labrys,
estudos feministas / études féministes
Les études féministes en France :une institutionnalisation problématique Françoise Picq Résumé Cet article présente les différentes phases de l’institutionnalisation des études féministes en France, depuis leur origine militante dans les années soixante dix : premier colloque national (Toulouse 1982), institutionnalisation de la recherche (ATP du CNRS 1984-1989), création de postes d’enseignant-es (1984, 1991, 2001)…Il rappelle les résistances à l’institutionnalisation et les débats qui ont accompagné le passage d’une étape à une autre et l’évolution des relations entre les chercheuses féministes et les institutions publiques au cours de ces trente années. Il présente aussi les résultats du recensement des enseignements (et recherches) sur le genre, réalisé par le ministère de l’Education nationale (et le ministère de la Recherche) et analysé par l’ANEF (Association nationale des Etudes féministes). Mots-clef : études féministes, institutionnalisation, recherche
En quoi l’institutionnalisation des études féministes en France est-elle un processus parallèle à celui qu’on connu d’autres pays d’Europe ? En quoi présente-t-elle des traits spécifiques, évoquant une certaine « exception française » ? Comment s’expliquent les différences ? résistance à l’institutionnalisation des études féministes ou résistance aux études féministes elles-mêmes de la part des institutions ? Telles sont les questions auquel cet article se propose d’apporter des éléments de réponse en suivant les différentes étapes d’un processus inachevé. Des moyens de comparaison se trouvent dans une étude, commanditée par la Commission européenne, portant sur neuf pays européens (Griffin, 2002). En conclusion de ce travail collectif, Hariett Silius propose une synthèse et souligne les points communs aux neuf cas étudiés. Partout les « études femmes » (Women’s Studies ) ont été une initiative de la base (« bottom-up »), à l’inverse des politiques d’ « égalité des chances » (Equal opportunity), qui résultent de politiques publiques « Up-down ». Elles ont émergé, dit-elle, comme une partie du mouvement des femmes des années 1970 ; la production de connaissances dans le mouvement conduisant à la recherche féministe et plus tard à l'enseignement. Elles concernent presque exclusivement des femmes, à l’inverse du milieu universitaire dominant, et leur institutionnalisation progressive a suscité, dans tous les cas mais avec une intensité variable, des résistances du système académique. En dépit des différences de contexte et de stratégie des féministes, on peut dégager un schéma commun dans l’histoire des « études femmes » comme champ de connaissances institué, et Hariett Silius distingue quatre phases (qui peuvent se recouvrir) : une phase militante (avec des enseignements optionnels et l'introduction de perspectives féministes sur une base individuelle), une phase d'institutionnalisation (avec des cours “spécifiques” et des unités de coordination interdisciplinaire), une phase de professionnalisation (avec la création de postes d'enseignant et de diplômes), enfin une phase d'autonomie (où les études femmes sont reconnues comme une discipline à part entière dans le système d’accréditation). L’expérience française s’inscrit assez bien dans ce schéma, (si on exclut la phase d’autonomie qui ne correspond ni au contexte universitaire français, ni à une stratégie des actrices). Mais peut-être la résistance à l’institutionnalisation a-t-elle été plus forte qu’ailleurs de la part des féministes elles-mêmes et le passage d’une étape à une autre plus lourd de débats et de conflits. On présentera celle-ci à travers huit étapes et thèmes, avant d’avancer quelques points en guise de conclusion : -1) La phase militante, où se réalise une « accumulation primitive » des savoirs féministes, -2) Le début de l’institutionnalisation, avec le colloque de Toulouse, en 1982, -3) L’institutionnalisation des recherches, avec l’ATP du CNRS, (1984-89) -4) Un début de professionnalisation, avec les postes fléchés à l’université, -5) L’impulsion européenne et la création de l’association nationale (ANEF), (1989) -6) Le débat renouveau vs récupération en 1995 -7) Les changements des années 2000. -8) Le recensement des enseignements sur le genre
I- La phase militante : les années 70 Le mouvement féministe des années 1970 est incontestablement la source épistémique des études féministes. Non seulement par les thèmes qu’il a fait surgir, dans le prolongement des actions militantes, mais aussi par la place qu’il a donné à l’expérience personnelle comme source de connaissance. La force du mouvement c’était de refuser désormais ce que Simone de Beauvoir n’avait pu que dénoncer : le fait que les femmes avaient été définies par d'autres. Déterminé à faire émerger la parole des femmes, celui-ci affirmait la valeur heuristique de la subjectivité, du vécu et sa légitimité. La préférence du Mouvement de Libération des Femmes pour le vécu et le spontané au détriment de la démonstration et de la théorisation était souvent doublée d’un discours anti-intellectualiste, d’un refus des théories, forcément masculines et patriarcales. C’est donc dans la contradiction et l’invective que s’est construite cette sorte d « ’accumulation primitive » du savoir féministe (Kandel, 2001), tandis que l’égalitarisme amenait à se méfier de celles qui par leur culture ou leur statut universitaire seraient mieux placées pour théoriser l'oppression des autres, et en tirerait un bénéfice personnel en terme de reconnaissance institutionnelle. Pour soutenir une thèse féministe dans les années 70, on pouvait être accusée de faire de la "promotion individuelle", de s'intégrer aux institutions patriarcales, de faire carrière sur le dos du Mouvement, de vendre la lutte des femmes à l'Université… En investissant l’université et les organismes de recherche, les militantes visaient à « prolonger la critique politique de la place faite aux femmes dans la société par la critique d’un savoir constitué sur l’exclusion des femmes (Picq, 2001) » ; elles dénonçaient le savoir universitaire, masculin sous couvert d'universalisme et y opposaient la spécificité des recherches féministes, articulant action militante, réflexion politique et travail théorique. Il y avait pourtant, dans le choix de ce nouveau terrain, une certaine prise de distance critique vis à vis des normes féministes contestatrices et anti-intellectuelles, un nouvel équilibre à trouver entre elles et les exigences universitaires et académiques auxquelles il fallait bien se soumettre. Pour imposer dans les institutions de recherche les thématiques et méthodologies féministes, pour prolonger un engagement de vie par un débouché professionnel, il fallait entrer dans la logique individualiste et disciplinaire des travaux universitaires et de la carrière. Dans l’acceptation des normes académiques, il y avait plus que la somme des compromis individuels, il y avait aussi l'acquiescement à celles-ci, à l’exigence de rigueur méthodologique, de vérification des hypothèses de travail, de vigilance critique à l’égard de ses propres présupposés. Les premiers groupes ont commencé à se réunir dans des locaux universitaires : le CEFUP (Centre d'études féminines de l'université de Provence) à Aix-Marseille dès 1972 (autour d’ Yvonne Kniebielher), le Groupe d'études féministes (GEF) de l'Université Paris-VII à partir de 1975 (autour de Michèle Perrot et de Françoise Basch), le CLEF (Centre lyonnais d'études féministes) depuis 1976. Puis des groupes de recherche informels ont fonctionné dans des universités ou à leur périphérie : à Toulouse le GRIEF (Groupe interdisciplinaire d'études des femmes), à Nantes le Centre de recherches-politique-femmes, à Tours le Centre d'histoire des femmes des pays et minorités germanophones, à la Maison des sciences de l'homme de Paris le Groupe de recherches pour l'histoire et l'anthropologie des femmes. On peut citer aussi le groupe Femmes et mathématiques, le groupe femmes et langage, le Groupe interdisciplinaire féministe (GIF-MSH), le Séminaire Limites-Frontières, plus tard ce sera « l’Université des Femmes » ou « La Millénaire ». Un premier colloque a été organisé par le CEFUP en 1975 : « Les femmes et les sciences humaines ». Suivit à Paris VIII-Vincennes en 1978 « Les femmes et la classe ouvrière », puis en 1980, organisé par le CLEF, à Lyon : « Les femmes et la question du travail ». A la fin des années 1970, des enseignements ont vu le jour, dans diverses universités mais de manière presque clandestine, sous des intitulés discrets, à Aix en Provence, Paris VIII-Vincennes, Paris VII-Jussieu…. Créés à l'initiative personnelle d’enseignantes, répondant à une forte demande étudiante, ils se tenaient de manière informelle, en dehors des heures de cours, des frontières disciplinaires et du système des diplômes. (ANEF, 1995 ; Perrot, 2001). Il existait au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), une équipe en sociologie, dirigée par Andrée Michel : « Le groupe d’études des rôles de sexe, de la famille et du développement humain ». Une équipe s’est créé, dans le cadre du Centre d’Etudes Sociologique, qui fût reconnue comme unité de recherche en 1978 « Division sociale et sexuelle du travail ». La phase militante de l’histoire des études féministes était caractérisée par leur dispersion autant que par leur discrétion. 2- 1982 le colloque instituant. Le Premier Colloque National Femmes, Féminisme et Recherche, (Toulouse le Mirail, décembre 1982) marque incontestablement le début du processus d’institutionnalisation des études féministes en France. Militant dans son initiative, autonome dans son organisation, celui-ci a bénéficié, pour la première fois d’un soutien institutionnel et d’un financement important. Pour cela il lui fallait respecter certaines règles que le mouvement des femmes avait coutume de dédaigner. C’est qu’un nouveau contexte politique ouvrait des perspectives et favorisait les révisions. L’élection de François Mitterrand à la présidence de la République était suivie d’un « état de grâce ». Dans le domaine de la recherche, comme dans les autres, le gouvernement manifestait sa volonté de rompre avec le conservatisme et l’immobilisme antérieur. Jean Pierre Chevènement, Ministre de la Recherche et de la Technologie avait décidé d’organiser un Colloque national. Ce serait la plus large consultation de scientifiques jamais réalisée. Il s’agissait de définir « une nouvelle politique de la recherche », prenant largement en compte la « demande sociale » et les « changements de mentalité », favorisant « l’interdisciplinarité » et les « recherches finalisées par les besoins sociaux ». Bien que n’étant ni prévues, ni invitées dans ce programme, les études féministes pensaient y avoir leur place. C’est ainsi que, sans s'être concertées, des féministes ont fait intrusion dans différentes commissions des Assises régionales de ce colloque, à Paris et en province. Avec quelques difficultés, elles ont réussi à se faire entendre et ont obtenu (en plus de quelques amendements aux rapports finaux) la tenue dans le cadre du Colloque national, d'un « Atelier National d’Etudes et de Recherches féministes et sur les femmes ». Etant donné le succès de cette rencontre, rendez-vous a été pris au ministère de la Recherche. La délégation féministe, représentant différents groupes, n’avança qu'une seule revendication, qui leur était commune : la tenue d’un Colloque national des études et recherches féministes. Il s’agissait d'établir un premier bilan de l'état du domaine (personnes, situations, thèmes de recherche et d'enseignement, cadres et moyens dont disposent ces recherches), d'organiser un réseau d'échanges systématiques, d'évaluer les besoins et de formuler des propositions pour son développement. Cette demande fut aussitôt agréée (et une subvention importante accordée). Sa modestie avait de quoi surprendre les représentants des ministères fort sollicités en cette période. C’est que les déléguées, conformément aux principes du mouvement des femmes s’interdisaient de se substituer au milieu de la recherche féministe que le colloque devait construire et de formuler des requêtes qui devaient être le résultat du colloque. L’occasion était sans doute inespérée pour gagner certains acquis en termes de postes, de structures ou de moyens, mais l’objectif principal était de susciter "un mouvement collectif, prolongement et renouveau du mouvement des femmes des années 70 (Picq, 1983) » Pour les organisatrices, le colloque s’inscrivait clairement dans la continuité du mouvement féministe et dans le respect de sa conception de la démocratie. Mais son organisation impliquait de rompre avec les modes de fonctionnement habituels de celui-ci. Il fallait créer une association 1901, lui donner des statuts et des structures acceptables par toutes, désigner celles qu’on jugerait les plus aptes à représenter toutes les régions et les composantes de la recherche féministe (en terme de compétence, de motivation et de disponibilité) les amener à travailler ensemble malgré les divergences et les antagonismes ; mettre en place une structure formelle, décentralisée mais pyramidale, un fonctionnement démocratique explicite. Collectifs régionaux, rencontres nationales, ordres du jour, demandes de prises de parole, vote de statuts, projets de budgets, comptes rendus, il n’était guère laissé de place à la spontanéité, et l’affectivité était contenue. Le colloque eut lieu à l’Université de Toulouse le Mirail, en décembre 1982, et fut un énorme succès. Plus de 800 participantes, (et quelques participants) avaient fait le voyage. dans le grand Sud-Ouest. 144 communications avaient été écrites et distribuées avant la rencontre. Les Actes, de près de 1.100 pages, publiés par l’association organisatrice témoignent de la richesse et de la diversité de ce qui émergeait comme les études et recherches féministes (AFFER, 1984). Les représentants des ministères bailleurs de fonds et des institutions scientifiques, invités à ouvrir le colloque, se sont montrés extrêmement respectueux de l’initiative des organisatrices. Il n’empêche que leur seule présence, a été considérée par certaines comme une compromission et que les résistances ont été vives à ce qui apparaissait comme une « rentrée dans le rang » du féminisme : contestation de l’organisation, refus de discuter sur la base de propositions écrites, suspicion à l'égard de celles qui, mieux placées dans les institutions, pourraient tirer un profit personnel de la lutte collective, opposition « girondine » à toute idée de coordination nationale. Le compromis n’était pas possible entre celles qui voulaient structurer le milieu de la recherche féministe pour lui donner du poids par rapport aux institutions de recherche et aux pouvoirs publics et celles pour qui l’institutionnalisation était une trahison du féminisme et de son idéal subversif et égalitaire. Aucune structure pérenne ne sortirait du colloque. La recherche féministe n’était pas mûre pour s’institutionnaliser. 3-L’institutionnalisation des recherches Le résultat le plus tangible du Colloque de Toulouse fut le lancement sous l’égide du CNRS d’une action thématique programmée (ATP) : "Recherches féministes, recherches sur les femmes » Maurice Godelier, Directeur du Département des Sciences de l'Homme et de la Société, avait accepté le principe d'une ATP comme première étape, pour que les études féministes fassent la démonstration de leur validité avant d'envisager la réforme structurelle revendiquée par le colloque : la création d'une commission interdisciplinaire au CNRS. Offrant à la recherche féministe la reconnaissance de l’institution, Maurice Godelier ne lui demandait pas de renoncer à sa spécificité : « Un tel programme signifie (…) premièrement reconnaître l'importance scientifique de ce domaine, -deuxièmement affirmer la légitimité d'un point de vue militant, d'un point de vue féministe, d'un point de vue qui ne se contente pas d'accumuler les analyses de la réalité pour le seul motif de la connaître, mais qui affirme vouloir ne pas accepter cette réalité telle qu'elle est, vouloir la transformer » Le Comité scientifique, chargé de sélectionner les projets de recherche qui seraient financés, était largement issu de l’organisation du colloque, ce qui n’a pas manqué de soulever critiques et polémiques. L'ATP a-t-elle permis aux recherches féministes d'exister avec leur spécificité, ou a-t-elle amené celles-ci à se conformer aux critères habituels de la recherche ? Les appels d’offre ont été diffusés bien au-delà des limites habituelles, incitant les « non-professionnelles » de la recherche à présenter des projets, privilégiant ce qui semblait faire la spécificité du domaine : le travail collectif et la pluridisciplinarité. A l’heure du bilan on peut constater que les projets collectifs et pluridisciplinaires ont en effet été très nombreux ; mais que la grande majorité de ceux qui ont été retenus, et menés à bien, émanaient d’universitaires ou de chercheuses (ou de groupes en comprenant au moins une). L'ATP a surtout « permis à des chercheuses marginalisées de mener les recherches qui les intéressaient, et à des chercheuses débutantes, à des équipes mixtes ou même totalement hors institution de poursuivre ou de jeter les bases d'une recherche (Rouch, 2001 : 108) » L’ATP « Recherches sur les femmes et recherches féministes » a permis un véritable décollage de la recherche féministe en France : 130 projets ont été présentés, 68 ont été sélectionnés et financés. Plusieurs rencontres et colloques, de très nombreuses publications en sont issus (GEF-Revue d’en face 1991, Hurtig, Kail & Rouch (ed.) 1991). Le résultat est remarquable, que ce soit selon les critères féministes ou selon les critères habituels du CNRS. La recherche féministe française avait d’un coup fait un bond décisif, tandis que le CNRS pouvait apprécier la qualité de la production et sa cohérence en publiant le résumé des travaux (CNRS, 1989 et 1990) La démonstration était faite de la validité et du dynamisme des études féministes. Mais quand il s'est agi d'en tirer les conséquences en terme d'organisation de la recherche nationale, la résistance a été plus forte. Il n’y eut aucun changement dans les structures du CNRS, comme l'avait évoqué Maurice Godelier, pas de commission pluridisciplinaire transversale qui assurerait la visibilité du domaine et lui permettrait de développer sa spécificité. Il n’y eut pas non plus d’autre programme de recherche, ni de nouvelles actions incitatives ; et aucun poste fléché. Divers projets de regroupement n’ont pas été menés à bien et les recherches féministes n’ont reçu aucun financement ad-hoc du CNRS après la fin de l’ATP. L'institutionnalisation s'est poursuivie par une meilleure acceptation des thématiques dans certaines disciplines, mais seulement dans la soumission aux règles et aux structures du CNRS. Il n'y avait plus de volonté politique au sein du CNRS pour accorder une place réelle aux recherches féministes et leur reconnaître une quelconque spécificité, notamment dans leur lien avec le mouvement social. Le laboratoire dirigé par Andrée Michel, le seul qui existât, ne fut pas maintenu après le départ en retraite de sa fondatrice. L’équipe « Division sexuelle et sociale du travail », créée en 1978 dans le cadre du « Centre d’études sociologique», fut reconnue comme laboratoire propre en 1982, sous le nom du GEDISST (Groupe d’études de la division sociale et sexuelle du travail). Transformé depuis en unité mixte CNRS-Université de Paris VIII, le GERS (Genre et rapports sociaux) est actuellement le seul laboratoire du CNRS qui revendique son appartenance au domaine des recherches sur le genre. Il publie une revue : Les cahiers du genre. Seuls les projets de recherche dans la thématique du marché du travail ont trouvé un prolongement institutionnel, avec la création en 1995 du groupement de recherche « Marché du travail et Genre » (MAGE), financé également par le Service des Droits de Femmes et l’unité « Egalité des chances » de la Commission des Communautés européennes. 4- La professionnalisation : les postes fléchés à l'université, Le colloque de Toulouse, initié par les militantes, avait bénéficié d’un soutien institutionnel, notamment financier. Les postes universitaires créés en 1984, en revanche, ont été une pure initiative gouvernementale ; le résultat d’une négociation entre le ministère des Droits de la femme d'Yvette Roudy, et le ministère de l’Education nationale, sans consultation du milieu de la recherche féministe. Quatre postes fléchés "études féministes" ont été mis au concours dans quatre disciplines et quatre universités : Droit privé à l’Université de Rennes, sociologie à l’Université Paris VII, Histoire à l’Université de Toulouse le Mirail, Science politique à l’Université de Nantes. La décision ministérielle a rencontré des résistances farouches de la part des instances chargées du recrutement (Commissions de spécialistes disciplinaires des établissements concernés), à tel point que le poste de science politique n’a jamais été pourvu à l’Université de Nantes. Dans les trois autres cas, les difficultés ont été nombreuses et variées quant à la sélection et à l’intégration des personnes recrutées (Zaidmann, 2001). L’existence de postes portant l’intitulé « études féministes » donnait une légitimité incontestable à ces enseignements, même s’il restait à leurs titulaires à s’imposer dans un milieu hostile ; mais l’expérience n’a pas été prolongée au-delà de ces trois postes, qui sont longtemps restés des exceptions. Des enseignements féministes ont continué à se développer lentement, dans une quasi-clandestinité. C’est dans un tout autre contexte qu’ont été créés en 1991, à la suite d’une campagne prolongée, orchestrée par l’association nationale des études féministes (ANEF), deux nouveaux postes de maîtres de conférences : en histoire à l’Université Paris VIII et en sociologie à l’Université de Toulouse le Mirail. 5-L’impulsion européenne et la création de l’ANEF Le colloque de Toulouse, l’ATP du CNRS « Recherches sur les femmes et recherches féministes, les postes fléchés avaient donné un élan décisif aux études féministes en France. Mais aucun progrès n’étant plus constaté dans le processus de reconnaissance institutionnelle, c’est une sorte de recul insidieux qui l’emportait. Les associations régionales, nées du colloque de Toulouse, n’ayant aucune prise collective sur la situation, périclitaient, laissant chacune seule avec ses difficultés professionnelles et devant ses choix et compromis individuels. C'est l’Europe qui a permis de redémarrer. En septembre 1988, le Parlement européen avait voté une résolution « Sur la femme et la recherche», qui pourrait être un appui face aux institutions françaises. En février 1989, le premier Colloque européen "Concepts et réalités des études féministes" était organisé à Bruxelles par les Cahiers du GRIF. Dans la perspective de tisser des réseaux européens, la nécessité est apparue de disposer de relais nationaux. Sept ans après le colloque de Toulouse, l'Association nationale, qui en était l'aboutissement logique pouvait voir le jour. Les résistances à l’institutionnalisation avaient fait long feu, et la contradiction Paris-Province pouvait être dépassée par des statuts adéquats. L’ANEF (Association Nationale des Etudes féministes) a été créée en 1989, à l’issue de longues et difficiles tractations et de compromis divers, dont les statuts gardent trace : mixité / non mixité, définition plus ou moins restrictive de la recherche féministe. Les objectifs étaient clairement annoncés : « création d'enseignements féministes à tous les niveaux d'enseignement, création de postes, d'équipes et de programmes de recherche dans les organismes publics, parapublics et privés d'enseignement, de formation et de recherches ». Les moyens pour y parvenir comprenaient « l’action concertée auprès des pouvoirs publics, régionaux, nationaux et internationaux ». Il s’agissait aussi d’organiser le milieu de la recherche féministe, et d’assurer la légitimité de l’association, en produisant et diffusant l’information, en participant aux réseaux européens et internationaux, de maintenir des « relations d'échange, de respect mutuel et de solidarité entre ses membres », sans oublier la « défense des intérêts professionnels et moraux » et la « lutte contre les discriminations sexistes ». Dès sa création, l’ANEF demandait un rendez-vous à Lionel Jospin, alors Ministre de l'Education nationale, et présentait, à l’appui d’une demande de création de postes fléchés, un volumineux dossier présentant les études féministes en France et dans la Communauté européenne : recensement des enseignements et des recherches, état des besoins et des ressources dans différentes universités, bilan des réalisations dans les trois universités où existaient des postes fléchés. Le retard de la France par rapport à la plupart de ses partenaires européens y était souligné, ainsi que la différence entre la situation dans la recherche et celle qui régnait dans l'enseignement. En même temps que la campagne au niveau national pour la création de postes fléchés, il fallait se mobiliser dans les universités, se faire élire dans les conseils, pour que la demande en soit faite par les instances. En 1991 deux postes de maître de conférences furent créés, évitant soigneusement dans leur fléchage le terme d’ « études féministes » : à Paris VIII en histoire contemporaine « histoire des femmes » et à Toulouse II en sociologie « Etudes féminines ». 6-1995-2000 : Renouveau ou Récupération L’année 1995 a été marquée par la préparation de la IV° Conférence mondiale sur les femmes. La droite était au pouvoir, mais le ministère chargé (entre autres) des droits des femmes était confié à Simone Veil, à laquelle les féministes ont conservé une grande estime pour le rôle qu’elle a joué dans la libéralisation de l’avortement (L’IVG -interruption volontaire de grossesse- a été mise en place par la Loi Veil en 1975). La Mission française de coordination, chargée de la préparation de la conférence de Pékin, a décidé d’organiser un colloque international de recherche. Organisation très contestable par la composition du comité scientifique, « chargé d'orienter la réflexion de fond et de l’asseoir sur des données objectives» (trois hommes et une femme) et sa présentation tendancieuse des études féministes dans le Rapport national. Mais le comité scientifique a décidé de s’adjoindre pour l’organisation du colloque un « conseil scientifique » large, auquel il a appelé nombre de chercheuses féministes. C’était la première fois que des chercheuses féministes (dont la présidente de l’ANEF) étaient associées en tant que telles à une manifestation nationale et internationale. Il y avait là une occasion de promotion et de reconnaissance institutionnelle des études féministes, qu’il était difficile de négliger. Mais fallait-il pour autant accepter de cautionner ce comité scientifique et sa présentation inacceptable des études féministes ? Considérant que « La participation de sa présidente au conseil scientifique du colloque ne doit pas empêcher l’ANEF de dire ce qu’elle pense du rapport », l'ANEF a opposé à celui-ci son propre état des lieux des "Etudes et recherches féministes et sur les femmes en France en 1995". Celui-ci a été publié en annexe dans les Actes du colloque : (Ephésia, 1995) et aussi en brochure par l'ANEF (supplément au bulletin de l'ANEF n°18) : historique du développement des études féministes en France dès les années soixante dix, état de la situation à l'université et au CNRS, bilan et des comparaisons européennes. La préparation de ce colloque a divisé profondément le milieu de la recherche féministe. Certaines, dénonçant « une offensive majeure contre les études féministes », une tentative de prise de direction des études et recherches sur les femmes par des hommes, spécialistes de la famille (NQF 1994), faisaient signer une pétition "Sauvons les études féministes françaises" et appelaient à boycotter le colloque. D'autres pensaient indispensable de participer au « conseil scientifique » pour y faire prendre en compte les exigences féministes. L'ANEF se trouvait au centre de la polémique : quand on a pour mission de défendre et promouvoir les études féministes en France, comment abandonner le terrain en cette occasion ? Il fallait bien pourtant tenir compte de l’opposition virulente de certaines chercheuses, même non adhérentes. Une réunion publique a été organisée, où les positions se sont affrontées, sans issue. L’ANEF a alors décidé, afin de ne pas diviser le milieu, de ne pas participer, en tant qu’association au conseil scientifique. C’est seulement à titre personnel que ses membres y siégeraient pour y affirmer leurs exigences féministes. Paradoxalement, le conflit sur la participation a pu être utile dans la mesure où la dénonciation extérieure renforçait la position des chercheuses féministes du conseil scientifique. Des changements considérables dans le contenu et l’organisation du colloque ont pu être imposés : modification de l’intitulé, choix des invité-e-s, conseil scientifique élargi et féminisé... Le colloque s’est tenu au Sénat les 6 et 7 mars 95, il a constitué un moment important de l'état de la réflexion féministe et une étape dans le processus d’institutionnalisation. Plus encore, l’ouvrage issu du colloque a contribué à la visibilisation et à légitimation de la recherche féministe (Ephesia, 1995). 7- Les années 2000 : une nouvelle politique publique La Conférence de Pékin a été au départ d’une nouvelle étape : par la mise sous les projecteurs de la situation des femmes dans le monde, et de la position (peu glorieuse) de la France de ce point de vue, par la définition de concepts nouveaux et de critères d’évaluation, par l’exigence de prise en compte de la dimension du genre dans l'ensemble des politiques publiques (le « mainstreaming »). Armée des mêmes conceptions, la construction européenne a de plus en plus obligé la France à remplir ses engagements sur l’égalité et la promotion des femmes. On a assisté aussi, en 1995, à un renouveau de la mobilisation pour les droits des femmes et à une alliance inédite avec le mouvement social, dans un contexte où la politique gouvernementale a été perçue comme remettant en cause les acquis : acquis des femmes en matière de liberté de l’avortement, acquis sociaux en matière de sécurité sociale et atteinte aux services publics. La grande manifestation pour les droits des femmes (25 novembre 1995), à laquelle avaient appelé partis de gauche et syndicats, a servi de prélude à un vaste mouvement de grèves et de manifestations. Revenant au pouvoir en 1997, la gauche s’est montrée déterminée à faire avancer l’égalité entre les femmes et les hommes par le vote de plusieurs lois importantes et par la définition de politiques volontaristes : parité électorale, réforme de la loi sur l’égalité professionnelle, élargissement de la loi sur l’IVG… Cette politique s’est exprimée dans le domaine de l’éducation, notamment par la signature, le 25 février 2000, d’une Convention interministérielle« pour la promotion de l'égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif » entre les ministères de l’Education nationale et de la Recherche, de l’Emploi et de la Solidarité, de l’Agriculture et le Service des Droits des Femmes et de l’Egalité. Entre autres objectifs, cette convention proposait l’élaboration de modules de formation sur l'égalité des chances pour les personnels de la communauté éducative, de veiller à la place et à l'image des femmes dans les programmes scolaires, de développer la recherche universitaire sur les femmes. Les études féministes voyaient ainsi reconnue leur utilité sociale. Dans le volet "enseignement supérieur" de cette Convention a été décidé le recensement des enseignements et recherches sur le genre, par l’intermédiaire des président-e-s d'universités. Le traitement de cette enquête, financé par le service des Droits des femmes et de l’égalité, a été assuré par l’ANEF (ANEF, 2003). Les universités ont dû présenter leurs bilans et projets d’établissements avec des statistiques sexuées. Elles ont été incitées à inscrire des actions pour l’égalité hommes-femmes dans leur politique contractuelle, à créer des enseignements et des diplômes sur le genre dans leurs cursus, et à répondre à des appels à projets d'établissements, ouvrant à des financements sur le Fond social européen. Une vingtaine d’universités ont ainsi signé des conventions avec le Ministère de l’Education nationale. De nouveaux postes universitaires ont été créés, cette fois au niveau de professeur : en histoire des femmes à l’université Paris VIII, en Histoire aussi à l'IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) de Lyon. A l’Université Paris VII, le poste de Maître de conférences en sociologie-études féministes, créé en 1984, a été transformé en poste de Professeur. Des structures chargées de la place des femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche ont été installées dans les ministères concernés et au CNRS : mission à l’égalité entre les femmes et les hommes à la Direction de l’enseignement supérieur (DES), et à la Direction de l’enseignement scolaire (DESCO), mission pour la parité dans la recherche et l’enseignement supérieur au ministère chargé de la Recherche, mission sur « la place des femmes au CNRS ». Elles ont aussi pour objectif de promouvoir et de légitimer les recherches « sur le genre ». Une action originale de sensibilisation et de formation à la question du genre en direction des jeunes chercheur-e-s de toutes les disciplines a été mise en place au CNRS : Ateliers scientifiques pluridisciplinaires « sexes et genre dans le travail scientifique » (Cargèse, novembre 2002), Atelier « Les hommes et les femmes dans les équipes de recherche : même vécu ? même métier ? ». (Paris, novembre 2003), cycles de formation au genre (modules TOGE -Travail, Organisation et Genre- 2004-2005). D’autres institutions scientifiques ont manifesté l’intention d’organiser des formations au genre selon le modèle initié par le CNRS. Enfin, pour la première fois au CNRS, un poste « coloré » (et non fléché ) sur le genre a été mis au concours en 2005. C’est donc une toute nouvelle attitude à l’égard de la recherche féministe qu’on observe de la part tant des institutions publiques que des institutions de recherche. D’autant que les chercheuses et enseignantes féministes, et leurs associations, sont étroitement associées à cette politique. La chargée de mission à l’égalité de la DES (Direction de l’enseignement supérieur du ministère de l’Education nationale) s’est entourée de réseaux d’expertise pour définir la méthodologie du recensement des enseignements sur le genre, comme de « l’état des lieux » dans les universités (recueil de statistiques sexuées étudiant-e-s, enseignant-e-s et chercheur-es, personnel IATOS, responsables). Le ministère chargé de la Recherche a signé une convention pluriannuelle avec les associations Femmes et mathématiques, Femmes et sciences et Femmes-ingénieures, pour inciter les jeunes filles à s’orienter vers un métier scientifique. 8- Enseignements sur le genre : Les Résultats du recensement Le recensement « national » des enseignements et recherches, consacrés à (ou prenant en compte) la dimension du genre a été effectué jurant l’année universitaire 2001-2002, à l’initiative du ministère de l’Education nationale (Direction de l’Enseignement supérieur) à laquelle s’est joint le ministère de la Recherche. C’est la première fois qu’un tel recensement a été réalisé avec les moyens de l'Administration, à travers sa hiérarchie : questionnaires adressés aux président-e-s d'universités et responsables d'organismes de recherches, chargé-e-s de faire remonter l’information aux ministères. L’ANEF, qui diffusait régulièrement l’annonce de cours et séminaires dans son bulletin, avait à plusieurs reprises tenté de les recenser. En 1989 elle avait constitué un dossier destiné au ministère de l’Education nationale. En 1993 à l'occasion d'une table ronde, elle avait pu recenser 70 enseignements dans 12 universités (mais surtout dans 4 entre elles). Le mode de recueil des informations, à partir de ses réseaux, ne prétendait à aucune exhaustivité, mais étant bien ciblés, ces recensements donnaient des résultats appréciables et fournissent des éléments de comparaison intéressants. C’est cette connaissance du domaine qui a permis que l’ANEF soit choisie pour l’analyse du recensement national. Pour le « premier recensement national », les enseignements sur le genre déclarés par les président/es d’université sont au nombre de 388 (dont 151 « spécifiques »). On est loin des 70 listés par l’ANEF en 1993. Encore plus loin de la quasi-clandestinité à laquelle ceux-ci étaient contraints alors. Sous le nouveau vocable de « genre », les études féministes ont gagné leur légitimité, même si bien des réponses ont manifesté le peu de cas qui en était fait par certains. Ces enseignements sont répartis de façon très inégale selon les académies, selon les catégories d’établissement, selon les cycles d’enseignement, selon les disciplines. La région Ile de France, à elle seule, offre près du tiers de ces enseignements (120 pour les Académies de Paris, Créteil et Versailles), viennent ensuite l’académie de Toulouse avec 51 enseignements recensés, celles de Lyon 38, de Rennes 27, de Lille 24, de Bordeaux 22. Les universités de Lettres et de sciences humaines sont les plus concernées avec 148 enseignements déclarés (dont 73 spécifiques), mais aussi les universités pluridisciplinaires. Il y en a très peu dans les universités de Droit-sciences Economiques (32 dont 7 spécifiques). Cela montre que d’autres considérations que la pertinence scientifique sont à l’œuvre. Le Droit et l’économie ne sont-ils pas des domaines où la prise en compte des inégalités de genre et leur analyse seraient particulièrement bien venues ? Les enseignements sur le genre sont surtout proposés en sociologie (20% du total), c’est ensuite l’Anglais qui est le plus accueillant (13%), suivi de la psychologie (10%), des Lettres (10%), de l’histoire (9%) et de la science politique (9%). Les disciplines les plus fermées sont le Droit, l’Economie, la Gestion, la biologie, la médecine, la philosophie, les sciences du langage, les langues autres que l’Anglais. Nous n’avons malheureusement pas les moyens de rapporter ces proportions au poids relatif des disciplines. On peut cependant faire quelques remarques sur cette répartition : Noter l’influence du monde anglo-saxon dans la diffusion de la problématique, déplorer l’ « aveuglement au genre » dans des disciplines comme le Droit, l’Economie, ou encore la Philosophie : n’y a-t-il pas un problème de scientificité pour ces disciplines ? On peut s’étonner de la faible place occupée dans ce panorama par l’histoire, qui bénéficie de trois postes fléchés. A l’inverse la part des enseignements sur le genre en science politique a été une surprise, en regard de notre expérience de la fermeture de la discipline. Il ne faut pas négliger cependant les différents biais qui peuvent résulter d’un mode de recueil des informations variable selon les contextes, et des difficultés d’interprétation précisées dans le rapport. La plus grande partie des enseignements sur le genre sont dispensés en deuxième cycle (215), mais si on rapporte au nombre d’étudiant-e-s inscrit-e-s à chaque niveau, on peut considérer que la dimension du genre est plus présente, proportionnellement au nombre d’étudiant-e-s en troisième cycle (105 enseignements). En revanche, les premiers cycles, qui comprennent le plus grand nombre d’inscrits, sont particulièrement mal dotés de ce point de vue (68 enseignements). Une dizaine d’établissements se distingue dans la mesure où leur offre de formation sur le genre apparaît plus cohérente, avec des enseignements dans les trois cycles d’une même discipline : Paris VII, Paris VIII, Toulouse II, Lyon II, mais aussi Paris XIII Bordeaux II Bordeaux III On note, sans surprise, la présence dans cette liste de la plupart des établissements qui disposent de postes fléchés. Le fléchage a en effet fait la preuve de son utilité, avec le soutien qu’il apporte aux titulaires pour développer des enseignements et l’effet d’entraînement qu’il opère sur l’environnement, surtout s’il s’agit de postes de Professeur ou s’il y en a plusieurs dans la même université pour animer une équipe pluridisciplinaire. Le nombre de postes fléchés en France reste très insuffisant : Trois postes de Maître de conférence, trois postes de professeur (sur quelque 30.000 postes que compte l’enseignement supérieur, dont 12.000 en sciences humaines et sociales). La comparaison est éloquente avec les 101 postes en Allemagne, 38 aux Pays Bas, 20 en Italie, 10 en Finlande, sans compter ceux du Royaume uni. (Silius, 2002) Ces résultats portent sur l’année 2001-2002. Depuis cette date, on sait que des progrès importants ont été faits dans certaines universités, qui ont mis en œuvre des conventions « égalité ». Le passage au LMD (licence-master-doctorat), qui vise à l'harmonisation européenne des diplômes, suscite enthousiasme et craintes (d'autant qu'aucun crédit n'est prévu pour financer la transition d’un système à l’autre et les contraintes qu’elle implique). Du point de vue des enseignements sur le genre, le passage au LMD et à la structure modulaire peut être l'occasion d'un développement, s’il s’accompagne d’une stratégie déterminée. L'accent mis sur la professionnalisation et l'adaptation aux besoins du marché, même s’il est parfois perçu comme un danger pour la recherche fondamentale et la culture désintéressée, qui est le fondement de l'université, peut ne pas être totalement défavorable aux enseignements sur le genre. La réforme universitaire, parce qu’elle est une occasion de refonte des cursus, peut être saisie par un certain nombre d’universitaires féministes pour développer de nouveaux programmes. Mais on n’en connaîtra les effets qu’après un nouveau recensement complet, qui devra être entrepris dès que la réforme sera effective dans l’ensemble des universités. D’autres signes d’une meilleure reconnaissance de la question du genre peuvent être observés. Les concours de recrutement des enseignants du secondaire (CAPES et Agrégation) ont mis à leur programme, en sciences sociales la question "masculin-féminin", en histoire l’histoire des femmes, avec une bibliographie qui fait une large place aux travaux féministes et une préparation aux concours confiée à des chercheuses du domaine. De nombreuses manifestations, scientifiques ou médiatiques témoignent de la récente prise en compte du sujet (Notamment en 2004-2005 Colloque sur la mixité du Conseil national des programmes, Colloque à mi-parcours des ministères signataires de la convention interministérielle de février 2000, Prix du livre d’histoire des femmes du Sénat, Rapport demandé par le Conseil économique et social sur « la place des femmes dans l’histoire enseignée »…) Pour faire reconnaître le champ de recherche ouvert par les interrogations féministes, il a fallu abandonner le terme « d’études féministes », perçu comme trop militant, donc non scientifique. Celui de « genre » y a souvent été substitué, même si la complexité du concept n’est pas toujours prise en compte. Il n’empêche que la démarche reste stigmatisée en France beaucoup plus qu’ailleurs en Europe et la prise en compte des réalités sexuées rare. Nombre de revues académiques sont réticentes à publier des articles se réclamant de cette approche, même si elles se dédouanent de l’exclusion par la publication d’un numéro spécial. En guise de conclusion - Même si un progrès considérable peut être constaté depuis les années 1970, les études féministes (ou sur le genre) n’ont pas conquis en France de véritable légitimité scientifique. L’analyse des résistances persistantes comme des facteurs d’amélioration est complexe. On se contentera de quelques remarques : -la première concerne le soutien (trop faible) des politiques, notamment celui chargé de l'égalité des chances, à l’institutionnalisation des études féministes. -la seconde concerne la prise de distance des études féministes avec le militantisme -la troisième souligne le soutien que les études féministes en France ont pu trouver dans l’Europe. -la dernière rappelle que les études féministes n’existent que par l’obstination des chercheuses. 1) Le soutien (en particulier financier) des « féministes d'Etat » et du personnel politique chargé de égalité, semble avoir joué un rôle essentiel dans le développement des études femmes de plusieurs pays (Pays Bas, Royaume Uni, Finlande, Italie, Allemagne, Espagne (Silius, 2002). Cela n’a pas été le cas en France pendant longtemps. C’est d’abord vers le ministère de la Recherche, et non vers le tout nouveau ministère des Droits de la femme, que se sont tournées les militantes des études féministes. Parce que le colloque national de la Recherche (1981-1982) offrait une occasion exceptionnelle, mais aussi parce qu’il leur importait de faire reconnaître les études féministes comme « recherche fondamentale », et non comme « recherche appliquée », destinée à la mise en œuvre de la politique du ministère des Droits de la femme. Celui-ci n’a été associé au financement du colloque de Toulouse et de l’ATP du CNRS qu’à la demande du ministère de la Recherche et du CNRS. Les associations de chercheuses et leurs initiatives ont pu ensuite bénéficier du soutien financier du ministère des Droits de la femme, mais dans un rapport de compétition et de défiance réciproque entre des chercheuses jalouses de leur autonomie et des « décideurs » déterminés à choisir leurs relais et à mettre en œuvre une politique publique volontariste selon leurs propres projets. La nécessité d'une collaboration est mieux ressentie tant par des instances chargées du Droit des femmes, qui pèsent généralement de peu de poids dans le dispositif gouvernemental, que par des chercheuses féministes qui peinent à sortir de la marginalité. Depuis 1981, chaque élection, présidentielle et parlementaire, a abouti à un changement de majorité. Cela pose d’importants problèmes de suivi des politiques publiques et de grandes difficultés pour les chercheuses mobilisées pour la défense des études féministes, qui doivent recommencer le travail d’explications et de persuasion en direction d’interlocuteurs toujours e nouveaux. 2) Selon Hariett Silius, la résistance à l'institutionnalisation et aux compromis qui l’accompagnent a existé dans la plupart des cas étudiés ; elle a pourtant été plus faible ou plus tôt marginalisée aux Pays-Bas, en Finlande, ou en Espagne. Elle l’a été au Royaume Uni, en Allemagne et en Italie au cours des années 1980 et 1990. En France, évoluant vers plus de rigueur scientifique, et vers l’acceptation des exigences académiques, les études féministes ont eu tendance à s’éloigner de plus en plus du militantisme d’où elles sortaient ; d’autant que le féminisme, comme mouvement a connu un reflux important dans les années 1980. Après une période où il s’était imposé au moyen d’actions provocatrices, le temps semblait venu de se faire reconnaître par le travail et la rigueur de la démonstration. Il semble que cela n’ait pas suffi à assurer leur légitimité. La mobilisation pour les droits des femmes a connu un renouveau depuis le milieu des années 1990. Pourtant le fossé entre les chercheuses féministes et les militantes est sans doute resté plus profond en France qu’ailleurs. Les chercheuses répondent volontiers aux invitations militantes qui font appel à leur expertise, mais les tentatives de retisser le lien entre recherche et mouvement social n’ont pas abouti. On peut le déplorer, mais ne doit-on pas accepter la différence des positions ? Les tensions entre les exigences de la recherche et celles de la mobilisation militante ne sauraient disparaître sans dommage pour les unes et les autres. Il importe cependant que la recherche féministe n’oublie pas sa raison d’être : non pas seulement analyser les rapports sociaux de sexe et la domination masculine, mais agir pour les transformer. En ce sens, l’institutionnalisation des études féministes reste un combat politique et les chercheuses des militantes. 3) Les études féministes, comme le mouvement des femmes dont elles sont issues sont un phénomène qui a touché parallèlement la plupart des pays d’Europe et d’Amérique. Cette dimension internationale est une richesse et leur meilleure arme par rapport aux institutions de leur pays. L’Europe, ses exigences en matière de recherche, telles que les définit le 6ème PCRD, l’appui de l’Unité « femmes et science » de la DG Recherche, les banques de données (GRACE), les échanges d’étudiant-e-s ou d’enseignant-es, les réseaux (AOÏFE, Athena), la construction de l’Espace européen de l’Enseignement supérieur et celui de la Recherche sont les arguments les plus forts qu’on puisse faire valoir dans un pays qui n’entre pas volontiers dans une logique de prise en compte des réalités sexuées. Les chercheuses féministes ne s’en sont pas privées, depuis la création de l’ANEF en 1989. Et c’est grâce aux financements sur le Fonds social européen que des enseignantes-chercheuses ont pu convaincre leurs universités de présenter un projet pour l’égalité des femmes et des hommes. Mais si les conventions signées ont pu être menées à bien, c’est grâce à l’énergie que celles-là y ont investie, comme militantes plutôt que comme agents du service public. 4) On peut dire, aujourd’hui, comme au début des années 1980 ou au milieu des années 1990, que « le développement des études féministes en France est le résultat de l'obstination des chercheuses féministes face à la résistance des institutions » (ANEF 1995). Cette résistance a faibli aujourd’hui, mais non pas l’opiniâtreté des chercheuses, qui voient leurs efforts récompensés et une nouvelle génération en recueillir les fruits. La demande d’enseignements féministes augmente nettement. Demandes d’étudiantes, de thésardes qui obligent des professeur-e-s à s’ouvrir aux problématiques du genre. Demande de formation de la part d’ONG ou d’administrations et collectivités locales. Le milieu des études féministes se structure, en associations (ANEF, Mnémosyne, SIEFAR…), mais aussi en réseau d’universités. Le RING (Réseau Inter-universitaire, interdisciplinaire sur le Genre) s’est constitué en 2000, réunissant des groupes de recherche de diverses universités, autour de programmes d'échanges scientifiques, d’organisation de colloques et de journées d’études. Mieux professionnalisé dans sa gestion, il marque aujourd’hui une avancée dans l’institutionnalisation des études féministes. Un autre réseau tente de se formaliser, à partir des chargées de mission à l’égalité des universités signataires d’une convention. Celui-ci témoigne de la diffusion des problématiques d’égalité au-delà des contours de la recherche féministe (ou sur le genre) et des disciplines où celle-ci s’est développée. Enfin une nouvelle génération de chercheuses (et chercheurs) a émergé. Avec les moyens de communication de son temps et l’énergie de sa jeunesse, elle s’est constitué en association : EFiGiES (Association des jeunes chercheuses et chercheurs en Etudes féministes, Genre et Sexualités). Elle organise colloques et journées d’études, séminaires et rencontres internationales. Entre autonomie et soutien, elle construit ses relations avec les associations et réseaux de la génération précédente. La vitalité dont elle fait preuve est la meilleure assurance de la pérennité de la recherche sur le genre et de sa diffusion à l’université au delà de la retraite de la génération qui l’a portée. Référence
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labrys,
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