : beaucoup plus réalistes, et surtout beaucoup plus
respectueuse de la pudeur humaine: jamais le corps masculin n’est
étalé, morcelé, écartelé comme l’est le corps féminin. C’est même
le contraire : il semble que montrer la nudité, le dénuement
ou même l’aspect attrayant d’un corps masculin soit insupportablement…obscène.
Il semble sacré de ne pas toucher à la pudeur masculine, et amusant
de fissurer la pudeur féminine. Tandis que le corps masculin est préservé
méticuleusement, placé hors d’atteinte, le corps féminin est l’objet
de la violence publicitaire, ce travail s’inscrivant dans la dynamique
du backlash en France (Frischer, :238-245). La pornographie publicitaire est littéralement propagande
en ce qu’elle forme l’opinion publique afin de lui faire partager
certaines idées politiques, ici la domination masculine. Elle est
vectrice d’idéologie, elle
est idéologie. En rien elle n’est innocente et pure création, comme
s’en vantent les publicitaires. Sous couvert de faire vendre, se parant
d’une certaine légitimité, d’une certaine légèreté (la justification
par l’humour - le soi-disant second degré- est systématiquement avancée…mais
l’insulte machiste pointe rapidement (suite aux critiques d’un slogan
publicitaire selon lequel « Il a l’argent, il a la voiture, il
aura la femme. », le créateur du slogan rétorquait « Les
femmes qui sont choquées, c’est toutes des mal-baisées ! »(
ibid.). Les publicitaires réalisent un travail de fond idéologique
qui n’est pas reconnu comme tel, et qui est donc d’autant plus efficace.
On est dans l’insinuation, la suggestion, le subliminal, procédés
relevant de l’imaginaire,
même si le message est évident. De fait, si les En conséquence, la force des media relève de la même
opacité que celle qui maintient les mœurs. Je parlais de litanie plus
haut : l’aspect religieux se rattache à la force des mœurs par
son aspect opaque et symbolique d’où émerge le caractère sacré, intouchable de la différenciation des sexes. Précisément, la
publicité est l’outil de formation de l’imaginaire
des mœurs, cet imaginaire étant fondé sur la différence des sexes,
elle-même reposant sur une altérité du féminin qui serait absolue.
Mais l’altérité à laquelle les hommes tiennent tant
est infériorité, l’altérité est en fait condition du pouvoir des hommes :
ce n’est pas l’altérité en soi qui est considérée, mais l’aspect d’infériorité
qu’elle comporte -et qu’elle pourrait ne pas comporter (Fraisse, 1989 :330
à 335). Il y a politisation du terme « altérité ».
On songe ici à la peur de l’asexuation présente en même temps qu’est
née la démocratie en France, c’est-à-dire au moment où la société
a commencé à affirmer l’égalité, et l’identité entre les personnes :
selon les hommes de la Révolution française, si l’altérité disparaissait,
alors la sexualité n’aurait plus lieu d’être, laissant place à la
rivalité : la femme doit donc rester
l’autre… de la modernité, et en cela elle est sa condition. Cette
fixation de la différence des sexes aboutit à leur séparation durant
le dix-neuvième siècle. Le même procédé est aujourd’hui à l’œuvre : tout
est bon pour exagérer la différence entre les sexes, comme si celle-ci,
déjà là, naturelle, n’était pas suffisante. Pourquoi n’est-elle pas
suffisante ? L’enjeu de cette question est le pouvoir, notion fondamentale; il faut différenciation permanente des
sexes à l’avantage des hommes, pour réaffirmer la domination masculine
mise en œuvre contre le privilège des femmes. Le retour de bâton,
le backlash, en œuvre depuis
le début des années 90, procèdent de la même dynamique, semble aller
s’aggravant, avec la pornotisation de l’espace public, et, du coup, de l’espace privé. Les publicitaires ont tout loisir de faire comme bon
leur semble : ils ne sont plus contrôlés depuis longtemps :
depuis 1993, « la capacité d’intervention [des organismes de
contrôle de la publicité] a été réduite à portion congrue …Alors
qu’auparavant le CSA et le BVP contrôlaient la publicité en amont,
c’est-à-dire à Hier encore ces institutions statuaient à Les dégâts de la représentation sociale des femmes
sur les femmes, et surtout les jeunes filles, sont inquiétants pour
leur avenir, et donc, pour l’avenir de l’humanité. Peut-on perdre
sa pudeur ?
Quand j’étais adolescente, j’ai vu un documentaire
sur l’holocauste des juifs par les nazis, dans lequel une scène m’a
singulièrement marquée. Elle se passait à l’entrée d’un camp de concentration.
Des militaires ordonnaient aux femmes et aux hommes de se déshabiller,
et de rester ainsi, complètement nus, groupés. Cette scène où je voyais
les femmes et les hommes de tous âges entièrement nus m’a marquée
en ce qu’une étape décisive dans leur déshumanisation avait été franchie :
la déshumanisation résidait dans leur mise à nu contrainte, devant
tout le monde. Leurs corps
semblaient alors sans plus aucune défense contre le monde extérieur.
Ces personnes avaient l’air extraordinairement fragilisées,
leur nudité les faisait ressembler à de tristes animaux, autrement
dit des non-humains, des sous-humains. Leur fragilité était insoutenable.
En mettant leurs corps à nu, on a abîmé leurs âmes, parce qu’on a
refusé leur pudeur. Comme si la distance entre leurs âmes et leurs
corps n’existait plus. Complètement à nu, ils étaient à la merci
des autres qui souriaient. L’autre qui sourit, se moquant de mon malaise,
noie ma pudeur dans un rire, ce tourbillon du ridicule qui entraîne
la lente dilution et l’affaiblissement de soi. Je me débats, à la
fois regardée comme s’ils me déshabillaient, et rendue invisible.
On ne me reconnaît pas telle que je suis, telle que je veux sembler.
Ils veulent s’approprier mon apparence qui ainsi m’échappe, or je
ne suis pas ce qu’ils veulent que je soie. Ainsi, le caractère public,
la publicité, de ma présence
au monde semble bien être celui d’une prostituée. Le discours de la publicité est si prégnant qu’il aboutit
à la fragmentation de ma
pudeur et de mon être. Je marche dans cette rue, deux jeunes hommes
me fixent en souriant d’un air salace et méprisant, mon regard cherche
à les éviter, il fuit vers autre chose, il se pose ailleurs, mais
ici et là les images publiques de femmes me renvoient une image de
ce que les deux hommes voient de moi, et je sens comme une vague énorme
qui émiette et fragmente tout mon être, toute ma pudeur, avec des
sourires, tout autour de moi, sourires moqueurs de ces hommes et sourires
des femmes à la beauté figée, presque irréelle tant elle semble absurde.
Morcelée, je ne sais que faire. La première des choses qui s’impose à moi est le
retour au foyer, le retour chez
soi qui serait retour à
soi, le chez soi devenant lieu de réintégration de soi et donc de
sa pudeur. Si mon humanité, mon appartenance au genre humain, ne peut
m’assurer le respect de ma pudeur parce que je suis femme, les murs
de mon foyer devraient le pouvoir. Si je ne peux me promener sereinement
sans que ma pudeur soit attentée, alors je rentre chez moi. Les femmes rentrent au foyer, re-prenant la place que
l’idéologie machiste leur destine. Dehors il y a des hommes qui me
font me méfier de tous les hommes, et cette méfiance m’épuise comme
elle épuise les autres femmes. Alors je reste chez moi. Et j’apprends
à ne pas L’oscillation entre pudibonderie et obscénité Les femmes marchent rapidement, ne flânent pas, elles
ne peuvent prendre le temps que lorsqu’elles promènent leur chien-ne.
Souvent elles marchent timidement, le regard timoré. Le recroquevillement
est le mouvement directeur de l’ensemble de leurs gestes: assises
elles croisent les jambes, debout elles croisent les bras, en mouvement
elles se font petites, discrètes, silencieuses . Le recroquevillement permet de protéger, de
maintenir leur pudeur : il s’agit de créer un vêtement, une barrière
entre eux et elles, tout en se distinguant de ces femmes-là sur les
affiches. Une différenciation entre les femmes apparaît, re-formation
de la scission double sujet-objet: les femmes sur les affiches
s’ouvrent au monde de manière putassière, celles dans la rue ne peuvent
être exubérantes de quelle que manière que ce soit sans être insultées
et doivent donc se fermer au monde : ainsi, à l’interpellation,
ou à l’insulte, la femme ne doit pas s’affirmer comme sujet et répliquer,
mais au contraire elle doit se taire, faire preuve de son statut d’objet
par le silence que l’on dit consentant. Et si elle réplique, elle
risque de Le recroquevillement,
ce voile sur les gestes, se fait nécessaire pour matérialiser, rendre
visible leur pudeur mise à mal à chaque coin de rue. Il faut installer
un voile pour qu’ils les laissent tranquilles, pour qu’au moins ils
fassent semblant de les respecter. Là s’exerce la pudibonderie, cette exagération, cette
affectation de la pudeur. Le port du voile souvent prôné par la religion
musulmane est l’aboutissement ultime du recroquevillement, dans toute son absurdité:
elles se cachent, elles camouflent leur présence au monde pour qu’ils
les laissent tranquilles, sous de faux airs de respect. Car ce semblant
soulage les femmes. Il est symptomatique du backlash que les jeunes filles de culture
musulmane soient aujourd’hui beaucoup plus nombreuses à porter le
voile qu’il y a quelques années, et même, certaines jeunes filles
de culture familiale non musulmane couvrent leur tête dans le seul
but d’être laissées tranquilles par les garçons. On ne se recroqueville qu’en se courbant. Les filles
doivent s’habiller en garçons ; la jupe révèle le statut de prostituée
parce qu’elle est vêtement féminin. Les filles doivent dissimuler
leur corps de femme, et c’est en faisant cela que se réalise la pudibonderie,
parce que le corps d’une femme est considéré comme obscène de fait.
Le phénomène est évident dans les cités où règne la haine du
féminin: on l’a dit plus haut : une fille doit ne pas ressembler
à une femme si elle veut être laissée tranquille. Plus elle ressemblera à un garçon, moins il y aura
de risques d’être agressée, de là à dire qu’une fille habillée de
vêtements féminins (jupe, chaussures à talons etc) cherche à être
agressée, violée (car ses vêtement sont les signes de ce qui pousse
au viol ), le pas est franchi allègrement en permanence.
Il faut ressembler à ce qui a été d’emblée posé comme
le même, l’homme viril, et refuser l’autre inférieure, la femme car
la femme est non homme, catalyseur d’envie sexuelle hypervirile, catalyseur du viol. Les femmes
sont dans la tradition machiste considérées comme soit obscènes soit
pudibondes, putes ou mamans, salopes
ou coincées, mais le machisme poussé à bout depuis de nombreuses années
rend caduque l’alternative au profit de la généralisation : toute
femme est pute. Donc, une fille doit soit se masculiniser, soit s’effacer
c’est-à-dire effacer sa présence au monde, si elle veut amoindrir
les risques d’être traitée en pute -risque qui comporte le viol collectif,
négligemment appelé « tournante », qui fait des jeunes filles
en lambeaux des « ultraviolées ». Dans les salles de Le corps des femmes est soit camouflé, sous le voile
musulman ou sous les vêtements « neutres » c’est-à-dire
masculins(pantalon, couleurs sombres), soit exhibé, dénudé d’une manière
toujours La provocation
est, au sens propre, l’incitation à la violence, le caractère
de ce qui excite la violence : une femme est La jeune femme violée par son moniteur de conduite,
en Italie il y a quelques années, a vu sa plainte refusée par les
instances judiciaires pour le motif suivant : cette jeune femme
portait un jeans, mais, étant donné que l’on ne peut enlever un jeans
sans le consentement de la personne qui le porte, il n’y a pas eu
de viol. Les femmes violées mentent. La jupe n’est qu’un prétexte
parmi d’autres mais il comporte une évidence : pour la plupart
des hommes la jupe est indéniablement appel à la sexualité- réduite
dans la pensée androcentrée à la pénétration phallique- donc, pour
certains, appel au viol. Autrement dit si je montre ma
féminité, alors je suis assimilée à une pute : mon corps est
disponible puisque consentement et disponibilité sont identifiés.
Finalement peu importe mon consentement puisque avant tout
ils me voient comme disponible sexuellement. Je suis considérée comme
une prostituée, et si nous examinons plus loin encore les implications
de cette réalité, se pose-t-on la question du consentement (et donc
du risque permanent du viol) des prostituées ? Cela semble une évidence à l’opinion commune: comme
elles sont par moments disponibles sexuellement moyennant argent,
on en déduit qu’ elles sont disponibles en tout temps, leur consentement
et leur refus sont indifférents au monde. Porter une jupe équivaut
à chercher à être violée selon la pensée machiste laquelle unit la
volonté d’une femme et le viol, comme s’il était possible de vouloir être violée[7].
Ainsi, être habillée en femme est provocant en soi.
D’où l’implication éclairante : être une femme est provocant.
Tel qu’il est considéré, le féminin est provocant de fait, la femme
par sa présence auprès de l’homme est la cause de la violence éventuelle
de ce dernier. Le féminin s’il se montre est provocant ; s’il
se cache , l’est moins. Ainsi, la pudibonderie féminine a pour but
de diminuer la violence masculine, laquelle serait due aux femmes.
Pourtant, quels que soient les efforts d’une femme
faits pour dissimuler sa féminité, elle sera toujours obscène de par
son corps puisqu’il est irréductiblement , irrémédiablement pourrait-on
dire, féminin. L’oscillation est cercle qui enferme les femmes. Aussi
masculinisée ou timorée que peut sembler une femme, elle reste
femme , et donc, fondamentalement, obscène. La femme doit
porter le poids de l’obscénité, doit incarner à la fois la pudibonderie
et l’obscénité. Ce qui est obscène est ce qui est féminin, en premier
lieu le sexe réel des femmes, qui incarne l’oscillation circulaire
entre pudibonderie et obscénité. On réduit le sexe féminin au vagin,
celui-ci étant perçu négativement par rapport au pénis (le sexe
féminin = le vagin = le pénis inversé) ; on oublie de considérer la
vulve et le clitoris. Le pénis est catalyseur d’orgueil, tandis que
la vulve est devenue inversement objet de honte. On aurait presque l’impression que les femmes n’ont
pas de sexe : le vagin serait un pénis par défaut, les femmes
n’auraient pas de vrai sexe,
c’est-à-dire un sexe aussi visible que celui de l’homme puisque seul
le vagin est considéré, elles n’auraient donc pas de sexualité autonome.
La femme qui parle de son sexe est obscène, mais les femmes en n’osant
pas parler de leur sexe, penchent vers la pudibonderie. Finalement, c’est parce qu’il semble si différent du
sexe masculin que le sexe féminin est obscène. L’obscénité du féminin
s’accompagne de son opacité : les hommes ne connaissent pas bien
le sexe des femmes, et elles-mêmes le connaissent peu, enfoui qu’il
est sous les références au pénis, constantes et omniprésentes :
le discours performatif du machisme agit comme une castration. Entre ces deux pôles, de l’obscénité à l’opacité, le
féminin reste incompréhensible puisqu’il est refusé ; il devient
alors mystérieux ou terrifiant. Informe, il est déformé, reformé par
la pudibonderie. Les femmes incarneraient le sexe et la sexualité,
mais on ne considère pas proprement leur sexe ; le sexe n’aurait pas de sexe, ni de sexualité autre que celle qui
vise, symboliquement ou non, à la reproduction en tant que cette dernière
est effectivement considérée comme appropriation du privilège des
femmes et comme leur domination par la société masculine. Les hommes ont le droit à l’exubérance, et en même
temps au respect de leur pudeur. Les femmes n’ont pas le droit de
s’extérioriser et elles n’ont pas le droit au respect de leur pudeur.
Il est dans les mœurs que les femmes n’ont pas droit à l’affirmation
de leur intimité, pas droit au respect de leur pudeur, tout en ayant
le devoir de la pudibonderie. Religion et pornographie Il
semble y avoir dans la religion et la pornographie la même oscillation
entre pudibonderie et obscénité . 1) Dans la religion
telle qu’elle est pratiquée traditionnellement nous trouvons l’origine
de la scission mère-prostituée. Dans la religion chrétienne le modèle
féminin à imiter est Marie, en tant qu’elle
est mère de Jésus. Or, on remarque que Marie est appelée Vierge
Marie, en d’autres termes elle est Vierge Mère, ou mère vierge :
Marie, le modèle féminin qui règne sur les imaginaires de l’humanité
christianisée, est une mère vierge . Or, comment est-ce possible de Pour une femme vraie il est infaisable d’être une mère
vierge, et dans cette infaisabilité se dessine le conflit
originel, le conflit premier, qui symbolise la condition de la
femme comme conflit permanent. Marie a nécessairement vécu la pénétration
sexuelle : par conséquent, elle est pute (www.
feminista.com vol.4, n°5,). La vérité est qu’il n’y a pas de mère
vierge, que toutes les mères ont eu des rapports sexuels avec des
hommes, même et avant toutes Marie ; par conséquent, mêmes les
mères sont des putes: « motherhood rests upon whoredom »,
la maternité repose sur la putasserie. 2)A première vue, seules les prostituées-femmes sont
présentes sur la scène pornographique, ce qui permettrait de faire
perdurer les divisions mère-prostituée, pudibonderie -obscénité. Mais dans la pornographie
le cercle ne se fait plus entre pudibonderie et obscénité ; il
forme une clôture qui cerne les femmes, en les engluant dans l’obscénité.
Ici, la femme est présente au monde comme prostituée, comme femme
qui est utilisable par tous les hommes qui ont envie d’elle. La confusion
évoquée plus haut entre le consentement et la disponibilité est en
effet totale. De fait le terme « consentement » a deux significations :
2) le consentement est cession, soumission à la force
de l’autre Les femmes sont divisées en catégories nommées sur
les jaquettes des K7, ou sur les rayons des vidéoclubs, selon la couleur
de la peau, des cheveux, l’âge, la C’est de la « libération sexuelle » que vient
la transformation de l’alternative, libération sexuelle qui n’en a
pas été une, au contraire, puisqu’elle est devenue enchaînement sexuel à des normes activées par la pornographie. La
pornographie montre qu’aucune femme ne méritant le respect, toutes
doivent être traitées comme des objets-femmes. L’hypocrisie de l’alternative
maman-femme respectable et respectée/ putain-femme à ne pas respecter
se maintient tandis que la généralisation semble l’avoir emporté
dans l’opinion commune; c’est là une des incohérences du discours
machiste. La pute est objet en ce que les hommes la prennent
selon leur envie, elle ne sert
qu’à être baisée, elle est « fuckstation whore ». L’objet-femme
est pris, possédé, mais puisque l’objet en question est femme et par
là, possède une parenté avec l’être humain, en ce qu’elle est le
sous-homme par excellence, il s’établit une relation affective entre
l’homme qui la prend en objet et elle. Il y a communication verbale
et non-verbale ; même si la femme est déjà dominée puisqu’elle
est sous-homme, c’est parce qu’elle est vivante qu’apparaît la nécessité de réaffirmer
la position de chacun-e. La relation est relation de domination, domination
figée du côté masculin: l’homme domine la femme, ce sous-homme.
Ce discours de domination brutale, violente est constamment à l’œuvre
dans les revues « masculines » et dans la langue machiste.
On se trouve ainsi dans un processus permanent de réaffirmation du
pouvoir, car jamais le pouvoir viril ne semble être assez fort, comme
le suggère de manière édifiante cette chanson de corps de garde : A la tienne Etienne, à la tienne mon gars ! > Sans ces garces de femmes, nous serions
tous des frères ! A la
tienne Etienne, à la tienne mon gars ! Sans ces garces de femmes, nous serions tous
des rois ! On trouve ici l’illustration d’une utopie machiste, un lieu sans femmes, entièrement
viril, où chaque homme serait roi, détenteur d’un pouvoir à la fois
absolu et également partagé : nous voici renvoyé-e-s à l’idéal
égalitaire masculin de la démocratie né avec la Révolution française.
Cette utopie exprime particulièrement bien la contradiction fondamentale
de la pensée machiste, celle de viser à l’annihilation - disparition
de celles sans lesquelles les hommes n’existeraient pas, cette contradiction
même fortifiant la crispation
propre à la volonté obsessionnelle de fixation du pouvoir viril, contre
le pouvoir reproductif féminin. Le sacrifice
de la pudeur féminine L’objet-femme est le corollaire de la logique de sacrifice
pesant sur la condition des femmes ; plus encore, l’objet-femme
doit être sacrifié de manière ultime, par le viol, la torture, la
mort. La femme doit être sacrifiée et doit se sacrifier ; on
remarque, dans la perspective de la scission sujet-objet, que pour
une femme le verbe doit être réalisé par le sujet (elle-même), et
en même temps, un autre agent (un homme, la société) doit réaliser
le verbe sur elle. Dans la pornographie le corps féminin est l’objet
à sacrifier sexuellement, c’est-à-dire, intimement . La femme offerte dans la publicité pour le parfum
Opium est une femme sacrifiée : d’une blancheur fantomatique,
elle s’abandonne et/ou (on ne sait plus où est la frontière, s’il
y en a une) est abandonnée, se donne à voir et/ou est donnée à voir,
elle se sacrifie : celle qui est considérée comme « l’Origine
du monde » doit être sacrifiée car tout est (confusément) de sa faute.
Etant sacrifiée elle sacrifie la pudeur des femmes : son obscénité
rend les femmes obscènes. Cela fonctionne en ondes circulaires. Le beau corps féminin est un corps mortifié. On voit
en permanence dans les films à « grand public » les femmes
belles être, un peu ou beaucoup, maltraitées, violées ou tuées. Dans
« Eyes Wide Shut » de Kubrick par exemple, le phénomène
est évident : on ne retient des personnages féminins secondaires
que la beauté plastique et la mort. Dans le château, les quelques femmes (dont on comprend
plus tard qu’elles sont probablement
des prostituées)sont de beaux corps quasi nus et sans tête. Une
belle femme meurt, une autre se sacrifie/est sacrifiée pour sauver
le personnage La pornographie mortifie les femmes, elles gangrène
leur corps en faisant de chaque membre un lieu sexualisé et violable, un terrain de pénétration (« Nasal sex. When her three
holes become tiresome, pack the nasal passage. A little snot helps
a big prick go a long way » (Hustler magazine, cité par Grussendorf). :
la pornographie est la nécrose des femmes. A cette nécrose c’est par
l’amputation du corps féminin que l’on croit remédier, en le dissimulant. « La » femme est une île, une terre, à conquérir,
plus ou moins accessible,
si possible vierge: « la » femme est terrain de jeu pour les hommes.
« La » femme est objectivée en permanence et c’est en cela
que se forme le terreau fertile du fascisme, puisque celui-ci repose
sur l’objectivation et l’instrumentalisation
de l’humanité. La pornographie est fascisante : elle conditionne
ceux qui regardent ses produits à mépriser et à jouir de la dégradation
et la souffrance de l’humanité . On ne sait pas que les nazis ont inondé la Pologne
de pornographie comme outil d’abrutissement du peuple : « [La
pornographie] aliène. Elle isole. Cette fonction d’isolement a été
bien comprise par les Nazis, passés maîtres dans l’art de la propagande.
Lors de l’invasion de la Pologne, ils inondèrent le pays de pornographie
afin de retarder le plus possible la constitution de groupes de résistants »
(Poulin, :27). Le machisme, qui cautionne plus ou moins consciemment
le viol, la torture et le sacrifice des femmes est l’idéologie-croyance
fascisante la plus répandue. La condition insupportable de millions
de femmes dans les pays musulmans, montre, en dépit de l’indifférence
mondiale à leur égard, à quel degré de mépris pour l’humanité une
nation se trouve. De fait, l’obscénité pornographique encercle les femmes
puisque la pornographie trace les limites normatives au-delà desquelles
les femmes ne doivent pas s’aventurer. Au contraire, elles doivent
évoluer selon les modèles pornographiques en vigueur : au sein
même de l’obscène les femmes n’ont plus que le rôle de pute à jouer.
Selon les tenants machistes de la « libération sexuelle »,
une actrice de « X » est une femme libérée. Par conséquent, une femme doit Le viol La modalité parfaite de la relation de domination est
le viol. La gravité du viol réside dans l’appropriation de l’esprit
et du corps de la femme par un autre, cette appropriation produit
le doute quant à la volonté de celle qui est violée : elle ne
peut pas saisir clairement que sa volonté est piratée par quelqu’un
d’autre, contre lequel elle ne peut pas grand chose puisque le rapport
de force a tourné en sa défaveur. Je ne m’attarde pas sur le viol
en tant qu’il est l’ultime appropriation psychique et physique de
soi par l’autre (appropriation par laquelle le violeur ne prend
pas une femme de force, mais la force à le
prendre dans son corps)mais je le considère ici en tant qu’attentat
à la pudeur, ce qui se réalise en même temps que l’appropriation. Le fait que ce crime ait autrefois été classé comme
attentat à la pudeur est en effet éclairant pour mon propos :
le viol est attentat à la pudeur en ce qu’il est pénétration forcée
d’un corps, ce corps qui est à la fois barrière et ouverture au monde,
corps qui est protégé par, et protection de, la pudeur. Au contraire
de l’intention qui faisait du viol non un crime mais un simple
attentat à la pudeur, je suggère de considérer le viol comme le pire
crime qui soit parce qu’entre autres il est attentat à, crime contre,
la pudeur. Le sexe est la partie corporelle où le plaisir peut
être physiologiquement le plus fort, de telle sorte qu’il est devenu
difficilement acceptable pour la société et qu’il a fallu le réduire
à la fonction de procréation et le couvrir de honte, en l’occurrence
chez les femmes. Le sexe devient alors le lieu emblématique de la
pudeur, et prétexte à pudibonderie : le sexe des femmes est si
obscène qu’il faut taire son caractère indépendant du pénis et de
l’enfant. Cet endroit où le plaisir est singulièrement fort, indécent,
nécessite une intimité pour que le plaisir puisse se
réaliser. La sexualité nécessite l’intimité. Avec une personne
que je désire, je vais au-delà de ma pudeur à mesure que mon intimité
avec elle se crée, je la porte avec moi, je jouis de l’intimité qui
existe avec l’autre. L’homme qui viole une femme jette sur la pudeur
de la victime une lumière extrêmement brutale et la saccage. L’intimité
de la femme violée est mise à la disposition du violeur, elle est
désintimisée, vidée d’elle-même.
Or cette intimité est bien le lieu où se joue l’équilibre de la personne
entre le monde intérieur et le monde extérieur, le corps incarnant
cette frontière. Aujourd’hui le viol n’est toujours pas reconnu dans
sa réalité, avec ceci de propre au viol qu’il est le seul crime pour
lequel la culpabilité retombe sur la victime, et non sur le bourreau.
On retrouve ici la caractéristique de l’attentat à la pudeur qui fait
culpabiliser celle ou celui qui en est victime, et lui coupe la parole.
Il faut probablement relier le refus obstiné de cette reconnaissance
de la gravité du viol au refus de reconnaître aux femmes le droit
à la pudeur, à l’intimité, à la volonté subjective, irréductible à
la volonté des autres. Les femmes ne sont pas pleinement reconnues comme
sujets, et cette absence de reconnaissance s’exprime par l’absence
de respect de la pudeur des femmes. Nous l’avons vu plus haut :
le consentement d’une femme n’est pas pris en compte, seul importe
le fait qu’elle soit présente au monde. De là, le viol se situe bien
dans la logique de destruction de la pudeur féminine, destruction
et affirmation de la non-existence de la pudeur. Un exemple : la société refuse le droit
à la pudeur d’une femme qui invite un homme chez elle et qui refuse
un rapport sexuel qu’il lui propose. S’il la viole, et si elle porte
plainte, il y a peu de chances pour que sa plainte soit entendue :
en effet, les mœurs estimeront qu’elle n’aurait pas dû l’inviter chez
elle si elle refusait tout rapport sexuel (si elle ne voulait pas
être violée pourrions-nous entendre). La femme doit se montrer pudibonde
et refuser d’inviter l’homme à prendre un verre et converser, elle
n’ a pas le droit de refuser un rapport sexuel si elle n’a pas été
pudibonde : elle n’a pas le droit à la pudeur. Elle doit accepter
le rapport sexuel, c’est « bien fait pour elle » si elle
a été violée, « ça lui apprendra »…la pudibonderie. Contrairement à ce que proclament les machistes hypocrites
qui aiment à fantasmer certaines femmes sur un piédestal, les femmes
ne sont pas sacrées, puisqu’elles n’ont pas le droit absolu au respect,
au contraire : elles sont les objets de la profanation légitime.
Que faire ? Comment sauver sa pudeur ? Certaines se
promènent visage et corps voilés (au sens figuré ou propre), d’autres
se complaisent dans l’obscénité qui les enferme, comme pour la dépasser
mais elles savent au fond que rien n’y fait, qu’à force de jouer avec
sa pudeur une femme toujours en est victime -les femmes n’ont pas
vraiment le droit de jouer- et pourtant c’est bien de ce statut permanent
de victime dont elles ont honte, et dont elles voudraient se débarrasser.
Il est honteux d’être une victime, il est honteux d’être une femme. Il ne semble pas y avoir d’autre solution que d’aller
au bout de ce qu’implique ce statut qui transpire du corps féminin,
alors elles se font une apparence presque aussi machiste, presque
aussi misogyne que celle des hommes. Elles se renient et trouvent
la force pervertie de se moquer d’elles-mêmes et de leurs sœurs devenues
ennemies. L’audace féministe D’autres encore s’en vont hors des sentiers battus,
transformant la promenade en quête.
Pourquoi en est-il ainsi ? se demande une jeune fille agressée
dans sa pudeur. La réponse est longue à trouver, un voyage n’y suffit
pas. Il faut s’engager dans la quête d’une réponse et pour cela il
faut trouver l’audace d’aller
là où tout le monde crache. Ici commence le cheminement féministe,
dans la volonté de savoir pourquoi les choses sont telles quelles
entre les hommes et les femmes. Etre une femme féministe consiste
fondamentalement dans le fait de savoir être audacieuse afin de revendiquer
sa pudeur, car l’un des buts est le droit à l’intimité, et le respect
de ce droit. Où se trouve la pudeur des femmes ? Où se trouve
ma pudeur de femme ? Toujours là, elle est fragilisée, presque
annihilée. Comment la reconstituer
sûrement ? La scission sujet-objet est opérante en moi, je ne
peux le nier, aussi grands puissent être mes efforts. La question
peut alors Ici être résiliente équivaudrait à valoriser positivement
sa « féminité »,son appartenance au sexe féminin, son existence
avec un sexe et un corps de femme. Le passage du général au particulier
subjectif semble nécessaire . Je suis obligée de dire « je »
si je veux retrouver ma pudeur. Il me semble trop souvent que le regard
masculin ne voie qu’un morceau de moi, morceau d’humain, de femme,
de chair, or je veux être considérée pleinement comme sujet. Dire « je » c’est me reconstituer ;
je ne suis plus morceau de femme, je suis femme avec son vécu, entière
et lucide. Et c’est ici qu’apparaît une impudeur particulière :
l’impudeur propre au discours féministe lorsqu’il est tenu par des
femmes. En tant que femme, mon expérience du monde est différente
de l’expérience masculine qui se dit universelle parce qu’elle serait
neutre ; dire mon expérience c’est me poser face à l’expérience
et au discours masculins et donc, s’opposer à eux, autrement dit,
dans ce contexte, s’en distinguer, et se distinguer de quelque chose
revient à mettre en question l’ évidence première de cette chose.
Dire mon expérience du monde est essentiellement choquant,
difficilement compréhensible et acceptable pour les autres qui pensent
au masculin « neutre ». Quand je féminise la langue en ajoutant
les « e » manquants, je gêne. Quand je dis que la sexualité
est androcentrée, et que je le prouve en rendant visible l’obsession
de la pénétration, je choque. Quand je parle de la sexualité, je donne
à voir ma perception de la sexualité, donc une part de mon intimité :
et comme celle-ci est féminine dans sa réalité et sa quotidienneté,
elle semble obscène. Il est frappant de constater que la mise en question
et la dénonciation de la situation globale des femmes par rapport
aux hommes se trouve constamment en butte à des remarques quant à
la sexualité, à la vie intime des femmes qui mettent en œuvre ce questionnement.
Après la parution du Deuxième
sexe, François Mauriac écrivait à Jean Cau « désormais nous
savons tout du vagin de votre patronne». On ne peut qu’être interloqué-e
par le caractère absolument violent et réducteur de cette phrase après
avoir lu l’œuvre magistrale dans laquelle Beauvoir parvient à « décrire
le fond commun sur lequel s’enlève toute existence féminine singulière ».
Mauriac sous-entendait que le fait d’avoir mis en lumière l’expérience
féminine valait à Beauvoir d’être traiter de prostituée, de par l’aspect
public de cette mise en lumière. En effet lire Le
deuxième sexe est choquant, il y a (encore) là une obscénité particulière,
celle de parler de la féminité telle qu’elle est réellement vécue,
loin des fantasmes de toutes sortes et du mensonge traditionnel, loin
du flou artificiel de la pudibonderie, au sein de la condition des
femmes dans ce qu’elle a de plus tragiquement réel : c’est la
mise à jour de cette tragédie quotidienne, dans tous ses détails,
qui est considérée comme obscène. Dans l’énonciation, c’est le détail qui fait l’obscénité,
on l’a vu plus haut . A l’impudeur particulière de la pensée féministe
les machistes répondent par une obscénité qui voudrait couvrir la
première mais celle-ci l’excède, fondamentale, permanente, omniprésente,
indéniable bien que sans cesse refoulée. On réplique par l’insulte
obscène (« hystériques », « mal-baisées » , etc.)
à celles qui dévoilent le réel des femmes. Etre une femme féministe, c’est s’exposer en voulant
explicitement assumer sa présence au monde, en revendiquant son accès au monde et le contrôle de cet accès
et de cette présence par soi-même. Une contradiction semble émerger :il
s’agit de demander le respect à la pudeur, tout en étant d’emblée
impudique. Si je demande que ma sexualité féminine soit considérée,
cela implique que j’expose mon intimité, que je soie impudique. Etre féministe semble alors être indissociable du
fait d’être impudique, créant la gêne, l’embarras voire la colère.
Il s’agit de se montrer, de montrer, et de rendre visible ce qui jamais
n’est perçu autrement que sur le mode de la plaisanterie suggestive
et elliptique, plaisanterie dont la fonction est de maintenir le flou
de la féminité (« l’éternel féminin »), et d’affirmer le
pouvoir évident de la masculinité. Le discours féministe tenu par
une femme frise sans cesse une sorte d’obscénité aux yeux de ceux
et celles qui sont gênés par lui. Une femme féministe est impudique,
à la différence d’un homme féministe. Elle révèle l’injustice qu’elle-même
vit au jour le jour, intimement, tandis que lui s’engage positivement contre cette injustice.
Cette sorte d’impudeur renvoie à une autre sorte d’impudeur,
celle qui est propre au « féminin » que nous avons vue plus
haut. L’aversion envers les femmes féministes révèlent la misogynie
fondamentale, constitutive de la société en ce que cette dernière
s’est structurée par la domination masculine: la revendication féministe
choque quand elle est exprimée par une femme, elle étonne quand c’est
un homme. Pour les hommes, et dans une moindre mesure (problématique)pour
les femmes, le féminin donc est obscène en soi, en ce qu’il est autre
oscillant entre opacité et obscénité. Ce qui est autre risque d’être choquant, et par
là, frise l’obscène , or dans notre cadre cognitif androcentré
et misogyne il n’y a rien de plus autre que le féminin : le « verrouillage
Le discours féministe est obscène (sens 1)parce qu’il
met en lumière l’autre qui devrait rester opaque et obscène(sens 2).
Si je rends aux mots la réalité féminine qu’ils (re)couvrent, je mets
en lumière l’obscénisation du féminin : mon chien est une chienne (en
anglais : my dog is a bitch); la salope
donne à voir quelque chose de bien plus obscène que le salaud, et
une femme pourrait être directeur. Une des différences premières est la différence des
sexes, si radicale qu’elle est à la fois murmurée et exacerbée. Murmurée
parce que rares sont les philosophes qui osent s’avancer explicitement
à interroger, examiner, questionner avec exigence le donné sexué du
monde et de l’être humain. Exacerbée parce que les sociétés ont tenté
de construire deux mondes comme il y a deux sexes, l’un dominant l’autre,
dans une logique de fixation
des corps à leur sexe. En fin de compte cette obscénité féministe n’en
est pas vraiment une, ce qui ressemblait à de l’obscénité dans le
féminisme est audace :
l’audace féminine et féministe est perçue comme obscène, car son « obscénité »
est politique : le féminisme est on ne peut plus subversif. Je rends honneur à Constance
Pipelet(dont le nom sera transformé en un désobligeant adjectif visant
logiquement les femmes) qui exhortait, qui continue d’exhorter les
femmes, avec son «osons ! » que j’entends plein d’appréhension,
de joie et surtout d’espoir. Un plaisir certain, bien que mélangé,
est éprouvé à être audacieuse. De l’étude, des arts, la carrière
est ouverte ;
Osons
y pénétrer. Oser apprendre, oser connaître, oser créer selon Pipelet
(Fraisse,1989 :84).. L’exhortation sera reprise par les féministes
du dix-neuvième siècle, et je continue de la faire mienne. Les deux
passages qui suivent sont deux ouvertures à la réflexion, déjà existante
ou à venir. Oser dire, faire, croire. Oser montrer ma réalité
de femme. L’art fait par
des femmes est souvent
impudique : les oeuvres de nombreuses artistes suggèrent leur
expérience féminine du monde (Grosenick, 2001 et Phelan, 2001, dont
je cite quelques extraits) L’art est en effet un moyen particulièrement
bien choisi afin d’exprimer son expérience propre et de donner à
penser. La phrase de Elke Krystufek s’inscrit à juste titre dans
notre réflexion : « Why does everybody think that women are debasing
themselves when we expose the conditions of our own debasement ? ».
Certaines artistes comme Valie Export, Carolee Schneeman, Hannah Wilke
donnent à penser sur le fait de vivre avec un corps féminin :.
A propos de cette dernière je songe à « S.O.S. Starification
Objet Series »(1974-1982), série d’autoportraits dans lesquels
son corps est couvert de «stigmates de chewing-gum imitant des vagins,
montrant que, comme la nudité, le corps exposé aux regards concupiscents
est entièrement sexualisé, mais aussi est corps qui peut être blessé
et scarifié », et à la série «So Help Me Hannah »(1978)
où sa nudité et l’arme qu’elle tient sont confrontées dans notre imaginaire.
D’autres artistes dépeignent leur vécu particulier :
Frida Kahlo, particulièrement émouvante dans « Henri Ford L’aspect sacrificiel conscient de soi de nombreuses
artistes (Orlan, Gina Pane) est évident : elles font de leur
corps le lieu de leurs expériences, lieu de travail, pour éveiller
les spectateurs et spectatrices. L’audace de certaines artistes frise
souvent la mise en péril de soi .Avec l’art est rendue manifeste la
revendication au droit à la pudeur et au droit à une impudeur tenant
de cette obscénité que l’on trouve dans la dénonciation du machisme :
l’engagement artistique, en ce qu’il relève du choix volontaire, semble
permettre une réappropriation (donc le contrôle par soi)de
son corps et de la manière dont il est perçu par la société. L’art fait par les femmes est souvent très subversif,
et peu reconnu par le monde de l’art établi, presque intégralement
masculin. « Do women have to be naked to get into the Metropolitan
Museum ? » la question des Guerilla Girls[8]
Au sein même d’un niveau que l’on aurait pu considérer comme lieu
où toute audace est légitime, les instances de reconnaissance des
artistes refusent encore le déploiement de la subversion féminine. L’audace
consiste entre autres à éclairer les tenants de la réalité que l’on
nous propose. La pornographie est devenue la réalité normative de
la sexualité, le refuser revient à prendre le risque d’être traité-e
de moralisatrice . Pourtant, autre chose est possible ;
autre et mieux que la réduction pornographique, réduction de la sexualité
à une ensemble de « pratiques » régies par la contrainte
violente sur les femmes et l’obsession de la domination masculine.
L’érotisme contre la pornographie ? La pornographie comme Le désir
sexuel naît du mystère, lui-même procédant de l’altérité: plus précisément
le désir authentique accepte et recherche le mystère qui traverse
et entoure l’autre. Le respect de l’intimité
est indispensable pour que puisse s’épanouir la sexualité. Nous nous
sommes surtout intéressées ici aux relations à soi dans le domaine
public, auquel s’oppose l’espace privé. Le privé est politique, en
ce que notre individualité et nos rapports interpersonnels sont sous-tendus
par des tendances sociales de pouvoir, puisque personne ne peut prétendre
échapper complètement à sa situation sexuelle, sociale et culturelle. La domination masculine est là, entre un homme et
une femme, plus ou moins brutalement ou subrepticement. Cependant,
ce qui caractérise mes rapports avec les autres dans l’espace
privé consiste en la possibilité d’une intimité
qui fait percevoir les choses autrement : dans la relation amoureuse,
désirante, qui lie une femme et un homme, nous pourrons trouver de
l’impudeur dans l’érotisme et de la pudeur dans la pornographie qu’ils
perçoivent, cette perception révélant la plasticité du champ sémantique
de la pudeur et de l’obscénité, car une dynamique est à l’œuvre qui
rend fuyants ces termes à l’approche d’une définition et qui se déplacent
avec la tentative d’une compréhension. Nous nous trouvons dans une situation dialectique,
où la pudeur renvoie à l’impudeur et à l’obscène dans un mouvement
permanent de re-précision et de distanciation. Un problème se pose
alors quant à la légitimité d’une classification érotisme-lieu
de respect de la pudeur / pornographie-lieu de l’obscène parce que
cette distinction trouverait rapidement des limites, dues à la plasticité
des termes. Or, le privé est politique :au sein même d’une intimité
partagée, les regards ne peuvent échapper à l’imaginaire pornographique
qui détruit les femmes. Pourrions-nous alors envisager une pornographie
qui ne nous objectiverait pas ? C’est le problème fondamental de l’aptitude du langage
à exprimer une réalité qui émerge ici : on a vu avec les insultes
que la langue est machiste. Face à la difficulté de toute entreprise
révolutionnaire la réappropriation de certains termes et de
la réalité qu’ils signifiaient offre une possibilité ; ainsi,
une certaine pornographie se réclame du féminisme. Dans quelle mesure
la pornographie et le féminisme sont-ils compatibles, sachant que
les deux termes sont multiformes ? Nous rejoindrions la théorie
queer en posant la circularité du pouvoir comme caractéristique
essentielle d’une pornographie féministe. Mais cette appropriation,
ce geste positivant, doit se faire en gardant à l’esprit que la majorité des
productions pornographiques sont inacceptables au vu des conséquences
qu’elles génèrent. Revendiquer l’accès au monde c’est donc revendiquer
le respect de ma pudeur par les autres, par tous les hommes, qui se
situent en même temps que moi dans le monde : la pudeur a donc
bien une dimension éthique, même si elle ne s’y réduit pas, même si
elle l’excède. La pudeur recoupe l’éthique ; à celle-ci j’attache
l’authenticité vivante, le contraire d’une morne austérité. L’attentat
à la pudeur se fait par l’abolition de la parole, donc pour réintégrer
ma pudeur je retrouve la parole et la rend publique même si cette
publicité-ci me rend en quelques sorte impudique aux yeux de tous
et toutes. Etre une femme féministe c’est Le féminisme est-il contre-nature, contre la nature
du corps social qui serait antiféminine et antiféministe ? On
retrouve ici le glissement entre nature et culture propre à la question
de la différence des sexes : on ne pourrait rien faire contre
la misogynie, comme si elle était intrinsèque
à la société. Or la société n’est pas naturellement mais structurellement
misogyne, et elle l’est parce qu’il y a domination masculine. Etre féministe consiste alors en un cheminement vertigineux
parce qu’extrêmement solitaire, d’une solitude résultant de l’atomisation
caractéristique de la condition féminine, atomisation qui se retrouve
dans le mouvement féministe et qui affaiblit la portée de ses impulsions.
Cette réalité pose avec une acuité singulière une question fondamentale,
celle de l’héritage et de sa transmission, dans
cette dimension même où la filiation est sans cesse érodée par les
forces de la société. Ce cheminement, je le mène alors dans la structure
de la société, dans ses lieux les plus opaques et les plus repliés
sur eux-mêmes. Ce cheminement est aussi quête , dont l’objet
est sans cesse empêché par la force des mœurs et les manques des lois,
pourtant il résiste, il demeure, fragile et sublime : ce but
est le bonheur entre les sexes. Toujours présent à mon esprit et dans
mon cœur, il a la puissance de l’idéal, mais aussi l’irréalité de
l’utopie, alors ma lucidité face au monde effectif me pousse à vouloir
au moins une chose, qui
est la conscience de mon mouvement continu vers la liberté,
mouvement qui me porte à la fois à assumer et à surplomber le monde.
Il est de mon devoir, en tant qu’être humain c’est-à-dire
digne et bel, d’être féministe. C’est l’espoir qui me pousse à avancer, à poursuivre cette marche irrégulière ;
me projetant dans l’avenir, il me fait actualiser ma liberté, et par
là, il éclaire enfin tout ce qui a déjà été fait par les femmes libres
qui m’ont précédée. L’espoir est-il « ce qui nous rend indestructibles »,
comme l’écrit Ernest Bloch dans L’esprit de l’utopie ? Située dans le monde,
j’existe fragilisée, destructible mais forte. Et, oui, je tiens
l’espoir en moi, peu importe sous quelle modalité : cela
reste d’autant plus mystérieux que c’est bien l’espoir lui-même qui
est, à proprement parler, indestructible, lieu d’échos entre les actions
actuelles, passées , et à venir. références Brahami, Frédéric, 2001 (« Les lois et
les mœurs dans le scepticisme moderne », Cahiers
Philosophiques de Strasbourg, STRASBOURG, TOME 11,VRIN Beauvoir, Simone. Le deuxième sexe, 1949, tome 2, PARIS,
GALLIMARD Fraisse ,Geneviève .1989. Muse
de la Raison. PARIS, GALLIMARD Dominique Frischer. 2001. La revanche des misogynes, PARIS, ALBIN MICHEL www. feminista.com (« Women As Wombs, Women As Holes -
Abortion, Prostitution, and the Sexual Enslavement of Women »,
Christine Grussendorf, Feminista ! vol.4, n°5, OCTOBRE 2001 Poulin, Richard ,
1993, La violence pornographique, MENS-SUR-MORGES, CABEDITA Le Doeuff, Michèle .1998. Le
Sexe du savoir,PARIS, AUBIER Grosenick, 2001 Women
Artists –Femmes artistes du 20ème et 21ème-
, COLOGNE, TASCHEN Reckitt and Phelan. 2001. Art and Feminism, Note biographique Anne Dao a 24 ans et termine son mémoire de
maîtrise en philosophie, qui traite de la relation différence des
sexes - sacrifice dans la Phénoménologie
de l’esprit et les Principes
de la philosophie du droit de Hegel. Elle s’intéresse avant tout
à l’anthropologie, aux études de genre, aux thèmes du pouvoir et de
la sexualité (“Un rapport simplement sexuel”,
2001). Elle détient un DEUG d’anglais. Elle écrit des poèmes,
des nouvelles et prépare un roman. [1] L’
explication de Martine Morenon est capitale pour la compréhension
de l’étude ici présentée, car elle éclaire l’enjeu du questionnement
sur la pudeur . L’impudeur réalisée par une personne coupe la parole
de celle qui la subit et lui fait porter le poids de l’impudeur ;
la victime se sent ainsi fautive. Un lien fort existe entre la pudeur
et la sexualité, et ce sur deux plans : le regard et la parole.
La pudeur ne s’oppose pas à l’acte mais au discours sur l’acte.
L’impudeur, discours explicite, vise à anéantir l’écart entre l’acte
et la parole, nécessaire entre amants ; ainsi l’énonciation
produit l’impudeur, et plus précisément : dans l’énonciation,
c’est le détail qui fait l’impudeur. L’espace de l’obscène est une
« mise à nu sans réserve, une exposition sans mesure »
(Le Hénaff ). L’acte corporel devient obscène si la parole,
l’écrit ou l’image en font un objet de communication. La suggestion
érotique par le verbe ou par le geste, si elle vise et atteint un
être linguistique, interpelle aussi l’être sexué qu’il ne manque
pas d’être ; l’offenseur s’adresse à sa réceptivité sexuelle.
Il assigne dans son être sexué une personne qui ne s’est pas engagée
dans cet ordre de communication ni abstraite du langage. Interpellée
dans son identité sexuelle, la victime laisse inscrire en son corps
tous les signifiés interdits que la langue avait pour fonction de
refouler et qu’elle n’accepte pas en cet instant. L’opposition
entre la parole et le corps renvoie inéluctablement le sujet à un
univers pré linguistique, dès l’instant qu’il est affecté dans son
corps, dans tous les cas et quel que soit le niveau de consentement.
Il y confiscation du symbolique et la victime se trouve face au
non symbolique, autrement dit à l’inceste. L’impudeur génère la
défaillance des chaînes de signifiants. Ces extraits proviennent
du site internet de la psychologue Martine Morenon, consacré à la
pudeur : http://perso.wanadoo.fr/martine.morenon/ [2] Selon l’anthropologue Françoise
Héritier, la pensée humaine s’est faite par la constitution de couples
d’opposés, comme le chaud et le froid, le supérieur et l’inférieur
etc. La correspondance entre d’une part le masculin (assimilé au
mâle) et le féminin (assimilé à la femme) et l’ensemble des couples
d’oppositions binaires s’est faite arbitrairement, selon un principe
directeur, celui de la domination masculine, laquelle s’est faite
par l’appropriation du pouvoir reproducteur (le « privilège »)des
femmes par les hommes. Le privilège féminin a été transformé en
asservissement. Selon Héritier l’accès des femmes à la contraception
permet le retournement (partiel) de cette situation d’asservissement,
puisqu’elle permet la réappropriation du privilège des femmes ;
ce n’est pas parce qu’ une situation existe depuis très longtemps
qu’elle ne peut être radicalement changée. En cela, la contraception
représente une évolution fondamentale dans l’histoire de l’humanité.
[3] 3) « Psychologie sociale »,
Myers et Lamarche, Québec, Mc Graw-Hill : en 1984, l’enquête
de Geis montre que le visionnage de spots publicitaires dans lesquels
les rôles sexués sont inversés (une femme rentre dans son foyer
après une journée de travail, son époux lui a préparé un repas)
amène les spectatrices à exprimer inhabituellement des ambitions
professionnelles. Le nombre de ces spots était de 4, on peut avoir
une vague idée de l’influence de la publicité sur la perception
des rôles sexués quand on sait qu’au cours de la croissance un-e
personne voit 350 000 spots. En 1989 selon l’enquête de Hansen
le visionnage de vidéo-clips de rock influence le regard des spectateurs
sur les femmes, considérées comme soumises et « sexuelles »
après avoir vu des clips où sont présents un homme machiste et une
femme « sexuellement consentante ».Les années 1980 ont
été plutôt riches en publicité où les femmes étaient présentées
comme ambitieuses et actives. Suite à la perte grandissante de
pouvoir du BVP, la situation s’est progressivement dégradée. [4] La
réalité quotidienne de la vie dans une cité me semble particulièrement
difficile en comparaison avec le reste de la société française ;
prendre conscience de cette particularité ne signifie certainement
pas que je la stigmatise. Il serait temps de comprendre que la violence
des « jeunes », c’est-à-dire des garçons surtout, dans
les cités, a pour cause le machisme et l’hypervirilisation omniprésents dans la
culture musulmane et glorifiés par la pornographie hard (dans laquelle
les viols collectifs ou « gang bangs » sont les spectacles
les plus prisés) consommée régulièrement par les garçons. Dans les
cités, « il y a une forte population maghrébine, avec une volonté
de reconstruire une forme d’état maghrébin » (Sihem, étudiante
ayant vécu dans une cité, « Politis » , jeudi 23 mai 2002)
et la vie quotidienne de toutes les filles, musulmanes ou non, est
difficilement soutenable : agressées dès qu’elles sortent de
chez elles, harcelées, interpellées, menacées, elles sont aux aguets
en permanence car le danger physique et sexuel représenté et revendiqué
par la plupart des garçons est constant. En France, c’est pour
les filles des cités que le machisme est le plus impitoyable. Le
mépris et l’indifférence avec lesquels on parle d’elles est typique
du regard androcentré porté par la société sur ce que vivent les
femmes. Traiter la violence des « jeunes » ne sera possible
qu’avec la prise de conscience de sa source -la misogynie- et de
la nécessité du féminisme
en politique. [5] Les
exemples révélateurs de la pornotisation de la presse sont très nombreux. Deux exemples parmi
d’autres de légitimation pure et simple du viol, dans une revue
« masculine »: « Problème :
elle est à 300% contre la sodomie. Faites semblant de vous tromper
et prétextez ensuite que vous n’avez pas entendu ses protestations
à cause de vos boules Quiès » « Problème : elle refuse de vous
faire une fellation. Les filles qui disent non aiment parfois qu’on
les brusque un peu. Un bon plan domination avec poussage de tête
et petite phrase du genre « suce-moi espèce de chienne »
peuvent très bien donner des résultats étonnants. »(FHM, octobre
2001) « « Chérie,
quand tu descendras faire les courses emmène Brutus. Il a besoin
de [6] Dans certains magazines destinés
aux jeunes filles, le conflit est ahurissant : on a pu lire
dans le magazine « 20 Ans » du mois d’août 2001 ceci : « Testez votre female density Question n°6 : on a déjà essayé de vous
violer a) une fois …mais c’était pour rire b) plusieurs fois c) jamais (mais pourquoi pas ?) » [7] Le
viol est acte de pénétration avec contrainte, donc ceci implique que la volonté
de la personne violée est refusée. Le fantasme de viol éprouvé
par certaines femmes ne correspond pas à un désir d’être violée,
comme aiment à le faire croire les machistes. Tout semble bon pour
justifier la violence masculine, même du fond de la mauvaise foi
la plus odieuse. [8] Depuis 1985, les Guerilla Girls révèlent avec ironie
l’exclusion des femmes opérée par le monde de l’art reconnu officiellement
et dénoncent les mécanismes du marché de l’art, lors de nombreuses
manifestations artistiques reste pertinente (voir les affiches,
notamment « The Advantages of Being a Woman Artist »
et les objets détournés, Women
Artists, pp180-185 et www.guerrillagirls.org).
Labrys |